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Vercingétorix
(Jacques Dorfmann, France-Canada 2000)

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Pages précédentes :

I. Ami si tu tombes...

II. «I'am a poor lonesome vergobret...»

III. L'offensive médiatique

IV. Vercingétorix sur le grand écran

V. La Guerre des Gaules revue et corrigée

Sur cette page :

VI. Une ellipse majeure : l'expédition en Bretagne

VII. Le siège d'Alésia

Les auxiliaires de César
Les légions de César
La reconstitution filmique du siège d'Alésia
La pensée stratégique de Vercingétorix
L'armée de Vercingétorix

VIII. Roi gaulois... ou mérovingien ?

IX. Et pour conclure...

Pages suivantes :

X. Fiche technique

XI. Discographie

XII. Bibliographie

XIII. Scénario

XIV. Conception et tournage du film

XV. Critiques

XVI. Appendices

VI. Une ellipse majeure : l'expédition en Bretagne

Le film suggère donc que Jules César et ses légions sont restés bien tranquillement sur le continent, tandis que les Gaulois conquéraient la Grande-Bretagne pour le compte des Romains. Et Vercingétorix aurait été pressenti pour conduire les Gaulois !

Si l'on s'en tient aux sources textuelles, c'est une contre-vérité. Toutefois si l'on examine attentivement l'enchaînement des séquences du film, ce n'est pas du tout cela qui est raconté :

1) Lorsque César rencontre Vercingétorix sur la route de Bibracte-Gergovie, il offre au fils du chef déchu de devenir roi des Arvernes et citoyen romain, roi des Gaules même, s'il consent à l'accompagner en Grande-Bretagne. Vercingétorix accepte et se rend à Gergovie en vue de déposer l'usurpateur Gobannitio. Un de ses officiers demande à César : «Crois-tu qu'il pourra reprendre Gergovie à lui tout seul ?»
Il y parvient. Et l'offre de César - qu'il transmet - excite la cupidité et l'enthousiasme des Arvernes. Ceux-ci consentent à se joindre aux légions de César.
2) Bibracte. Le proconsul expose aux chefs gaulois ses projets de conquête de la Grande-Bretagne. Dumnorix déclare ne pas être intéressé, car il a la mer en horreur. César garantit que la mer sera calme et réclame des otages. (En aparté, Dumnorix affirme à ses deux fils que jamais il n'acceptera qu'ils fussent otages des Romains.)
3) Camp de Boulogne, base de la flotte romaine contre la Bretagne. Il pleut. César est en conférence avec ses banquiers. Il leur concède des fermages, négocie le monnayage du butin et des esclaves (Gaulois ou Bretons ?, on ne le dit pas). Et il se prévaut cyniquement de s'être débarrassé des Gaulois les plus gênants en les envoyant se faire tuer en Bretagne.
4) Arrive Vercingétorix, sous la pluie. «Il a réussi !», s'exclame un officier romain. Entrevue de l'Arverne avec César. Contemplant la carte (de Bretagne ?) : «Une future victoire ?»
(«Il a réussi !», se rapporte au fait qu'il a recouvré son autorité sur les Arvernes, qu'il doit emmener contre les Bretons.)
5) La pluie toujours (donc Boulogne). Une assemblée de chefs gaulois festoyant. Mosa, la reine des Bellovaques, s'inquiète : «Avec un temps pareil, nous n'atteindrons jamais l'île de Bretagne.» Dumnorix pérore, singeant César prédisant que la mer serait calme.
6) César organise un petit souper en tête à tête avec Epona et Vercingétorix. Il exhibe la couronne des rois gaulois (volée par un de ses sbires lors de l'assassinat de Celtill). «Ton père n'avait pas tort... - De vouloir chasser les Romains ?», coupe le chef arverne, cassant. «Non. Trop de tribus.» César expose qu'il lui suffit de dominer la République romaine. Il laisserait la Gaule à un roi... choisi par lui, bien entendu.
7) Une sentinelle romaine blessée fait irruption et annonce à César que Dumnorix s'est enfui avec ses fils. Les chefs éduens pro-romains proposent à César de se lancer à la poursuite du déserteur et de le ramener pour qu'il soit jugé selon la loi éduenne. César leur déclare ne plus avoir confiance en les Eduens, après ce qui vient de se passer. L'Eduen Litavic propose alors que ce soit un Arverne, Vercingétorix, qui s'occupe de cette opération de police.
Confronté avec Dumnorix, qui sous ses yeux est assassiné par un sbire de César, qui l'avait suivi, Vercingétorix retourne son manteau, au propre et au figuré - c'est-à-dire qu'il en fait glisser le nœud sur l'épaule gauche, alors que les mercenaires de César le portaient à droite. Plus question pour lui d'aller en Bretagne. Ni, pour le spectateur, de l'y accompagner.

Habileté à manier l'ellipse, montage serré ? Chaque détail compte. Le spectateur qui aurait manqué une seule réplique pourrait croire que Vercingétorix a bel et bien «réussi» à... soumettre les Bretons (outre avoir repris le pouvoir à Gergovie).

Il fallait illustrer l'assertion de Plutarque, selon laquelle Vercingétorix et César auraient entretenu des liens amicaux (ce dont César ne parle nulle part). Il est tout de même surprenant que ce film, tourné en deux versions dont une destinée au public anglo-saxon, ait froidement laissé tomber tout ce qui se rapportait à la seconde expédition en Grande-Bretagne (-54), larguée comme un vulgaire kleenex. Mais il faut reconnaître que le «scénar» était un peu lourd, aussi valait-il sans doute mieux de passer à autre chose, si l'on voulait préserver un minimum de crédibilité historique. L'extravagante expédition des seuls Gaulois passe donc à la trappe.
Reste un problème chronologique : la seconde expédition de César en Bretagne eut lieu pendant l'été -54 et Vercingétorix ne prit la tête des anti-Romains que pendant l'hiver -52. A vrai dire, c'est un détail oiseux au regard des exigences scénaristiques de resserrement du temps et des lieux.

VII. Le siège d'Alésia

Les auxiliaires de César

Celtibères, Numides, Baléares et Crétois
César mit le siège devant Alésia avec dix légions et, sans doute, des troupes auxiliaires dont il ne dit rien sauf la mention des redoutables cavaliers germains. Que restait-il de ses Celtibères, Numides, Baléares et Crétois ? Les mercenaires numides (cavaliers et/ou infanterie légère ?), les archers crétois et les frondeurs baléares sont mentionnés l'an 57, deuxième année de la campagne (G.G., II, 7); ce sont eux, frondeurs et archers sans plus de précisions, que l'on voit cette même année à Bibrax, chez les Rèmes (G.G., II, 19) ou «valets, cavaliers, frondeurs et Numides dispersés» (G.G., II, 24). Les cavaliers espagnols sont signalés à l'Atuatuca, en 54 (G.G., V, 26). Il semble qu'il devait rester à César de ces troupes, l'année qui suivit Alésia, puisque Hirtius mentionne - sans en spécifier la provenance - des archers, frondeurs, et servants de machines de guerre au siège d'Uxellodunum, à l'automne 51 (G.G., VIII, 40).
Lui restait-il encore des troupes gauloises fidèles, par exemple les Rèmes ou les Lingons, au moment d'Alésia, quand les Eduens passèrent à l'ennemi ? C'est probable, mais nous n'en savons rien.

Les cavaliers germains
Par ailleurs, on ignore le nombre de ses cavaliers germains, que les historiens modernes évaluent à 2.000, spécialement recrutés pour combattre Vercingétorix, vraisemblablement chez les Ubiens. César leur avait donné les chevaux de remonte de ses officiers et légionnaires émérites (G.G., VII, 65) et précise qu'il s'agissait d'une cavalerie mixte, incluant une poignée de fantassins légers qui accompagnaient chaque homme monté (G.G., VII, 65; cf. I, 48 et VIII, 13). S'agit-il des mêmes que les 400 cavaliers germains qui au début de l'année avaient participé à la bataille de Noviodunum, chez les Bituriges, et que César «avait coutume, depuis le début de la guerre, d'avoir avec lui» (G.G., VII, 13.1.) ? Avec leur infanterie d'accompagnement, ils devaient donc bien être 2.000 hommes en tout (1).

Impossible de dire avec certitude, mais les chevaux romains donnés par César avaient certainement modifié la proportion cavaliers/piétons des Germains, et aussi leur manière de combattre. Un certain nombre des voltigeurs qui, jusque-là, courraient accrochés à la crinière ou à la queue de la monture du monté qu'ils accompagnaient, se retrouvèrent juchés dessus. Montés eux aussi. Pour autant, étaient-ils aptes à combattre de la sorte ? La cuisante raclée qu'ils infligèrent à la noble chevalerie celtique, cependant experte en la matière, semble le prouver.

Dans Vercingétorix, quelques cascadeurs faisant de la voltige sur le dos de deux chevaux essaient, au cours d'une embuscade, de nous donner une idée assez inattendue de ce qu'étaient les cavaliers germains. Spectaculaire certes, ceci relève plutôt du cirque forain - le numéro équestre qu'on nomme «les chars romains» - et ne nous a guère convaincu.
Ces cavaliers «teutons» (sic) sont conduits par Jean-Pierre Rives, l'ancien capitaine de l'équipe de France de rugby. Viennent également du rugby le coproducteur Denis Charvet (S.M.K. Ltd) et Vincent Moscato, qui tiennent respectivement les rôles des chefs gaulois Cassivelaun et... Moscatos, ainsi que les joueurs du Stade Toulousain, qui prêtèrent leurs voix à la bande-son de Fête de Bibracte enregistrée par le compositeur... Pierre Charvet (2) (les voies de la Muse du cinéma ne manquent pas d'entregent !). Le costumier a affublé les Germains d'opulentes chevelures rouges, nouées en chignon, perruques qui éveillèrent la verve des critiques. Pourtant, les Germains se teignaient les cheveux en rouge, et leur rousseur passait pour une caractéristique de la «race». Ainsi Tacite notait, dans sa Germanie, «De là cet air de famille qu'on remarque dans cette immense multitude d'hommes : des yeux bleus et farouches; des cheveux roux; des corps d'une haute stature» (TAC., Germ., IV); et ailleurs «les cheveux roux des Calédoniens et leurs membres allongés attestent une origine germanique» (TAC., Agric., XI, 1). Quant à la manière de se coiffer, elle variait d'un peuple à l'autre. Ainsi les Suèves se distinguaient par leur fameux «nœud suève» : «Une coutume particulière à ces peuples, c'est de retrousser leurs cheveux et de les attacher avec un nœud : ainsi se distinguent les Suèves des autres Germains, et, parmi les Suèves, l'homme libre de l'esclave» (TAC., Germ., XXXVIII), tandis que les guerrier cattes qui avaient tué un ennemi se remarquaient par leur visage glabre et leur front dégagé (ils «se laissent croître, dès l'âge de puberté, la barbe et les cheveux, et ne dépouillent cet aspect sauvage qu'après s'être déliés, en tuant un ennemi, du vœu qu'ils ont fait à la vertu guerrière de le garder jusque-là. (...) Alors seulement ils croient avoir acquitté le prix de leur naissance. (...) Le lâche qui fuit la guerre conserve cet extérieur hideux» (TAC., Germ., XXXI)).
Les cavaliers germains du film seraient donc des Suèves, originaires de l'actuelle Souabe. Toutefois, César recrutait ses cavaliers plutôt parmi leurs ennemis Ubiens ou Tenctères.

Les légions de César

Les effectifs d'une légion oscillent entre 4.000 et 6.000 h. Du reste, étaient-elles complètes ? César a, lui aussi, subi des pertes à Bibracte, Gergovie et pendant l'attaque de sa colonne.
Lorsque en 58 commença la Guerre des Gaules, César n'avait, face aux Helvètes, que la seule Xe légion - dont il fera plus tard sa «cohorte prétorienne» (G.G., I, 40) -, aussi rappela-t-il d'urgence ses autres troupes (lég. VII, VIII et IX) stationnées en Cisalpine, à Aquilée - approximativement, l'actuelle Venise. Ainsi put-il continuer les opérations avec, maintenant, les quatre légions (lég. VII, VIII, IX et X) affectées à sa charge de proconsul d'Illyrie, Cisalpine et Narbonnaise, plus deux supplémentaires (lég. XI et XII) que simultanément il leva en Gaule Cisalpine en se prévalant de son imperium proconsulaire ou en les finançant de sa cassette personnelle (G.G., I, 7 et 8). Rapportant la bataille de la Sabis contre les Nerviens, César décrit l'ordre de bataille de ces six légions, d'abord les légions IX et X, puis les XI et VIII, enfin les XII et VII (G.G., II, 23).
Pendant l'hiver 58-57, il en leva deux autres (lég. XIII et XIV) que lui amena son neveu Quintus Pedius (G.G., II, 2), ce qui lui faisait en tout huit légions.

Enfin, après la conférence de Lucques réunissant César, Pompée et Crassus (avril 56), Pompée prêta à César une de ses légions (la lég. I) et, en 53, ses lieutenants Marcus Silanus, Caius Antistius Reginus et Titus Sextius lui en ramenèrent encore trois, levées spécialement ou prélevées sur son propre contingent par Pompée (lég. XIII, XIV (3) et XV) (G.G., VI, 1). Donc, à la veille d'Alésia, César dispose de dix légions, compte tenu des pertes subies à l'Atuatuca. Soit entre 40 et 60.000 légionnaires, sans compter les mercenaires des troupes légères et ce qui lui restait fidèle de la cavalerie alliée.

Lorsque Vercingétorix lança le signal de la révolte générale, César - qui l'hiver se trouvait en Italie - possédait en Gaule six légions dans le nord, chez les Sénons, aux ordres de Labiénus; deux autres chez les Trévires et les deux dernières chez les Lingons. Après avoir pris ses dispositions pour assurer la défense de la Narbonnaise menacée par les alliés de Vercingétorix, César traversa les Cévennes avec de nouvelles troupes fraîchement levées mais non quantifiées, avec lesquelles il terrorisa le territoire arverne, avant de rallier les deux légions qui étaient chez les Lingons et de rappeler les huit autres. Nous ignorons les effectifs du contingent qui traversa les Cévennes : troupes de complément ou onzième légion (4) ? Mais elles étaient en tout cas suffisamment nombreuses pour «terroriser» les Arvernes.

 

mont auxois

Le Mont-Auxois et l'oppidum d'Alésia vu de la plaine des Laumes (photo Ph. Mathieu, Conseil général de la Côte-d'Or - extr. Dossiers d'Archéologie, n° 305)

mont auxois

Le Mont-Auxois en éclairage rasant, depuis le N.-O. du site (photo aérienne R. Goguey - extr. Dossiers d'Archéologie, n° 305)

 

alesia

Alésia vue d'avion depuis l'E. Entre les vallées de l'Ozerain à gauche et de l'Oze à droite, l'oppidum d'Alésia (un plateau de 2.000 m sur 800 de large) se présente comme un éperon barré, dans le prolongement du Pennevelle.
César se fortifia sur les hauteurs du versant opposé : le mont Flavigny, qui domine l'Ozerain à gauche sur la photo, les hauteurs de Bussy et du mont Réa, au dessus de la vallée de l'Oze, à droite.
Le point le plus faible du dispositif romain - la plaine des Laumes, par où déboucha l'armée de secours gauloise - fut, évidemment, le plus fortifié par César : c'est là que combattirent avec acharnement Marc Antoine et C. Trébonius... et la cavalerie germanique (cliché R. Goguey - extr. M. REDDÉ, Alésia, op. cit.)

 

La reconstitution filmique du siège d'Alésia

Assez bizarrement le film dédouble ce qui chez César n'est qu'une seule action. Dès le début du siège, Vercingétorix envoie des émissaires chargés de lever une armée de secours. Mais ce n'est que beaucoup plus tard, alors que les assiégés sont à bout de ressources, qu'il renvoie ses chevaux (pour ne pas les manger) mais garde ses cavaliers démontés.

Décidément soft, le film élude également le discours de Critognatos proposant de recourir au cannibalisme.

Quant à l'épisode de l'expulsion des bouches inutiles - qu'on aurait aimé voir développer -, elle sombre dans la mièvrerie. L'idée est bien évoquée en conseil, mais Epona compatissante supplie le généralissime gaulois de ne pas chasser les enfants. Vercingétorix accepte, et on n'en parle plus. Epona peut faire sa baby-sitter. Pas d'expulsion des femmes, vieillards etc. donc. On verra même quelques civils, dont des femmes - apparemment fort bien portants -, saluer aux portes de la ville leur général parti se livrer à César.

Il est de bon ton de comparer le relatif manque de moyens du film de Dorfmann avec celui - criant - des péplums de Cinecittà, la comparaison tournant, bien sûr, au désavantage de Vercingétorix. On peut rêver, en effet, à ce qu'auraient pu tirer Freda ou Cottafavi de la participation de l'armée bulgare, sinon de l'infographie qui permet de démultiplier figuration et décors (un plan du champ de bataille jonché de cadavres et d'armes fait du reste songer au final du Spartacus de Freda). Mais il faut raison garder, les scènes à grand spectacle réussies ont toujours été exceptionnelles à l'écran. La manœuvre des cohortes légionnaires dans Spartacus de S. Kubrick, les travaux de siège dans Les Antagonistes de B. Sagal resteront de grands moments spectaculaires du cinéma.

On reste un peu frustré par le traitement elliptique du siège d'Alésia, tout en cadres serrés et perspectives forcées. La comparaison avec le téléfilm allemand d'Uli Edel, Julius Cæsar dans sa VO (5) tourne souvent au désavantage du film de Dorfmann - mais le héros du cinéaste allemand était César, non Vercingétorix n'est-ce pas ?... «Pour les décors, poursuit Didier Naert, il ne s'agissait pas de reconstruction mais plutôt de restitutions. On ne reconstruit pas une ambiance mais on en cherche les éléments les plus évocateurs, les plus significatifs ou en tout cas ceux qui vont dans le sens du récit du film. L'espace cinématographique n'est pas celui de la réalité : les décors sont souvent construits en perspective forcée afin de simuler l'étendue des villes, avec des fortifications monumentales et des remparts armés de poutres.» Les fossés, les pièges, les palissades : tout y est, rien ne manque, sauf l'ampleur. On aurait aimé voir les Gaulois héroïques s'empaler sur les défenses romaines, au lieu d'un Vercingétorix glandant dans la plaine - «à la recherche du script», comme l'a écrit quelqu'un -, à peu près aussi actif que Corto Maltese en ses «aventures» bédéiques.

La pensée stratégique de Vercingétorix

Nous échappe également, dans le film, la pensée stratégique de Vercingétorix. Elle était floue, déjà, pour les historiens. Mais un cinéaste ne se doit-il pas d'avoir ses réponses ? C.B. DeMille, en tout cas, en était convaincu. «Vercingétorix a su rallier les peuples gaulois, qui plus est en hiver, au mois de février. Audace invraisemblable par rapport aux usages de la guerre. Du coup, la lutte prend une tournure nouvelle. La défaite d'Alésia repose d'ailleurs sur des coïncidences malheureuses plus que sur des erreurs stratégiques. Que se serait-il passé si César avait été assiégé à son tour ?», s'interroge A. de Leseleuc (6). «Vous serez le marteau et je serai l'enclume», expose Vercingétorix à ses émissaires chargés de lever une armée de secours. Cette réplique a provoqué l'hilarité générale des critiques et des spectateurs bornés. On se demande bien pourquoi. La métaphore était pertinente.

L'hypothèse d'A. de Leseleuc est originale. Vercingétorix fut-il un imbécile qui se laissa enfermer dans un oppidum - c'est l'opinion qui prévaut, en général - ou fut-il seulement un habile mais malchanceux stratège qui, comme le pense notamment le chef de bataillon Henry Soulhol, tenta de faire d'Alésia un «abcès de fixation» pour encercler le maximum de forces ennemies (7) ?
C'est à la thèse de ce dernier que semble se rattacher Vercingétorix. Fort de sa supériorité numérique, ne s'enferme-t-il pas dans l'inexpugnable Alésia en se réjouissant d'avoir contraint César à y mettre le siège ? Ensuite, au lieu de purement et simplement renvoyer sa cavalerie - comme César le raconte dans la Guerre des Gaules -, mais ne pouvant les nourrir ni s'en nourrir, il chasse les montures avec un petit nombre de messagers chargés d'ameuter une armée de secours.

[L'armée de secours arrive :]
VERCINGÉTORIX : «César est pris au piège. Et les Germains n'attaqueront pas !»
[Contrechamp]
LE PROCONSUL, À L'ADRESSE DE SES OFFICIERS : «S'ils n'attaquent pas ? Nous mourrons.»

Revirement. Lorsque ladite armée de secours gauloise s'est installée, César est «encerclé». Alors, avant même le premier engagement, le chef gaulois se rend compte qu'il a perdu la guerre. Et, sans doute en vertu du principe des vases communicants, César, lui, comprend - et déclare - qu'il l'a gagnée ! Malgré sa supériorité numérique maintenant écrasante, Vercingétorix est économe du sang gaulois, à moins qu'il ne se fasse aucune illusion sur la discipline de ses compatriotes ? Il espère réduire les Romains par la faim. Pourquoi ? Ne sont-ce pas - en réalité - les Gaulois assiégés qui sont à bout de ressources, au point d'envisager de chasser les bouches inutiles ? Pendant trois mois les Romains, eux, ont eu toute latitude de ratisser la région. Ont eu le temps de se constituer des réserves malgré l'hostilité (?) des populations des environs (8)...

La seule issue pour Vercingétorix serait l'attaque immédiate sur deux fronts (ce que firent effectivement les Gaulois, selon La Guerre des Gaules), non l'attente. Dans l'Antiquité, déjà, les communications étaient le nerf de la guerre. Or Vercingétorix ne peut dialoguer avec son armée de secours : les lignes romaines sont parfaitement étanches. Et les instructions que Vercingétorix-Lambert a données à ses officiers chargés de lever de nouvelles troupes sont assez obscures : «Surtout n'attaquez pas !» avait-il dit en congédiant ses émissaires - après leur avoir préalablement exposé : «Vous serez le marteau, je serai l'enclume !» (9).

L'armée de Vercingétorix

Selon César, Vercingétorix disposait de 80.000 hommes et/dont 15.000 cavaliers. Il n'apparaît pas clairement si ces quinze mille cavaliers étaient à inclure dans ou à retrancher des quatre-vingt mille. Il faut aussi tenir compte de l'érosion des combats. Vercingétorix a bien dû avoir quelques pertes à Gergovie; et 3.000 Gaulois ont été tués lors de l'attaque ratée contre la colonne de César, la veille de l'enfermement dans Alésia. Les historiens se sont interrogés sur la superficie du plateau d'Alésia et sa capacité à pouvoir accueillir autant d'hommes. Il faut en outre tenir compte de la présence de la population locale, que l'on pourrait évaluer à 10/20.000 âmes (pure conjecture) et d'un bétail nombreux. Ces chiffres sont discutés par les experts (10). Dans le film, gardant ses cavaliers, Vercingétorix ne renvoie que leurs chevaux. Ne craignait-il donc pas que les Romains ne les récupèrent pour les donner à leurs démoniaques mercenaires germains ?
Quatre-vingts mille assiégés, auxquels il faut ajouter les 250.000 h (11) de l'armée de secours qui campent de l'autre côté des lignes romaines. Le nombre est nettement défavorable aux Romains. Dans l'hypothèse la plus pessimiste (celle où il aurait quand même renvoyé ses cavaliers) le chef arverne disposerait donc d'environ 300.000 h pour écraser 50.000 Romains, peut-être même moins, qui en outre doivent défendre environ 35 km de lignes de défense (20,7 km de circonvallations [défenses externes] et 14,5 km de contrevallations [défenses internes]), vingt-trois postes fortifiés (12), et, théoriquement, quelques 1.400 tours de bois à trois étages - à raison d'une tous les 24 m (80 pieds) (!). Mais les Romains sont des professionnels de la guerre, des hommes méthodiques qui ont pour eux l'avantage de leurs fortifications, alors que les Celtes sont de joyeux dilettantes, courageux et héroïques, mais indisciplinés. Incompétents.

 

alesia - siege romain

Les défenses romaines : devant les palissades, des pieux aiguisés, capables de briser n'importe quelle vague d'assaut (V. MORA (sc.) & R. MARCELLO (d.), «Le piège de flammes», Taranis Fils de la Gaule, Pif-Gadget, n° 436, juillet 1977)

alesia - siege romain

Les défenses romaines autour d'Alésia. Pour contenir une sortie des assiégés, les 50.000 légionnaires de César édifièrent une palissade de contrevallation, longue de 10 milles romains (le mille romain vaut 1.000 pas, soit 1.472,5 m). Et, pour se prémunir de l'attaque extérieure d'une armée de secours gauloise, une seconde palissade, dite de circonvallation, longue de 14 milles (20,7 km), fut érigée.
Camille Jullian évaluait l'ensemble des défenses internes et externes à un total de 37 km. Quinze cents tours de bois, de trois étages, une tous les 24 m (80 pieds), et 23 postes fortifiés complétaient le dispositif, le tout garni de fossés et chausse-trappes divers (V. MORA (sc.) & R. MARCELLO (d.), «Le piège de flammes», Taranis Fils de la Gaule, Pif-Gadget, n° 436, juillet 1977)

alesia - siege romain

Les défenses romaines : les buissons épointés (V. MORA (sc.) & R. MARCELLO (d.), «Le premier choc», Taranis Fils de la Gaule, Pif-Gadget, n° 438, août 1977)

alesia - siege romain

Les défenses romaines : vue en coupe des terribles chausse-trappes romains. De droite à gauche, les «excitants» (stimuli), pointes de fer en forme de S enfoncées dans le sol; les «fleurs de lys» (lilia), branchages épointés; et les «bois de cimetière» (cippi), pieux aiguisés tapis au fond de fosses creusées en quinconce (V. MORA (sc.) & R. MARCELLO (d.), «La rencontre», Taranis Fils de la Gaule, Pif-Gadget, n° 446, septembre 1977)

 

Jusqu'au bout, le Vercingétorix du film espéra que l'armée de secours arriverait avant que César n'aie achevé la construction de ses retranchements. «Alésia devait être une guerre psychologique, raconte Christophe Lambert. Affamer ses adversaires et tenir. C'était une guerre des nerfs. Quand les armées de secours attaquent, César sait qu'il a gagné, et Vercingétorix qu'il a perdu. C'est là tout le côté lyrique du film, car Vercingétorix sait dès l'attaque qu'il a perdu (13).»

 

alesia - circonvallations - contrevallations

L'emplacement de l'oppidum d'Alésia. En rouge les circonvallations et contrevallations romaines (ill. M. Brunet, Conseil général de la Côte-d'Or - extr. Dossiers d'Archéologie, n° 305)

alesia - contrevallation

Reconstitution du dispositif défensif de la contrevallation dans la plaine des Laumes (aquarelle de Jean-Pierre Adam (C.N.R.S./I.R.A.A.) - extr. Dossiers d'Archéologie, n° 305)

alesia - cavalerie gauloise

Charge de la cavalerie gauloise (armée de secours)

 

CÉSAR : «Ils vont attaquer de partout : voilà ce qui arrive lorsque les ordres ne viennent pas d'un chef unique !»

Un des quatre généraux gaulois, plus impatient que les autres, déclenche l'attaque... et bien sûr les Gaulois seront vaincus malgré leurs prouesses. Selon le film, ils attaquent sur un trop large front, ce qui gène Vercingétorix qui - faute de communications - ignore où ses compatriotes vont porter leurs efforts et, par conséquent, où il va, lui, devoir porter les siens. En outre, la plaine de Laumes est l'endroit idéal pour les «sanguinaires» mercenaires germains donner la mesure de leur talent ! «On avait combattu depuis midi presque jusqu'au coucher du soleil et la victoire était indécise - note César - lorsque les Germains serrant leurs escadrons sur un point, chargèrent l'ennemi, l'ébranlèrent, le mirent en fuite, enveloppèrent ses archers (14), les taillèrent en pièces» (G.G., VII, 81). César utilisa ses Germains - gardés en réserve ? - à l'instant décisif. Ferrant en un endroit décisif cette «armée de secours» qui l'avait attaqué sur un trop large front (obligeant ainsi, néanmoins, à se déployer les Romains inférieurs en nombre)...

[La dernière sortie des assiégés :]
VERCINGÉTORIX : «Vous voulez vous battre ? Vous voulez mourir ? Vous voulez vivre pour toujours ? Alors suivez-moi, et ensemble nous deviendrons immortels...»

Vraiment, la pensée stratégique du Vercingétorix dorfmannien laisse perplexe. Mais il n'était pas évident de faire passer pour fin stratège celui qui, tout de même, commit la bévue de s'enfermer dans un oppidum, à la merci de ces maîtres de la poliorcétique qu'étaient les Romains.
La stratégie du généralissime arverne est si peu compréhensible que des historiens modernes comme Jacques Harmand (1984 [15]) n'hésitèrent pas à considérer Vercingétorix comme un traître, de connivence avec César. Avant lui, Michel Rambaud (1953 [16]), avait avancé que Vercingétorix n'aurait été qu'un «personnage médiocre auquel César aurait conféré un prestige inventé pour masquer l'ampleur de la résistance gauloise (17)» (idée reprise par Jean Lartéguy dans Tout homme est une guerre civile (18), où il imagine que, s'inspirant de César, la C.I.A. «fabriqua» Che Guevarra pour qu'autour de lui se cristallisent tous les révolutionnaires d'Amérique latine, afin de les éradiquer d'un seul coup).

 
vercingetorix - christophe lambert
 

VIII. Roi gaulois... ou mérovingien ?

Anne de Leseleuc évoque l'image dix-neuvièmiste de Vercingétorix : «Quand à la statue réalisée sous Napoléon III, qui est en haut d'Alésia, elle est assez symbolique, parce qu'elle n'a rien à voir historiquement avec l'aspect de Vercingétorix, mais (...) représente un syncrétisme des hommes de Gaule : un pantalon avec des lanières mérovingiennes, une cuirasse de l'époque alchtatienne (19) (VIe s. av. J.-C.), une moustache de 250 av. J.-C. Ce sont vraiment des attributs gaulois, mais qui se baladent sur cinq siècles d'histoire» (press-book). Car le cinéma est œuvre collective, où telle ou telle bonne intention de départ ne s'imposera pas, en définitive.

 
alix - sphinx d'or alix - vercingetorix

Trente-cinq ans séparent ces deux illustrations de Jacques «Alix» Martin. La première est tributaire des conceptions du Second Empire : armes de l'Age du Bronze, moustaches dites «à la gauloise», légionnaires de la Colonne trajane. La seconde a bénéficié des travaux archéologiques les plus récents : Gaulois de l'Age du Fer, glabres, aux cheveux courts, leurs cavaliers portent la cotte de maille, et légionnaires du Ier s. av. n.E., coiffés notamment du fameux casque de «Montefortino» ou «en toque de jockey» (J. MARTIN, Le Sphinx d'Or, couv. Tintin, 9 mars 1950 - J. MARTIN, Vercingétorix, couv. Casterman, 1985)

 

Jusqu'à ce qu'il «exécute» son oncle et ennemi Gobanitio, Vercingétorix a le look gaulois : cheveux courts (mi-longs) et glabre; une fois roi, il porte moustache, cheveux longs et chignon.
Christophe Lambert/Vercingétorix n'a pas le look gaulois tel que défini par la recherche contemporaine. Hirsute, moustachu, il arbore le chignon du Franc, le cheveu long du Mérovingien - qui différenciait le noble du vilain. Pis même, élu roi, il est porté sur le pavois comme Abraracourcix, alors que n'importe quel Français moyen sait ou devrait savoir - car cela a été répercuté à maintes reprises dans la grande presse - que cette coutume est un anachronisme notoire, un usage inconnu des Celtes. Bien sûr, sous la Régence on a - mais sans aucun fondement historique, évidemment - affirmé que les Francs étaient non pas des «Germains», mais des Gaulois ayant fui en Germanie l'invasion romaine, puis étaient revenus chez eux, en Gaule. Il n'en demeure pas moins que le cliché du pavois n'est ni gaulois, ni celtique. Plus ou moins involontaire, plus ou moins voulu, l'anachronisme en question - mêlé à d'autres clichés astérixiens, comme les anachroniques panoplies romaines - ne saurait être totalement innocent.
Le press-book du film a beau affirmer que les tribus gauloises de l'époque de César se divisent en démocraties monarchiques et républiques aristocratiques, le film, lui, insiste trop sur le fait que la Gaule est une république (c'est-à-dire que les différentes tribus gauloises sont constituées en républiques), mais que seul un roi providentiel comme Vercingétorix peut en garantir l'indépendance.

Quel message politique véhicule le film ? Selon A. de Leseleuc, il n'y en aurait pas : «J. Dorfmann, (...) a réalisé le premier film consacré à Vercingétorix, héros charismatique qui ne nous assène pas un message politique (20) Manifestement la vision personnelle de J. Dorfmann n'est pas nettement définie : tant d'interprétations divergentes du personnage se sont superposées depuis Amédée Thierry (et même déjà bien avant [21]). Le héros républicain des souvenirs d'enfance de l'écolier Dorfmann, qui se sacre roi... pour finir en exil et y mourir, c'est aussi très napoléonien, tout ça (22) - de même que «les écoles druidiques, où les enfants des différentes tribus gauloises se côtoyaient sans référence à leur niveau social ou à la tribu à laquelle ils appartenaient, symbole de ce que l'on pourrait appeler aujourd'hui l'école républicaine (23).»

IX. Et pour conclure...

A l'heure où Braveheart sanctionnait l'autonomie de l'Ecosse, il manquait sans doute à la France une épopée du même type. Ce sera Vercingétorix. Clin d'œil au film de Mel Gibson, signalons tout de même que les tartans écossais que portent les Gaulois dans le film sont archéologiquement plus que douteux...
Passant du dessin animé (1967) au live (1998), Astérix, sans doute, lui aura préparé le terrain par le biais de l'humour et de la parodie. Pour un film tourné en deux versions - française et anglaise, avec des angles de prise de vue différents (24) -, diffusion/rentabilité oblige, le franco-américain Christophe Lambert s'imposait pour le rôle-titre. Un scénario intelligent, plein de sensibilité, l'avait imposé voici vingt ans avec Greystoke et, depuis, Highlander nous avait laissé voir qu'il portait bien les étoffes à carreaux et savait manier la claymore. Bien sûr, quelques uns de ses films furent des échecs lamentables - ne citons, pour rester dans notre sujet, que Beowulf, qui entre l'épique et la SF posait les limites à ne pas franchir (25) -, aussi le public attendait-il avec un soupçon de scepticisme ce Vercingétorix porté sur les fonds baptismaux par une historienne reconvertie dans le polar (Anne de Leseleuc, les «Enquêtes de Marcus Aper») et un romancier SF (Norman Spinrad). Heureusement, les auteurs surent se garder des excès de la tentation du fantastique - limité à l'observation d'une comète annonçant la venue du héros, du messie celte - pour demeurer dans le droit chemin du film historique.

Les Celtes ont la cote d'amour chez les ésotéristes de tout genre. Leur religion en partie absorbée par la religion romaine fut extirpée, quant elle ne pouvait être récupérée, par le christianisme qui la qualifiait de «sorcellerie». C'était la religion du petit peuple des campagnes, en connexion avec la terre. C'est d'eux, les paysans (lat. pagani), que nous viennent les termes «païens» et «paganisme». Les écologistes eux aussi en firent leurs choux gras, voyant dans les Celtes - comme dans les Indiens d'Amérique du Nord - des Hommes proches de la Nature et la respectant (26).
Doublement marquées du sceau de l'Irlande et de celui du catholicisme, les chroniques médiévales ne nous renseignent guère sur la civilisation continentale du Ier s. av. n.E. - les Gaulois que soumit César. De fait, cette civilisation de l'oral n'ayant rien laissé d'écrit, on a pu lui faire dire ce que l'on voulait : du néo-druidisme à l'extrême-droite l'on ne se gêna pas.
Depuis plusieurs années, le légendaire celtique rencontre un succès indéniable, notamment à travers l'Heroic Fantasy et la Sword and Sorcery (Conan le Barbare, d'après R.E. Howard), et la Fantasy (Le Seigneur des Anneaux, d'après J.R.R. Tolkien), que répercutent la vogue des war-games et des jeux de rôles. A l'écran, Dongeons et Dragon (Courtney Solomon, 2000) était là pour souligner l'intérêt des gens, toujours plus nombreux, pour le merveilleux féerique médiéval.

 

epona

Epona (Inés Sastre)

 

En fin de compte, il nous reste un film un peu confus, rarement à la hauteur des prétentions de ses concepteurs.

 
julius caesar julius caesar - brandauer

Parmi les nombreux portraits de Jules César, celui-ci dit «de Tor d'Aglie» provient des fouilles de Lucien Bonaparte à Tusculum et est conservé au musée de Turin. C'est sans doute celui qui concorde le mieux avec le faciès de Klaus Maria Brandauer (cliché Koppermann, Institut archéologique allemand, Rome, n° 74.1565 - extr. M. REDDÉ, Alésia, op. cit.)

 

Ce n'est pas la première fois que Klaus Maria Brandauer endosse la tunique et les sandales pour jouer dans un péplum, lui qui avait incarné Néron dans le Quo Vadis ? de 1985 (TV). On a dit que Brandauer était trop corpulent pour interpréter Jules César - c'est oublier qu'on avait rembourré de caoutchouc mousse le maigre Rex Harrison pour lui faire incarner ce même César dans Cléopâtre. Tout dépend de l'idée qu'on se fait de ce personnage hors du commun (il y a toutefois un plan où, se penchant vers l'avant, Brandauer fait très «Harrison-César»). Mais il serait vain de rechercher une ressemblance physique entre les bustes du conquérant des Gaules et ses différents interprètes cinématographiques... à commencer par Louis Calhern !

Pourtant, soyons francs : même si ce rôle ne risque pas de demeurer impérissable dans nos mémoires, Christophe Lambert joue juste et, contrairement à ce que l'on a dit, n'est jamais ridicule malgré un fédérateur et très gaulliste «Gauloises, Gaulois !» (27) , qui s'explique très bien par le rôle guerrier que peut tenir la femme celte. C'est du reste une druidesse guerrière, Rhia - qui n'est pas sans faire songer à Valeria, dans Conan le Barbare (28) - qui l'initie au maniement des armes.

Il y a sans doute aussi pas mal de lacunes et de non-dits. Ainsi, Celtill meurt deux fois (une fois d'une flèche entre les omoplates, une seconde fois sur le bûcher. Vous avez dit pléonasme ?). D'autres scènes tombent à plat comme celle où un forgeron brandit une épée en déclarant : «J'ai trouvé le secret des épées gauloises.» César dégaine alors son glaive court et d'un seul coup casse en deux l'arme que tient en main l'artisan. On sait que les armes celtiques de la fin de la Tène montraient une certaine baisse de qualité, et étaient très inférieures aux glaives espagnols des Romains. Mais à quoi rime cette scène du film, qui n'est pas sans rappeler celle de L'Egyptien (M. Curtiz) où l'on voir le fer hittite trancher le bronze égyptien ? On a l'impression que le forgeron a découvert un «secret», quelque chose d'exceptionnel. Or il n'en est rien. L'affaire de l'expédition en Bretagne n'est pas claire non plus, de même l'expulsion des bouches inutiles d'Alésia. Gageons que le monteur n'a pas dû être à la fête pour rafistoler les incohérences de cette histoire qui part dans toutes les directions. De ce film dont les premières images de batailles furent tournées en Bulgarie en juillet 1999 (vu à la TV, à l'époque) et dont l'accouchement fut long.

 
Suite…

 

NOTES :

(1) Selon Plutarque (Cras.), le contingent de cavalerie mixte gauloise qui accompagne contre les Parthes Publius Crassus, l'ancien légat de César, est de quatre fantassins légers pour un cavalier. - Retour texte

(2) En dépit de ce que pourrait laisser entendre son patronyme, Pierre Charvet n'est pas le frère de Denis Charvet. - Retour texte

(3) En fait ces légions XIII et XIV avaient perdu les trois quarts de leur effectif (quinze cohortes) à l'Atuatuca, à l'automne 54. Une grosse partie des renforts amenés par M. Silanus et C. Antistius Reginus serviront à leur reconstitution. - Retour texte

(4) Ouvrons une parenthèse en passant : Quid de la V Alaudæ, la fameuse «Légion de l'Alouette» composée de Gaulois transalpins, soumis à la discipline romaine et qui se distingua notamment pendant la guerre civile, à Munda ? C'est Suétone (SUÉT., Cæs., 24) qui en parle comme de l'une des deux que César leva à ses frais. La XI ou la XII, donc, comme indiqué plus haut - mais R. Cagnat lui attribue le numéro V. Selon la Guerre d'Afrique, divisée en deux la légion V, présentée comme une troupe d'élite, protégeait les ailes de l'armée de Jules César à Thapsus.
La question du nombre des légions césariennes qui combattirent en Gaule reste controversée : le proconsul n'en tient pas un compte scrupuleux dans sa relation, et ses officiers vont et viennent, etc. Si la plupart des historiens estiment que César disposait de dix légions devant Alésia, L. Keppie estime, lui, que César en avait douze, en 52-51 (il rajoute la lég. V et la lég. VI), pour redescendre à dix en 50 après restitution à Pompée de la I et de la XV (cf. L. KEPPIE, The Making of the Roman Army, Londres, 2e éd., 1998 - cité par M. REDDÉ, Alésia. op. cit., Errance, 2003, p. 32). - Retour texte

(5) Coupée dans la VF. - Retour texte

(6) Historia, n° 650, p. 73. - Retour texte

(7) H. Soulhol, cité par Christian GOUDINEAU, Le dossier Vercingétorix, Actes Sud-Errance, 2001, pp. 320-321. - Retour texte

(8) Un partisan de Syam, Guy Villette expose que Vercingétorix, provoquant avec une petite partie de ses troupes l'armée de César retraitant sur Genève, capitale des Allobroges amis, l'avait attiré devant Alésia où il avait entreposé des réserves de vivres et où l'attendaient le gros de ses forces. La région étant transformée en désert par l'application de la tactique de la terre brûlée. Piégé par les Gaulois, César se serait gardé de reconnaître le fait dans ses Commentaires. Mais le siège s'éternisant (3 mois) dans l'attente de l'armée de secours qui devait parachever l'encerclement des Romains, c'est Vercingétorix finalement qui se trouva à bout de ressources (Guy VILLETTE, «Une explication du texte de César», Les Dossiers de l'Histoire, n° 40, novembre-décembre 1982, pp. 18-41).
Quelque part, cette interprétation semblerait concorder avec la logique du film de Dorfmann. - Retour texte

(9) Sur les atermoiements de Vercingétorix, qui en définitive plongent le film de J. Dorfmann dans l'obscurité, cf. supra «I am a poor lonesome vergobret». - Retour texte

(10) G.G., VII, 64. 2, 71. 3 et 77. 8. Cf. CARCOPINO, Op. cit., p. 39. - Retour texte

(11) César indique : 240.000 fantassins et 8.000 cavaliers; Florus arrondit à 250.000 et Plutarque à 300.000. - Retour texte

(12) En fait, tous les combats se sont déroulés devant les pentes occidentales du Mont-Auxois, principalement sous le massif de Mussy la Fosse, la plaine des Laumes et le mont Réa - ce qui ne dispensait pas les Romains de devoir assurer la surveillance de la totalité de leur dispositif. - Retour texte

(13) Christophe Lambert, cité par le press-book. - Retour texte

(14) Nous avons ici l'une des rares mentions d'archers gaulois dans la Guerre des Gaules et, chose curieuses, elles figurent toutes les trois au Livre VII : Vercingétorix avait levé un grand nombre d'archers pour compenser ses pertes à Avaricum (G.G., VII, 31), ceux-ci s'illustrèrent sur les murs de Gergovie (G.G., VII, 41) mais, venus avec l'Armée de secours, furent taillés en pièce par les cavaliers germains à Alésia (G.G., VII, 81). Pour les Gaulois comme pour les Romains, l'arc ne saurait être considéré comme une arme de guerre noble. Les archers romains sont des mercenaires étrangers. A Alésia, les archers gaulois étaient mêlés à l'infanterie légère courant avec la cavalerie. - Retour texte

(15) J. HARMAND, Vercingétorix, Fayard, 1984. - Retour texte

(16) M. RAMBAUD, L'art de la déformation historique dans les «Commentaires» de César, Hachette, 1953; rééd. Belles-Lettres, 1966. - Retour texte

(17) Ch. GOUDINEAU, in L'Histoire, n° 176, avril 1994, p. 44. - Retour texte

(18) Presses de la Cité, 1968. - Retour texte

(19) «Hallstattienne», bien sûr ! [N.d.M.E.]. - Retour texte

(20) A. de LESELEUC, Vercingétorix ou L'Epopée..., p. 299 (c'est nous qui soulignons). - Retour texte

(21) Cf. André SIMON, Vercingétorix et l'Idéologie française, Paris, Imago, 1989. - Retour texte

(22) Napoléon avait récupéré le symbole des «abeilles» mérovingiennes comme il avait intégré la figure celtique du barde Ossian dans la «mythologie impériale», à côté des symboles romains issus de la Révolution. - Retour texte

(23) Press-book (à propos de Litavic). - Retour texte

(24) Ce qui explique que le DVD n'est pas dans les deux langues. - Retour texte

(25) Avec le 13e Guerrier, Michael Crichton eut meilleur usage du vieux poème saxon. - Retour texte

(26) On sait à quoi s'en tenir, à propos du mythe de l'«Indien proche de la Nature», au moins autant responsable que les Blancs de l'extermination des bisons aveuglément dirigés vers des précipices par troupeaux entiers... - Retour texte

(27) Vercingétorix s'adresse à ses partisans en ces termes et à deux reprises; une troisième fois sera le fait de Litavic, revenu lever une armée de secours. - Retour texte

(28) Peut-être à cause de son grand nez. Notons que les attitudes de Vercingétorix sur son trône, renfrogné et pensif, font souvent songer à certaines images de Conan. - Retour texte