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Alexandre
(Oliver Stone, GB-Fr-AL, 2004)

5. Hephæstion

 

Page précédente :

1. Un film historico-hagiographique ?

2. Un «biopic» intimiste

3. Le réalisateur et son héros : une alchimie

4. Un projet de société ?

Sur cette page :

5. Hephæstion

5.1. Les amitiés particulières

5.2. De la procréation et du plaisir !

5.3. La carrière d'un officier très intime

Annexe : Les notations homosexuelles du film

Pages suivantes :

6. Politique contemporaine

7. La reconstitution

8. Personnages (à paraître)

9. Alexandre le Grand à l'écran

10. Bibliographie

11. Fiche technique

12. Chronologie

5. Hephæstion

«Il faut savoir que la plupart des salles dans les Etats du sud des Etats-Unis ont refusé les copies [d'Alexandre] à cause de la bisexualité supposée du héros, déclare Oliver Stone. Certains critiques n'ont rien compris au propos et se sont contentés de résumer cette fresque par un titre réducteur du genre «Alex le gay». Tant d'efforts et de recherches, et certains critiques n'y ont vu qu'une farce, un remake de Tootsie ! Une frange de ces scribouillards américains descend de toute façon aveuglément tout ce que j'entreprends. Tant pis : dans Alexandre, j'assume tous mes choix, je ne regrette rien» (1). «Il est bien évident que j'ai subi des pressions pour faire telle ou telle chose, mais je ne vous en dirai pas plus. Je me suis simplement efforcé d'écouter ce que chacun avait à me dire. Dans ces conditions, le montage a été assez difficile à vivre. Nous n'avons pas cessé d'expérimenter et ça devenait très complexe. Ceci étant dit, je tiens à souligner que ce film est vraiment celui que je voulais faire et que le soutien (des) investisseurs n'a jamais fléchi tout au long de la production» (2).

5.1. Les amitiés particulières

Alexandre le Grand était-il homosexuel... Hephæstion était-il son amant ? Question oiseuse. Alexandre le Grand était Alexandre le Grand, et son «orientation sexuelle» - comme on dit fort joliment aujourd'hui -, quelle qu'elle fut, ne change rien à sa gloire. Le fait qu'Alcibiade se soit glissé sous la couverture de Socrate change-t-il quelque chose aux mérites de Socrate, à ses capacités de raisonnement philosophique ? Entre un Adolf Hitler qui avait une stricte hygiène de vie et un Winston Churchill qui carburait au whisky, notre choix est fait depuis longtemps, n'en déplaise aux honnêtes gens ! Partagé entre notre héritage gréco-latin et les valeurs judéo-chrétiennes, «notre regard sur la sexualité peut-être qualifié de schizophrène», écrivait Colin Spencer (3). Trop facilement les biographes d'Alexandre cèdent à leurs fantasmes de pruderie ou de militantisme et ne voient que ce qui les arrange, ce qui concorde avec leur morale personnelle. Une chose en tout cas nous paraît claire : ce n'est pas le rôle de l'historien de celer la vérité.

Pour avoir méprisé ce principe, Roger Peyrefitte a vu sa superbe biographie d'Alexandre le Grand mise à l'index par les gens bien pensants. Si les historiens du XIXe s. et leurs émules émettaient les plus grandes réserves sur certains aspects du conquérant, Peyrefitte péchait par l'excès inverse, faisant concorder le personnages historiques avec ses préférences personnelles.

Au-delà des premiers émois d'adolescents à la découverte de leur corps et du corps de l'autre, décrits par le romancier dans Les amitiés particulières, quid d'Alexandre ? De même Alexandre, dans le contexte de son temps, de la civilisation dont il relevait aurait difficilement échappé aux pratiques de l'«amour grec». Plutarque est du reste sans ambages à ce sujet. Bien sûr, Alexandre - s'il faut mettre les points sur les «i» - eut les mignons : «Philippe exila Harpalus, Néarque, Phrygius et Ptolémée, les mignons de son fils [Alexandre], que celui-ci rappela plus tard et les tint tous en grand lieu de faveur auprès de lui» (PLUT., Alex., XVI). Chose amusante, Hephæstion n'est pas du nombre !

Alors, Hephæstion ?
Aucune source ancienne ne dit clairement qu'Alexandre et Hephæstion furent amants. Cette qualité se déduit seulement de l'extraordinaire faveur dont ce simple cavalier jouit, gravissant rapidement les étapes de la hiérarchie jusqu'à devenir Chiliarque - id. est «Grand Vizir» - et, surtout, l'immense douleur que sa mort causa à Alexandre. Dans une interview, O. Stone rappelle qu'à la base de sa spéculation il y a le simple fait qu'Alexandre fit dresser un bûcher de six étages pour incinérer le corps de ce compagnon. Cette distinction extraordinaire a fait supposer que les deux étaient un peu plus que des amis.
La faveur en laquelle il tint l'eunuque Bagoas, qu'il baisa sur la bouche en public, ont fait le reste.

L'admiration d'Alexandre pour son aïeul Achille, le héros de l'Iliade, le culte qu'il lui rendit de passage à Troie, le parallélisme avec le couple mythique Achille-Patrocle, le fait que le jeune conquérant n'ait pas songé à assurer sa dynastie par un mariage et un héritier macédoniens avant de se lancer à l'assaut de l'Empire perse a prêté matière à la malice des exégètes. A la différence de son paillard de père, Alexandre ne semble pas très attiré par les femmes, et s'il en épousa plusieurs (4), ce fut plutôt pour des raisons politiques que par amour. Pourtant, lui et ses généraux étaient entourés de courtisanes et concubines comme cette Thaïs (5) - qui, au cours d'une nuit d'orgie, bouta le feu au palais de Persépolis - et cette Pancaste, ou Campaspe, qu'il fit poser nue pour le peintre Apelle qui en tomba éperdument amoureux.

5.2. De la procréation et du plaisir !

Les faits historiques sont là. Alexandre le Grand était-il homosexuel ? Bouffre ! le vilain mot - qui du reste n'existait pas à l'époque (6) - synonyme de «Cage aux Folles» et autres caricatures ! Alexandre avait la sexualité de son temps et de son milieu. Toutes civilisations confondues, les Anciens avaient des libertés, mais aussi des tabous, qu'aujourd'hui nous n'imaginons que difficilement. «Beaucoup de personnes - notait Athénée de Naucratis - préfèrent les liaisons pédérastiques à celles avec des femmes. Ils prétendent que, par rapport aux autres villes, dans toute la Grèce cette pratique se retrouve dans les villes qui sont régies par de bonnes lois. Les Crétois, par exemple, comme je l'ai dit, et les habitants de Chalcis dans l'Eubée, ont une passion remarquable pour de telles liaisons (ATHÉNEE, Banquet des Savants, XIII).
Alexandre n'était pas davantage «homosexuel» que n'importe lequel de ses compatriotes qui faisaient des enfants avec leur femme et se divertissaient avec des jeunes garçons. En particulier aux armées, où le compagnonnage et la promiscuité s'y prêtaient... quand bien même si, pour le(s) chef(s) certaines facilités étaient envisageables. C'est le problème de sociétés du sud où les hommes vivent entre eux, ou tout au moins prennent certaines distances vis-à-vis des jeunes filles, y compris la leur s'ils en ont une. Il ne serait pas venu à l'idée d'un Spartiate de déjeuner ailleurs qu'avec ses camarades de peloton, sa syssitie (7) !

Si la sexualité des anciens était polymorphe, le christianisme y a théoriquement mis bon ordre ! Il est difficile pour la Civilisation grecque orthodoxe contemporaine de tenir pour vrais certains errements d'un lointain passé. Dans son Histoire de la Grèce, Georges Contogeorgis (8) rappelle que toute l'idéologie de l'Etat grec contemporain se structure autour de trois valeurs symboliques : la discipline de Sparte, l'expansion de la Macédoine et l'héritage chrétien orthodoxe de Byzance. S'il y a un héros national à propos duquel, en Grèce, on ne plaisante pas c'est bien Alexandre le Grand, dont la rhétorique officielle pare l'icône de toutes les vertus plutarquiennes !
Pour l'avoir délibérément ignoré, un adolescent de dix-sept ans fut - le 17 décembre 1992 - condamné à un an de détention pour avoir distribué des tracts affirmant qu'«Alexandre le Grand était un criminel de guerre» (9). Dans le même ordre d'idée, rappelons que les films pseudo-historiques mettant en scène l'antiquité grecque ont le don de sérieusement titiller l'amour-propre national. Ainsi en 1956, la sortie en Grèce d'Hélène de Troie de Robert Wise suscita une levée de boucliers (10). Célèbre pour ses fouilles à Théra-Santorin, l'archéologue Spyridon Marinatos - de l'Académie d'Athènes - monta aux créneaux pour dénoncer le gauchissement des textes... et des valeurs : dans l'Iliade, les Achéens combattent pour l'honneur de Ménélas, et la belle Hélène s'y qualifie elle-même de «chienne» qui a trahi son époux. Merci Homère. Faut dire que tu es aveugle ! En tout cas, à Hollywood on ne voyait pas les choses de la même façon. Dans le film de Wise, les Grecs sont présentés comme des brigands convoitant les richesses de Troie («Bonjour, mes amis les Pirates !», s'exclame Torin Thatcher/Ulysse arrivant à l'assemblée des rois achéens, où il est salué par un vaste éclat de rire complice). L'exemple d'Hélène et de l'Iliade est amusant, surtout si l'on veut bien se souvenir de la palinodie de Stésichore... voici 2.400 ans. Rien de changé sous le pur soleil de l'Hellade.

Chez les Grecs l'amitié virile faisait partie du système éducatif : un adulte prenait un jeune garçon sous son aile, lui servait de Mentor. Leur relation pouvait être platonique ou un peu plus appuyée - c'est selon les historiens et leur degré de tolérance avec l'homosexualité !
Une scène du film d'Oliver Stone montre Aristote entouré de ses élèves, stigmatisant l'amour homosexuel luxurieux, mais approuvant la «bonne» homosexualité qui ennoblit l'homme. Dans les gymnases, un magistrat, le pédotribe, veillait sur la vertu des jeunes gens, dont des adultes «vicieux» venaient se repaître de leur nudité et tenter de les corrompre. Le problème est que, chez les Grecs comme chez les Romains, ce que nous nommons l'homosexualité (ils n'avaient pas de mot équivalent) n'est admissible qu'à condition de conserver le rôle actif. L'homosexuel passif est couvert d'opprobre. C'est pourquoi à Rome on ne le pratiquait qu'avec des étrangers ou des esclaves prostitués, jamais avec un autre citoyen (11). En Grèce, les choses sont plus nuancées, différentes, à la fois permises, encouragées même, et équivoques. Les jeunes garçons, fatalement, auraient le rôle passif, mais ils ne sont que des enfants tant qu'ils ne sont pas inscrits sur la liste des citoyens. Ce qui n'arrive - à Athènes - qu'au terme de la période d'Ephébie, qui dure deux ans (16-18 ans), à la fin de laquelle les jeunes garçons reçoivent un bouclier, sont admis dans le corps des hoplites, inscrits sur la liste des citoyens et prennent femme (12). Des règles sensiblement identiques devaient exister dans les autres cités grecques. A Sparte, les éphèbes sont appelés les irènes, mais les jeunes hommes se mariaient plus tard qu'à Athènes, à trente ans (13).

Bien sûr, il ne faut pas chercher à expliquer la pédérastie grecque sacralisée à travers le prisme de la pruderie et du machisme romains. A Thèbes, le Bataillon Sacré, ce corps d'élite de 300 citoyens était constitué par 150 couples d'amants-d'aimés (érastes et éromènes) : étant des hoplites, ils sont forcément tous adultes et citoyens, actifs et passifs dans leur relation de couple.

hephestion

«Mère, celui-ci aussi est Alexandre» (DIODORE, XVII, 37. 6). D'origine obscure, Hephæstion (Jared Leto) ne dut qu'à la faveur d'Alexandre de gravir très rapidement tous les échelons du pouvoir jusqu'à «Chef des Mille» (Chiliarque, c'est-à-dire Vice-Roi ou Grand Vizir). Ses funérailles furent célébrées avec un faste exceptionnel et il fut héroïsé (phot. Intermedia).

5.3. La carrière d'un officier très intime

On disait du plus proche compagnon d'Alexandre, ami d'enfance et général fidèle, qu'il était son «Patrocle», en référence à l'ami du héros de la guerre de Troie, Achille, auquel Alexandre aimait à se comparer. «Le doux Hephæstion affectionnait Alexandre.» Compagnon et intime du conquérant, Hephæstion faisait certainement partie des gardes du corps (sômatophylaque [14]) qui accompagnèrent celui-ci dans la tente de la mère de Darius, après Issos «Celui-ci aussi est Alexandre»). Sa carrière démarra en flèche après la conspiration de Philotas, à la répression de laquelle il mit activement la main à la pâte, soumettant lui-même à la question le fils de Philotas - qu'il jalousait et détestait - avec l'aide de Cœneus et de Cratère (330). A la suite quoi Hephæstion prit la tête de l'agèma à la place de Nicanor (autre fils de Parménion, mort de maladie bien avant la triste affaire). Toutefois, il ne commença réellement à se distinguer que lors de la conquête de l'Inde, lorsqu'il fut promu commandant en second et prit la tête de la colonne chargée de dresser un pont sur l'Indus. Il commanda ensuite une des colonnes qui retraitaient le long de l'Hydaspe, puis ramena le gros des troupes de Carmanie en Perse alors qu'Alexandre partait visiter et redresser le tombeau de Cyrus. Lorsqu'à Suse Alexandre célébra le mariage de 10.000 Macédoniens avec des Persanes, lui-même épousant Stateira et sa sœur Parysatis, filles de feu Darius III, il fit encore d'Hephæstion son beau-frère en lui donnant leur troisième sœur, Drypétis.
Hephæstion mourut à Ecbatane, en 324, victime d'un excès alimentaire. Il avait, dit Plutarque, mangé un coq bouilli et bu deux litres de vin alors que son médecin avait exigé une diète sévère. Fou de douleur, Alexandre fit crucifier Glaucos, le médecin, et offrit à son ami des funérailles grandioses. Alexandre fit éteindre le feu sacré, cérémonie qui ne se pratiquait qu'à la mort de l'empereur perse et envoya consulter l'oracle de Siwa, en Egypte, pour savoir quel type de funérailles accorder à son ami et, sur l'avis de Zeus-Ammon, lui décerna des honneurs héroïques, ce qui faisait d'Hephæstion un demi-dieu. Il dépensa 10.000 talents pour ses obsèques, faisant élever un bûcher gigantesque de cinq étages et 180 mètres de côté, somptueusement orné - le premier étage était formé des proues de 240 pentères (15) - et sacrifia «dix mille victimes variées». Diodore de Sicile nous en a laissé la description. Selon Plutarque, Alexandre fit raser les crins de tous les chevaux et mulets de la ville, écrêter les murs de l'enceinte et massacra les rebelles cassites en manière de sacrifice funéraire (PLUT., Alex., CXVI).

Lorsqu'il mourut, Hephæstion avait 28 ans, selon de Dictionnaire des antiquités (etc.) de N. Bouillet (1841), et était donc d'au moins quatre ans le cadet d'Alexandre, lequel décéda sept mois plus tard à 33 ans (en fait 32 ans et huit mois, selon Aristobule). Mais selon Quinte-Curce, ils avaient le même âge, toutefois Hephæstion était d'une taille légèrement supérieure. En fait Alexandre et lui se ressemblaient tellement qu'on les prenait l'un pour l'autre d'où la fameuse, et équivoque, réplique : «Celui-ci aussi est Alexandre.» La fille de Darius, qui ne les avait jamais rencontrés auparavant, les avait pris l'un pour l'autre. On peut en déduire qu'Hephæstion avait un port plus «royal» que son roi et ami. Bref qu'il était plus grand ou plus âgé. Ou plus richement habillé. L'admiration d'Alexandre pour son aïeul et modèle Achille y invite : on a souvent comparé le couple Alexandre-Hephæstion à celui formé par Achille et Patrocle. «Eschyle, dans une pièce dont ne nous est resté qu'un extrait d'un seul vers, fait d'Achille l'amant, l'aîné et le professeur de Patrocle. Plutarque nous dit (et Athénée cite le même vers) qu'après la mort de Patrocle Achille regarde le corps nu de son amant et parle du «coït de ses cuisses», disant avec rage : Tu n'avais pas de respect pour la sacralité des cuisses, ingrat après nos fréquents baisers» (16).

Qui d'Alexandre-Achille ou d'Hephæstion-Patrocle était l'éraste, qui l'éromène ? L'Histoire ne nous dit rien de plus à propos de cet obscur officier qui émergea du rang par faveur spéciale. De son compagnon qu'il compare à Cratère - le fidèle d'entre les fidèles -, Alexandre aurait dit : «Cratère est l'ami du roi, mais Hephæstion est l'ami d'Alexandre.»
Avec Hephæstion, les historiens marchent sur des œufs. En 1833, Droysen lui prêtait une «nature élevée et chevaleresque», dont l'attachement pour le roi était «touchant et illimité. (...) Alexandre aimait en lui le compagnon de ses jeux d'enfance. (...) Leur amitié avait gardé la fraîcheur enthousiaste de l'adolescence, cet âge auquel tous deux appartenaient presque encore.» Georges Radet (1931) le désigne comme «cet ami si cher mort à la fleur de l'âge». Maurice Druon (1958), n'est pas moins équivoque : «Nul homme au monde ne fut pleuré de son ami, nulle maîtresse de son amant, nul frère de son frère, comme Hephæstion le fut d'Alexandre.» Quant à Wilcken (1952), il notera prudemment : «Sur la manière dont s'exprima son chagrin, on a fait courir mainte histoire, où il est difficile de discerner l'exacte vérité.» Il faudra attendre Roger Peyrefitte et sa trilogie (1977-1981) pour voir Alexandre et Ephestion (17) promus porte-drapeaux de la pédérastie. Il faut dire que sa thèse n'était pas totalement désintéressée !

Le seule indice est qu'Alexandre «a réagi très violemment à la mort d'Hephæstion, qu'il est resté en deuil très longtemps. Il était le seul homme en qui il avait entièrement confiance. Plus encore que Ptolémée. (...) Alexandre était un explorateur dans le sens le plus large du mot. Il voulait tout connaître, tout voir. Il cherchait à savoir ce qu'était l'être humain. Dans le film, Ptolémée dit : «Il était l'homme le plus libre que j'aie jamais connu.» Alexandre a exploré le monde et cherché à repousser les frontières de celui-ci, et pour lui, la sexualité en faisait partie» (18). «Il y aura toujours des désaccords sur la vie d'Alexandre, vu le peu d'informations fiables dont nous disposons. L'un des faits avérés est qu'Alexandre a été brisé par la mort d'Hephæstion, son compagnon de route. On sait qu'il s'est effondré ce jour-là et qu'il a demandé un bûcher haut de six étages pour ses funérailles, ce qui nous conduit logiquement à penser qu'Hephæstion était le véritable amour de sa vie» (19).

«Au départ, j'avais un vrai problème avec Hephæstion, raconte O. Stone. Tel qu'il était décrit dans tous les livres, je le trouvais ennuyeux à mourir ! Je me suis donc longtemps demandé comment nous pouvions le rendre plus intéressant. J'ai trouvé la solution le jour où j'ai vu Jared Leto dans le rôle. Il était tellement séduisant dans son costume, avec un regard magnétique, que j'ai eu l'idée de présenter Hephæstion comme la conscience d'Alexandre. Il devenait son bras droit, la moitié d'une sorte d'association. Ils étaient les meilleurs amis du monde. Lorsque Hephæstion meurt dans le film, Alexandre dit : «Je te suivrai dans la maison de la mort.» On sait qu'Alexandre est mort huit mois seulement après la disparition de son ami» (20). «Depuis leur enfance jusqu'à la mort d'Hephæstion, les deux hommes ont été «âmes sœurs», déclarera Colin Farrell, interprète du personnage. Alexandre savait qu'il ne le trahirait jamais. C'est l'un des hommes qui ont compté le plus dans sa vie et pour sa survie. Quelqu'un qui lui permettait de garder la tête sur les épaules au milieu de la folie des conquêtes et des dangers constants le menaçant. Il a été prouvé qu'il existait entre eux un amour incroyablement profond. Les témoignages de l'époque s'en font l'écho. Le film suggère que cela a pu aller plus loin mais sans pour autant enfoncer le clou. Je crois que c'était le meilleur parti pris» (21).

«A l'arrivée, l'homosexualité est en effet exposée, de manière relativement lisse mais assez explicite, cependant était-il vraiment nécessaire de s'attarder autant sur un problème qui n'en était justement pas un à l'époque ?», s'interroge Laurent Tilly (Lecinema.net). Eh bien justement, si l'homosexualité n'était pas un problème «à l'époque», elle semble en être devenu un de nos jours, suscitant le débat pour la reconnaissance de sa légitimité (mariage homosexuel, adoption homoparentale). Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est toujours pas prête de l'être, dans l'intime conviction du grand public, qui s'interroge : «Quoi, Alexandre le Grand «en était» lui aussi ?» Comme on l'a vu plus haut, en Grèce comme dans le Deep South, certains bons esprits n'en sont toujours pas revenus...
De là à dire qu'Alexandre était un «explorateur sexuel» (22), la thèse est bizarre. Pour qu'il en fût un, encore eut-il fallu qu'il y eusse eu des interdits à braver ! Ce n'était pas le cas, bien sûr. En somme, Alexandre était plutôt conformiste. Un homme en accord avec la bisexualité de son temps - nullement un militant façon Oscar Wilde !

Annexe : Les notations homosexuelles du film

1. L'enfance. Alexandre et Hephæstion luttent à la palestre. Regard troublé d'Alexandre vaincu. Enchaînement avec le discours d'Aristote : «Les Perses, de race inférieure, contrôlent les deux tiers du monde connu.» Sa cosmographie : le Nil serait en contact avec l'Océan extérieur. L'amour d'Achille et de Patrocle : éloge de la pédérastie bien comprise...
2. Avant la bataille de Gaugamèle. Dialogue entre Alexandre et Hephæstion : «Patrocle est mort le premier. Je te vengerais, Hephæstion [si tu venais à mourir]
3. Alexandre et ses officiers découvrent le harem de Darius à Babylone. Allusion à l'homosexualité endémique des Grecs : l'un des «gardes du corps», Léonnatos, fait une fine allusion à sa camaraderie avec son collègue Lysimaque : «Comment revenir dans les bras de Lysimaque après tout ça ?»
Regards croisés d'Alexandre et de l'eunuque Bagoas.
4. Après avoir lu une lettre envoyée par sa mère. Allusion ténue. Alexandre congédie l'eunuque Bagoas : «Je prendrai mon bain seul
5. Peu après. Hephæstion : «N'y a-t-il aucun amour dans ta vie, Alexandre ? (...) N'augmentes-tu pas tes conquêtes pour mettre le plus de distance entre ta mère et toi ?» Réponse d'Alexandre : «Enfant, ma mère me croyait divin, mon père faible. Je n'ai confiance qu'en toi, en ce monde. C'est toi que j'aime en ce monde, Hephæstion. Nul autre !...» Hephæstion : «... ta tête penchée, tes yeux...»
6. Nuit de noces d'Alexandre et Roxane. Hephæstion offre en cadeau de mariage une bague précieuse à Alexandre. Roxane surprend le conversation des amants et mène à son époux une nuit de noces âpre et difficile. «Tu... aimes cet homme ? - C'est Hephæstion. Il y a bien des façons différentes d'aimer, Roxane...» Lutte, poignard. Finalement, pour pouvoir posséder sa femme, Alexandre doit ôter la bague d'Hephæstion.
7. Pendant qu'Antigonos et Cleitos assassinent Parménion, Alexandre compulse ses cartes et ses notes. Ce travail achevé, Alexandre se glisse - nu - sous la couette et, de la main, adresse un signe d'invite à Hephæstion.
8. Le banquet où danse Bagoas. Vainqueur, Alexandre confirme les roitelets indiens dans leurs anciens privilèges. Un festin sanctionne leur alliance avec le conquérant macédonien. Danse de l'eunuque Bagoas. Incontinent, Alexandre lui «roule un patin».

 

 


 

NOTES :

(1) F. VANDECASSERIE, Télé-Moustique, n­ 4119, p. 23. - Retour texte

(2) R. LYNCH, Cinéma S.F.X., n­ 113, p. 18. - Retour texte

(3) C. SPENCER, Histoire de l'Homosexualité, Pré-aux-Clercs, 1998; rééd. Pocket, coll. «Agora», n­ 211, 1999, p. 43. - Retour texte

(4) Parmi les concubines d'Alexandre, outre les hétaïres professionnelles, il faut mentionner la veuve de son adversaire Memnon, Barsine, capturée à Issos en 333, dont il fit sa maîtresse. Elle lui donna, Héraklès, en 328 (exécuté sur l'ordre de Cassandre à l'âge de quatorze ans).
Pendant l'hiver 327-328, il épousa Roxane, fille d'Oxyarthès, satrape de Bactriane, qui lui assura la paternité posthume d'Alexandre VI Aigos (né en octobre 323).
Retour du désert de Gédrosie (324), il organisa à Suse le mariage de 10.000 officiers et soldats macédoniens avec des femmes perses. Lui-même épousa alors Stateira, ou Barsine, fille aînée de Darius III (ARRIEN, VII, 4. 4-8), que ce dernier lui avait déjà offert en mariage si le conquérant consentait à ne pas occuper le pays au-delà de l'Halys. Selon Aristobule, non seulement il épousa Stateira, mais également sa jeune sœur Parysatis. - Retour texte

(5) Cette Thaïs qui, plus tard, monta sur le trône d'Egypte aux côtés de son époux Ptolémée Sôter (QUINTE CURCE, V, 7. 3), ancien mignon d'Alexandre, et peut-être aussi son demi-frère. - Retour texte

(6) Il apparaîtrait pour le première fois en 1869, dans un texte allemand anonyme. - Retour texte

(7) H. MICHELL, Sparte et les Spartiates, Payot, coll. «Bibliothèque Historique», 1953, p. 216 sq. - Retour texte

(8) Georges CONTOGEORGIS, Histoire de la Grèce, Hatier, coll. Nations d'Europe, 1992, p. 402. - Retour texte

(9) Amnesty International - Le Monde, 9 avril 1993, cité dans Anne MORELLI (sous la dir.), Les Grands mythes de l'Histoire de la Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, Editions Vie Ouvrière, coll. «EVO-Histoire», 1995, p. 9.
L'anecdote serait amusante si, quelque part, elle n'était - aussi - pathétique ! Elle nous rappelle le naïf ou provocateur collaborateur du fanzine Bo-Doï, attaquant une interview de Jacques Martin par une question du genre : «Pourquoi avoir fait d'Alix un ami d'un criminel de guerre comme Jules César ?» A moins d'être révisionniste, comment peut-on parler de «criminel de guerre» en parlant de personnages historiques qui vécurent dans des époques où ce concept n'existait pas, était impensable... ? - Retour texte

(10) Cf. André ALEXANDRI, La tribune de Genève, 2 mars 1956 (entrefilet). - Retour texte

(11) Du moins en principe, question d'époque. Sous la République finissante, avec l'intrusion des désastreuses «mœurs grecques», on avait pu voir le jeune Marc Antoine - le futur triumvir - et son tendre ami C. Scribonius Curio faire le désespoir de leurs parents. Cf. Jean-Noël ROBERT, Eros romain, Les Belles Lettres, 1997. - Retour texte

(12) P. VIDAL-NAQUET, «Le Chasseur Noir et l'origine de l'éphébie athénienne», in Le Chasseur Noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Maspero, coll. «La Découverte», 1991, p. 151 sqq. - Retour texte

(13) P. VIDAL-NAQUET, Le Chasseur Noir, op. cit., p. 202. - Retour texte

(14) Hephæstion commandait les sômatophylaques à Gaugamèle, sans doute une unité détachée des hypaspistes dont certains membres, à l'occasion, pouvaient prendre la tête d'une autre division de l'armée. - Retour texte

(15) Navire de guerre à cinq files de rameurs se partageant trois rangs de rames : l'équivalent de la quinquérème des Romains. - Retour texte

(16) Colin SPENCER, Histoire de l'homosexualité, op. cit., p. 46. - Retour texte

(17) Nous avons systématiquement uniformisé en Hephæstion les différentes transcriptions - Ephaïstion, Ephestion, Hephaestion, Héphaestion, Hephaistion, Hephaïstion, Héphaïstion, Hèphaïstion, Héphestion. - Retour texte

(18) R. LYNCH, Cinéma S.F.X., n­ 113, p. 19. - Retour texte

(19) R. LYNCH, Cinéma S.F.X., n­ 113, p. 18. - Retour texte

(20) R. LYNCH, Cinéma S.F.X., n­ 113, p. 20. - Retour texte

(21) Jean-Paul CHAILLET, Ciné Live, n­ 86, janvier 2005, p. 36. - Retour texte

(22) O. Stone : «Alexandre a exploré le monde et cherché à repousser les frontières de celui-ci, et pour lui, la sexualité en faisait partie» (R. LYNCH, Cinéma S.F.X., n­ 113, p. 19). - Retour texte