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Le Pharaon
(Jerzy
Kawalerowicz, Pologne - 1965)
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Nous sommes à la fin de la XXe dynastie,
l'Empire égyptien est en pleine décadence. Pour
préserver les richesses et privilèges du puissant
clergé d'Amon, le grand-prêtre Hérihor (1)
est prêt à abandonner la commerçante Phénicie,
vassale de l'Egypte et source de richesses, sur laquelle les
féroces guerriers assyriens ont jeté leur dévolu.
Ses caisses vides, le jeune pharaon Ramsès XIII réussira-t-il
à secouer la torpeur de son peuple superstitieux et à
reconstituer une armée pour s'opposer à l'envahisseur
? |
En matière de films épiques,
les années '60 furent un âge d'or, mais pas seulement
pour les cinématographies italienne et américaine.
De l'autre côté du Rideau de Fer, le cinéma
polonais nous campa quelques grandes fresques épiques comme
Les Chevaliers Teutoniques d'Alexander Ford (Kzryzacy,
1960), Le colonel Wolodyjowski et Plus fort que la Tempête
de Jerzy Hoffman (Pan Wolodyjowski, 1969 & Potop
(Le Déluge), 1974), tous trois tirés de l'uvre
d'H. Sienkiewicz (2).
Retraçant la fin d'une civilisation aussi exotique que
celle de la vallée du Nil, Pharaon ne se distinguait
qu'en apparence de ces «épopées nationales».
Tirée du roman d'un autre grand écrivain polonais,
Boleslaw Prus, cette fresque de la fin de l'Empire thébain,
comme du reste le sienkiewiczien Quo Vadis ? paru en même
temps, était connue comme une métaphore des malheurs
de la Pologne gémissant sous la botte des Tsars - nous
y reviendrons. Dans la mémoire des cinéphiles,
cette adaptation cinématographique demeurera un exemple
de rigueur stylisée et de sobriété à
cent lieues des péplums hollywoodiens. Le film de Kawalerowicz
nous entraîne dans une Egypte poudreuse, où se réverbère,
implacable, le disque solaire d'Amon-Ra, jusque dans les profondeurs
ténébreuses des sanctuaires adonnés à
son culte. Là se jouera le drame des puissants de ce monde,
toujours le même quelles que soient l'époque ou la
latitude. Difficile de prendre parti entre la jeunesse audacieuse
et l'expérience des sages. Entre l'économie et la
dépense. Entre la paix et la guerre. Entre populisme et
théocratie. «Peut-être les dieux pardonnent-ils
le viol de leurs secrets; les prêtres jamais !»
Qu'il s'agisse de chasser d'Egypte les étrangers - les
Phéniciens trop riches, les Lybiens trop pauvres, dont
on n'a plus besoin - ou de soulager la misère du peuple
en lui accordant un jour de congé sur sept... dont coût,
pour l'Etat qui ne peut se le permettre, 100.000 talents par an.
Drame d'une société en crise, qui n'a rien perdu
de son actualité en nos jours qui voyent la montée
de l'extrême-droite et la remise en question des acquis
sociaux. |
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I. Le film de Kawalerowicz
On reste émerveillé par certaines notations,
tel ce défilé de scarabées sur la route,
lesquels - bloquant la manuvre de l'armée égyptienne
et détournant cette dernière -, provoque, en
contre-coup, l'anéantissement d'un précieux
canal d'irrigation et la mort du fellah qui y était
attaché.
Addition de situations et de personnages étalés
sur plus de trois siècles, Pharaon nous propose
une synthèse d'histoire qui peut parfois étonner
par la modernité de certains sentiments. Ainsi l'anticléricalisme
et l'athéisme affichés par Kawalerowicz, qui
certes se conçoivent au temps de la Pologne communiste
(c'est l'Armée rouge qui lui fournira les 2.000 figurants
nécessaires aux scènes de bataille filmées
dans le désert d'Asie centrale), étaient déjà
dans le roman de Prus (3)
: «Le temps n'est plus où les Egyptiens croyaient
aux dieux, dit Thoutmôsis en riant. Les soldats et les
paysans s'en moquent déjà ouvertement. Nous
insultons les dieux phéniciens, les Phéniciens
outragent les nôtres - et la foudre n'est jamais tombée
sur personne !...» On jugera que, parfois, le film
manque de nuance dans sa relation avec l'Histoire. Ainsi,
loin de n'être qu'un prêtre qui s'est fait attribuer
le commandement suprême de l'armée, un stratège
incompétent, le véritable Hérihor - dont
la personnalité reste en fait assez méconnue
- était, tout au contraire, un militaire qui comme
«Grand-Prêtre» s'était fait octroyer
la direction suprême du clergé.
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La futile Hébron et Ramsès
XIII. La fureur de vivre d'une jeunesse dorée,
malgré les sombres perspectives d'avenir. Notez,
en passant, l'intéressant travail des perruquiers.
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1. Les femmes, patries charnelles...
Jerzy Zelnik campe un Ramsès manipulé par des
femmes dans l'ombre desquelles de puissants intérêts
tirent les fils. Dès les premières pages du roman,
Thoutmôsis - lui-même impénitent coureur
de jupons et loyal ami de Ramsès - se demande si le prince,
négligeant son armée pour conter fleurette, a
vraiment l'envergure nécessaire pour s'opposer aux prêtres.
La chaste esclave juive Sarah (Krystyna Mikolajewska) ne lui
aurait sans doute jamais cédé - à lui,
un Egyptien - s'il n'avait été l'héritier
du trône, attitude qui fait d'elle un personnage à
la fois sincère et ambigu, manifestement décalqué
de l'Esther biblique. Esther avait accepté l'amour de
l'Empereur perse Assuérus... surtout pour pouvoir protéger
son peuple persécuté. Ce qui fait d'elle un personnage
patriote ou calculateur... selon d'où on se place. En
tout cas, il lui en aura coûté d'accepter l'amour
d'un homme qui ne partageait pas sa foi - fut-il le futur pharaon.
Ce privilège, elle le payera au prix fort. Manipulée
par les prêtres, victime des intrigues de sa rivale Kama,
elle retournera déshonorée parmi les siens, les
esclaves (4).
(Dans le roman, Sarah était fille de Gédéon,
régisseur d'un seigneur scribe Sesofris, sur la terre
de Gosen; mais le fellah du canal d'irrigation était
un Egyptien, qui injuriait les mercenaires grecs «étrangers
barbus, frères des Juifs et des Phéniciens».
Ramsès la rachetait à son père pour le
prix de la chaîne en or qui ornait son cou. Equivoque,
le film, en passant sans transition de l'épisode du canal
à la rencontre avec Sarah suggérait une possible
parenté entre le paysan-esclave et la jeune fille du
régisseur.)
L'autre femme est la danseuse phénicienne Kama (Barbara
Brylska), chargée par ses compatriotes de séduire
Pharaon, afin d'obtenir que celui-ci fasse la guerre à
l'Assyrie afin de protéger la Phénicie. Kama déborde
de haine pour sa rivale, «la Juive», la concubine
dont le fils - bâtard d'Egyptien - pourrait, comme vice-roi,
un jour monter sur le trône d'Israël, vassale de
l'Egypte. Il lui faut la détruire, coûte que coûte.
Dans la partie truquée qui s'annonce, les Phéniciens
sont tout à la fois arbitre et partie. Commerçants
avisés, ils ont toujours vécu en bonne intelligence
avec leurs maîtres égyptiens, qu'ils enrichissent
de leurs tributs. Des victimes ? Pas si sûr, car il est
clair aussi qu'en cas de conflit entre l'Egypte et l'Assyrie,
ils ne se gêneront pas pour trafiquer avec l'un et l'autre,
négocier butin et prisonniers voués à l'esclavage.
Soufflant le chaud et le froid, ils redoutent à bon droit
la cruelle domination des belliqueux Assyriens et menacent d'évacuer
leur pays, de prendre la mer avec leurs bateaux si l'Egypte
(5)
ne les défend pas. En fait, les Phéniciens sont
surtout des comploteurs-nés, essentiellement intéressés
par le profit. Mais comment pourraient-ils agir autrement, étant
pris entre deux «grands» à la discrétion
desquels il leur faut bien s'en remettre ? Prus mène
de main de maître une intrigue politique éblouissante
dont de longs dialogues extraits se retrouveront mot pour mot
dans le film de Kawalerowicz, adaptateur scrupuleux (souci que
l'on retrouvera dans son Quo
Vadis ?, 2001).
Enfin, il y a l'Egyptienne Hébron (6)
(Ewa Krzyzewska), la jeune promise de Thoutmôsis, l'ami
intime de Ramsès. Elle ne s'est fiancée à
ce noble seigneur que pour être plus proche du prince
qu'elle vénère (avec beaucoup de tact, le fidèle
et complaisant Thoutmôsis renoncera à cette union).
Entre Kama et Sarah, Hébron est un personnage qui, dans
cette intrigue, cherche sa place... Les maîtresses de
Ramsès, Kama la Phénicienne, Sarah la Juive et
Hébron l'Egyptienne ont pour seule raison d'être
de montrer le caractère faible et hésitant du
jeune pharaon. A la limite, on pourrait y reconnaître
une allusion à la structure plurinationale de l'ancienne
Egypte, qui correspondrait à la République nobiliaire
polonaise dans laquelle cohabitaient plusieurs ethnies... |
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C'est dans l'enceinte de ce sanctuaire que le drame
va se dénouer |
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2. Palette chromatique
Tourné par 35 ÐC dans le désert de sable d'Ouzbekistan
et, partiellement, in situ au pied des Pyramides, dans
l'enceinte du Temple d'Amon à Karnak et dans la Vallée
des Rois, Pharaon a les couleurs fanées d'une
civilisation révolue, «anachorétique»
pourrait-on dire. Des visages plaqués de fard gris, des
corps bronzés demi-nus contrastant avec les linges blancs
qui les vêtent sont les choix chromatiques du réalisateur.
Dans l'objectif de la caméra, les ocres du désert,
les gris de granits décolorés par le temps prévalent
sur la luxuriance des jardins, comme sur la chamarrure des salles
peintes de vives couleurs dont les aquarelles des voyageurs
du XIXe s., David Roberts, Giovanni Belzoni, Hector Horeau etc.,
nous ont restitué le souvenir.
Contre l'avis de son conseiller
historique, K. Michalowski, Kawalerowicz poussa la stylisation
chromatique jusqu'à affubler pharaon tantôt
d'un pschent, la couronne double, or pour
le rouge et argent pour le blanc - interprétation
plausible (7)
quoique peut-être audacieuse - et tantôt d'un
casque de guerre (khépresh) de pâle
azur métallique, plutôt que bleu-cobalt soutenu
(8).
Tourner certaines séquences au milieu de ruines
antiques dénote certes un souci d'authenticité
- mais guère de vraisemblance. Les Egyptiens ne
construisaient en pierre que les temples et les tombeaux,
et il ne subsiste aucun vestige de palais qui leur soit
comparables. Les pharaons habitaient des demeures faites
de bois et de briques d'argile séchée au
soleil, dont il ne reste rien d'utilisable pour les cinéastes.
Mais quel pharaon accepterait d'habiter des ruines éventrées,
à moins d'une métaphore du déclin
d'une civilisation ?
Dans un billet publié dans Les cahiers du
cinéma au moment de la sortie de l'Egyptien
de Michael Curtiz, Herman G. Weinberg (9)
persiflait à propos de la pruderie américaine
qui rhabillait jusqu'au cou les Egyptiens lesquels, en
réalité, voici trois mille ans, vivaient
quasi-nus. Que l'on se reporte aux quadrichromies rassemblées
dans les ouvrages sur l'art égyptien ou aux traités
du XIXe s. sur le costume antique (légèrement
dépassés [10],
soit !), Pharaon restitue très bien les
costumes égyptiens antiques, tels qu'on peut les
voir sur les fresques et bas-reliefs (pagne de lin blanc,
perruques de laine tressée) avec un souci d'exactitude
archéologique qui n'exclut pas la stylisation.
Les guerriers égyptiens portent des perruques de
laine torsadée, qui leur servent de casques. Aux
prêtres au crâne rasé répondent
les époustouflantes compositions capillaires féminines
(et aussi celles de Thoutmôsis), amplifications
(11)
à peine de celles portées voici trois
mille ans, dont l'une des fonctions et non la moindre
est de masquer la poitrine dénudée de l'actrice
qui la porte. |
Pharaon porte le "pschent"... or et
argent |
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Par sa sobriété étudiée (12),
l'Eastmancolor
délavé de Pharaon, qui n'est pas
sans rappeler les magazines des années '50, a un petit
parfum d'archives qui contraste avec la munificence Technicolor
à la C.B. DeMille des Dix Commandements.
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Une danseuse (Alina Borkowski) fait les pointes
en tendant un voile pudique : orgie stylisée
et érotisme diffus
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3. Un érotisme diffus
En 1964, c'était une belle audace et même carrément
«en avance» que de faire tourner par des actrices
tout un film en monokini. Et même si Kawalerowicz n'a
pas poussé jusqu'au bout ce choix (c'eût été
de la complaisance [13]),
son souci de réalisme reste à ce jour inégalé
comme en témoigna encore récemment la série
docu-fiction réalisée par Tony Mitchell, The
Ancient Egyptians (14),
au demeurant excellente.
Hors le pagne court, essentiellement masculin, les costumes
égyptiens étaient plutôt unisexe, d'où
que les femmes dévoilaient généralement
leurs seins, du moins les jeunes (la nudité intégrale
dénotant plutôt la condition servile ou l'enfance
[15]).
Consacré à Isis et symbole de pureté, le
lin était l'étoffe de prédilection des
Egyptiens. D'origine animale la laine était, elle, considérée
comme impure et était interdite dans les enceintes sacrées
des temples. «Certains portaient des robes soutenues
par des bretelles, allant des seins aux chevilles, tombant droit
et sans ornements. A cette tenue austère, la plupart
des Egyptiens préféraient la robe plissée
en lin, qui laisse le cou bien dégagé, moule le
torse et s'évase vers le bas (16).»
Les femmes portent elles aussi de ces robes plissées,
appelées d'un mot grec kalasiris (Hdt., II, 81)
: «Une chemise très fine et par-dessus une robe
blanche plissée et transparente comme celle des hommes.
Elle se noue sous le sein gauche et découvre le sein
droit, s'ouvre au-dessous de la ceinture et descend jusqu'aux
pieds (17).»
Une photo de presse (18)
montre Kama, dans une scène tombée au montage,
portant une de ces fines étoffes plissée, avec
dessous un minuscule cache-sexe mais les deux seins couverts,
assez semblable à celle que - par exemple - porte la
reine Nefertari sur une fresque de son tombeau.
Avec beaucoup de jugement, Kawalerowicz - tout en restant
dans les limites de la décence - restitue l'érotisme
diffus des fresques égyptiennes. Bien sûr, à
filmer des dos nus ou des perruques laquées couvrant
opportunément les seins contraint les actrices à
un jeu de scène parfois empreint de raideur, mais il
reste que la tentative de libération des corps, archéologiquement
justifiée, était intéressante. |
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La reine-mère Nikrotis, une
intrigante, veut ramener son fils Ramsès XIII
dans l'obéissance au clergé d'Amon
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4. Anachronismes
Le livre et le film comportent un certain nombre d'erreurs
historiques imputables à l'état des connaissances
égyptologiques à la fin du XIXe s. Kawalerowicz
en a d'ailleurs rectifié une, de taille, l'usage anachronique
de mercenaires grecs sous la XXe Dyn., commandés par
des officiers nommés Patrocle et Kalipsos.
Le légendaire «trésor des pharaons»,
trésor d'or vénal conservé dans un labyrinthe
en est une autre, qu'il était impossible d'éluder
vu son rôle central dans l'intrigue.
4.1.
Les mercenaires grecs
On a longtemps cru que le terme égyptien Haou-nebout
désignait les Grecs (il finira d'ailleurs par les
désigner, mais tardivement [19]).
Ce terme, aux temps qui nous intéressent ici, semble
n'avoir concerné, en fait, que les Libyens - et
le film de Kawalerowicz, à la différence
du roman, a rectifié l'erreur en remplaçant
les mercenaires grecs par des Libyens.
On a souvent rapporté au règne de Mineptah
(1232-1224 - XIXe Dyn.), l'emploi de mercenaires achéens.
Mais les Akaiouash de Libye, dont parlent les archives
amarnéennes, étaient-ils bien apparentés
à la civilisation mycénienne ? Une allusion,
au chant XIV de L'Odyssée, rapporterait
aux temps de la guerre de Troie la présence de
guerriers professionnels achéens au service de
l'Egypte; mais le texte de L'Odyssée fut
fixée entre le IXe et le VIIe s., et Psammétique
Ier (663-609) reste le premier pharaon dont on puisse
dire, avec certitude, qu'il employa des mercenaires grecs.
4.2. La chair des
dieux
En Egypte, l'or était sacré, étant
considéré comme la chair des dieux.
Les seuls trésors qu'aient jamais pu imaginer les
Egyptiens étaient les céréales et
autres stocks de matières premières. L'or
vénal était inconnu de cette civilisation
qui n'a jamais battu de monnaie. Les Egyptiens avaient
une monnaie comptable, le shat d'or, mais pas de
monnaie de circulation. La soif d'or de Chéops,
dans Terre des Pharaons (Howard Hawks, 1954) est
donc un contresens, du point de vue des mentalités.
La plus ancienne mention du «trésor des
pharaons» est dans l'Odyssée (chant
IV), lorsque Ménélas parle de «Polybos,
qui habitait dans la Thèbes d'Egypte, où
de nombreuses richesses étaient renfermées
dans les demeures. Et Polybos lui donna deux baignoires
d'argent, et deux trépieds, et dix talents d'or,
etc.» En ceci est conforme à l'Odyssée
tel film de Giorgio Ferroni qui montre Ménélas
retour de Troie, pillard rapace, venu en Egypte offrir
à pharaon l'aide de ses troupes mercenaires dans
le seul but d'en piller le trésor (Hélène,
reine de Troie, 1964).
4.2.1.
Fort Knox égyptien
«Il y avait là des tonneaux
remplis de poussière d'or; des barres d'or
fondu étaient alignées le long des
murs; des briques d'argent s'amoncelaient jusqu'au
plafond. Sur des tables étaient disposés
des monceaux de rubis, de topazes, de saphirs et
de diamants, de perles grosses comme des noix. Pour
un seul de ces bijoux, on eût pu acheter une
ville» (Prus, Le Pharaon). Dans
le film, le trésor consiste essentiellement
en lingots d'or, soigneusement rangés comme
sur des palettes. Pas d'argent, ni de perles, ni
de joyaux, ni d'objets précieux d'aucune
sorte. Rien que des parallélépipèdes
d'or. «Tel que montré dans le film
- explique François Daumas, intervenant dans
le débat de l'A2 (voir «bonus»
DVD) -, aucun trésor comparable n'a
certainement jamais existé, à notre
connaissance, dans les pyramides. Certes, certains
dépôts d'objets d'or ont dû exister
dans les réserves des palais, des temples,
des tombeaux. Mais les anciens Egyptiens n'accordaient
aucune valeur monétaire à l'or : leur
société était basée
sur le troc. Lorsque, contraints par la nécessité
(l'invasion perse), ils créèrent pour
payer leurs mercenaires, une monnaie, ils la frapperont
à la réplique exacte de la darique
perse, et à l'effigie de leur roi; et les
numismates, au début, les prendront pour
des contrefaçons. L'or était considéré
comme la chair des dieux, une offrande agréable.»
Même si les pilleurs de tombe égyptiens
de l'antiquité ne cherchaient qu'à
s'emparer pour leur propre usage d'objets rituels
(et non de richesses vénales), ces dépôts
pouvaient être considérés, par
les peuples usant de monnayage, comme trésor.
Ce qui suggérera, d'ailleurs, à Hérodote,
le célèbre conte de Rhampsinite (où
un architecte construisant un tombeau, inclut un
mécanisme secret pour pouvoir y accéder
secrètement et piller le trésor funéraire
[20]).
Maspero n'a pas hésité à considérer
cette fable comme authentique et à l'insérer
dans ses Contes égyptiens.
«Certains mécanismes secrets, mis
au point par les architectes égyptiens,
ajoute Daumas, telle certaine porte à
Denderah, que l'on pourrait encore faire fonctionner,
confortent l'idée de trésor «coffre-fort.»
L'aura de mystère dont nous nimbons les pyramides
depuis le XVIIIe s. - et même depuis Hérodote,
peut-on dire - fera le reste !
4.2.2.
Le Labyrinthe du Fayoum
Le roman situait le labyrinthe non sous
une pyramide, mais sous un temple de la province
de Piom, c'est-à-dire dans le Fayoum, au
bord du lac Mris. Cette localisation et sa
description se conforme à celles d'Hérodote
et de Strabon qui parlaient de trois mille pièces
et salles, sur deux niveaux. Selon le romancier,
au lieu de donner au visiteur un itinéraire
direct, une grille à décoder le contraint
à faire quatre fois le tour du labyrinthe
en ouvrant chaque fois de nouvelles portes secrètes,
d'où qu'il lui soit ensuite impossible se
rappeler le chemin emprunté. Sementou - le
prêtre de Seth allié de Ramsès
- percera à jour l'ultime mécanisme
de sécurité prévu par les prêtres
pour, le cas échéant, rendre leurs
trésors définitivement insaisissables
: tout le labyrinthe est miné par des charges
de poudre noire explosive ! (Kawalerowicz ne croira
pas devoir conserver dans son film ce détail
par trop rocambolesque, dont Jacques Martin dans
Le Sphinx d'Or avait cependant fait ses choux
gras : ses secrets sur le point d'être percés
par l'espion de Jules César, le temple d'Efaoud
se faisait sauter.) |
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NOTES :
(1)
Nous orthographierons systématiquement «Hérihor»,
conformément à l'usage français, en dépit
du fait que le roman de Prus, et la documentation cinématographique
relative au film de Kawalerowicz, nomment ce personnage «Herhor».
- Retour texte
(2) Dans Les Chevaliers
de la Croix (1901), Sienkiewicz raconte la défaite
des Chevaliers Teutoniques par les Polonais, à la bataille
de Grunwald, ou Tannenberg, le 15 juillet 1410 (le film de Ford
fut commandité pour le 550e anniversaire de la bataille).
Quant à la trilogie romanesque Par le fer et par le
feu (1884), Le Déluge (1886-1887) et Messire
Wolodyowski (1888-1889), elle retraçait respectivement
la révolte des Cosaques, appuyée par les Tartares,
durant les années 1648 et 1649, la lutte de la Pologne
contre le roi de Suède Charles X Gustave au temps de
Jean II Casimir Wasa, en 1655-1660 et, le troisième,
la guerre contre les Turcs et l'héroïque résistance
de la forteresse de Kamieniec, sous Jean II Sobieski, en 1668-1673.
Toutefois, après en avoir réalisé les volets
trois et deux, Jerzy Hoffman devra attendre vingt-cinq ans avant
de pouvoir en porter à l'écran le premier épisode,
Par le fer et par le feu (Ogniem i Mieczem, 1999).
A noter que dans les années '60, Fernando Cerchio s'en
était chargé, en Italie (Col ferro e col fuoco,
1962) !
Dans la même période, la Pologne tournera encore
: Pierscien ksieznej Anny (L'anneau de la duchesse Anne)
(1970), de Maria Kaniewska : les Polonais sous le joug de l'Ordre
Teutonique, en 1406; Boleslaw Smialy (Boleslav le Hardi)
(1971), de Witold Lesiewicz : Boleslas II, en 1079; Kopernik
/ Copernicus (1972), d'Ewa et Czeslav Petelski; Gniazdo
(Le berceau) (1974), de Jan Rybkowski : sous Miezko Ier,
bataille de Cedynia contre le Saint-Empire, en 972; Kasimierz
Wielki (Casimir le Magnifique) (1974/75), d'Ewa et Czeslav
Petelski : Casimir III le Grand, en 1333-1370 (remerciements
à Hervé Dumont, Cinémathèque de
Lausane, pour ces dernières précisions filmographiques).
- Retour texte
(3) Il est clair que
tout ce que le romancier fait dire à ses personnages
ne reflète pas nécessairement sa pensée.
Très loin d'être anticlérical, Prus - comme
tous les positivistes
- saluait le savoir des prêtres et déplorait l'ignorance
des gens du peuple. Nous y reviendrons dans le paragraphe
consacré au romancier. - Retour
texte
(4) Dans le film, on
ne voit guère les Juifs (il serait plus judicieux, historiquement,
d'ici parler des «Hébreux»); en fait on ne
les voit pas du tout, sauf Sarah. Or, judéo-christianisme
oblige, nombre d'auteurs du XIXe s. et de cinéastes au
XXe semblent avoir éprouvé des difficultés
à évoquer l'exotique civilisation des pharaons
sans passer par la Bible (CLICK
- CLICK
- CLICK) : Moïse,
Abraham, Joseph... Que font donc ces Hébreux en Egypte
en 1085, alors qu'ils sont supposés en être repartis
avec Moïse depuis plusieurs siècles déjà
? Il est vrai que les questions de chronologie n'inquiètent
guère Prus, tout son roman en témoigne.
Soulignons que ce sont les Phéniciens qui, dans le roman
et dans le film, sont liés au pouvoir de l'argent.- Retour
texte
(5) C'est du reste ce
qui finalement arrivera, mais deux siècles plus tard,
lorsque fuyant les Assyriens une colonie de Tyr fondera Carthage
en Afrique du Nord (IXe s.). - Retour texte
(6) Dans le roman, Hébron,
fille d'Antiphe, le gouverneur de Thèbes, est une jeune
fille très mondaine et très courtisée,
qui n'épouse le général Thoutmôsis
qu'en raison de sa position prestigieuse auprès du pharaon
(Thoutmôsis, en retour, ne s'intéresse qu'à
sa dot). Dans la dynamique du roman, Hébron a un rôle
très effacé (Chap. XVII et XIX, et quelques mentions
ultérieures). Sa liaison avec Ramsès est exploitée
par les prêtres - qui, en son absence, introduisent dans
le palais son sosie Lycon, lequel se livre nu à toute
sorte d'extravagances - afin de faire naître des rumeurs
sur son irresponsabilité.- Retour
texte
(7) Les couleurs des
fresques sont-elles exactes ou conventionnelles ? - Retour
texte
(8) En fait le khépresh
n'est pas un casque de guerre, comme on l'a cru autrefois. Distinguons
donc le casque argenté à reflets bleutés
que porte Ramsès XIII réprimant la révolte
des mercenaires, du khépresh proprement dit, doré
et clouté qui le coiffe tout à la fin du film,
lorsque Lycon vient l'assassiner. - Retour
texte
(9) Herman G. Weinberg,
«Lettre de New York», Les cahiers du cinéma, n° 41, décembre 1954. - Retour texte
(10) Nous songeons,
bien entendu, aux classiques «Hottenroth» et «Racinet».
1) Albert Racinet, Le costume historique, Firmin Didot
éd., 1876-1888, 6 vols, env. 2.000 p. Les planches couleur
ont été rééditée en un volume
dans : A. Racinet, Histoire du costume (Introd. Aileen
Ribeiro), Paris, Bookking International éd. (1988), 1991,
320 p.;
2) Friedrich Hottenroth, Le costume, les armes, les bijoux,
la céramique, les ustensiles, outils, objets mobiliers,
etc. chez les peuples anciens et moderne, Paris, A. Guérinet,
1885-1899. Les 240 planches couleur ont été rééditées
dans : F. Hottenroth, L'art du costume, Paris, L'Aventurine
éd., 2002.
Il est à noter que les rééditions de ces
«sommes» se limitent généralement
aux planches d'époque, leur seul intérêt,
le texte original ayant été rafraîchi ou
sabré (en général, il se limite aux légendes
des illustrations).- Retour texte
(11) Dans le précité
Hottenroth, l'édition originale comme la réédition,
une série de figures sont consacrées aux coiffures
égyptiennes qui confirment le film de Kawalerowicz. -
Retour texte
(12) On peut ainsi regretter
l'absence de certaines notations qui eussent archéologiquement
judicieuses : par exemple l'absence de peaux de léopard,
marque distinctive des prêtres, qui de surcroît
se seraient très bien harmonisées dans la palette
chromatique du film. - Retour texte
(13) Sur les dix-sept
scènes du film où intervient la gent féminine,
Kama apparaît 5 fois, et chaque fois est nue ou quasiment,
tandis que Sarah, sur ses 6 scènes, est nue deux fois
seulement; à celà il convient d'ajouter la scène
d'«orgie» avec sa danseuse. Nikrotis et Hébron
apparaissent respectivement à 3 et 2 reprises, mais toujours
dans des robes fourreau (recensé d'après la version
DVD de 144'). - Retour texte
(14) Le Temps des
Pharaons [prod. Wall to Wall], quatre épisodes et
six reportages sur divers aspects du tournage (Canada - Grande-Bretagne,
2003).
DVD : Warner Home Video, réf. Z10 31379.- Retour
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(15) «Les musiciennes
de profession portaient, comme les dames, la grande robe transparente.
Souvent elles ne portaient aucun vêtement, mais seulement
quelques bijoux, ceinture, collier, bracelets, boucles d'oreilles.
Les servantes de la maison, qu'il n'est pas toujours facile
de distinguer des enfants, circulent nues, surtout lorsque leurs
maîtres reçoivent des invités, et offrent
hardiment à l'admiration leur petit corps mince et agile»
(Pierre Montet, La vie quotidienne en Egypte au temps des
Ramsès, Hachette, 1946, p. 78).- Retour
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(16) P. Montet,
op. cit., p. 77. - Retour texte
(17) P. Montet,
op. cit., p. 77.- Retour texte
(18) Dans le press-book
Atlas Filmverleih GmbH. - Retour texte
(19) Cf. Jean
Vercouter, Essai sur les relations entre Egyptiens et Préhellènes,
Adrien Maisonneuve éd., coll. l'Orient ancien illustré, n° 6, 1954.
A noter que Cecil B. DeMille, dans Les Dix Commandements
(1957), se conforme aux thèses dix-neuvièmistes
en montrant un ambassadeur troyen (en panoplie militaire grecque
classique), apportant au nom du roi Priam le tribut à
Ramsès II. Et dans le récent Troie (2004),
Wolfgang Petersen place dans sa ville de Troie quelques colosses
de style égyptien. - Retour texte
(20) Il existe une autre
version de ce conte, mettant en scène des frères
architectes - Agamède et Trophonios -, mais qui se passe
à Orchomène, en Grèce centrale. Laquelle
des deux est copiée sur l'autre ? - Retour
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