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De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator
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8.
A propos des combats de gladiateurs (1) :
De l'archéologie au mythe
8.1. Le tournage de Gladiator
Encore aujourd'hui, les exhibitions décadentes de l'amphithéâtre
continuent de fasciner les masses autant que les meilleurs esprits.
Ainsi Montherlant, amateur de tauromachie, y retrouvait les fastes
de Quo Vadis, lu enfant. Ou Pierre Mertens - dans son unique
roman érotique - trouvait à sublimer à travers
la gladiature ses rituels sadomasochistes d'universitaire morose...
(1).
Les combats de gladiateurs constituent, bien entendu, les points
forts du film de Ridley Scott, et le Colisée de Rome (2),
reconstitué à Malte à grand renfort d'images
infographiques, en est un protagoniste à part entière,
au même titre que l'impressionnant Russell Crowe.
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Le Colisée partiellement reconstitué
à Malte, et complété par l'infographie.
Vue aérienne ici : CLICK |
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Sur la suggestion du décorateur Arthur Max,
Ridley Scott a choisi d'utiliser les substructures du fort napoléonien
de Ricasoli (XVIIe s.) pour reconstituer le Colisée. Vingt-cinq
pour cent du Colisée fut construit en 19 semaines par 300
ouvriers, soit un tiers du cercle de l'arène et un seul
étage (approximativement 17 m de haut). Cette partie reconstituée
en dur sert aux scènes ayant le Colisée comme arrière-plan.
Une autre section de l'amphithéâtre fut également
construite : l'ascenseur qui permet d'amener personnel et matériel
au milieu de l'arène. Le directeur de la photo, John Mathieson,
eut à affronter des conditions météorologiques
médiocres, comme des pluies fréquentes, et la nuit
qui tombe très vite. Tous les autres plans sont des plans
composites du décor réel et des extensions numériques
ajoutées en post-production.
Ainsi, par la magie de l'infographie, 33.000 figurants virtuels
ont été animés en 3D à partir de captures
de mouvements de 2.000 figurants de chair et d'os; mais entre
300 et 2.000 figurants devaient être constamment disponibles
sur le plateau.
Pour tourner les combats dans le Colisée,
les cinéastes disposaient d'un script de 35 pages, peu
maniable et souvent imprécis, qu'il fallut réécrire
au jour le jour pour assurer le développement et la continuité
des scènes. Reconstituer avec une exactitude archéologique
les jeux de l'arène n'était certes pas la préoccupation
majeure de Ridley Scott. Ainsi il imagina des armes spéciales
comme ces courtes arbalètes à répétition
créées par l'armurier Simon Atherton - quatre mini-arbalètes
pivotant devant la poignée comme le barillet d'un revolver
- qu'utilisent certains gladiateurs(trices).
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Dans le sillage de Gladiator, Tilman
Remme tourna dans le Fort Ricasoli un docufiction, Gladiateurs,
où le Colisée fut reconstitué selon
le même procédé infographique que celui
de Ridley Scott |
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Après
le tournage des cascades avec les chevaux et les chars, vint la
scène avec les tigres du dresseur français Thierry
Le Portier. La scène avec les tigres fut tournée
en douze jours, au lieu des six initialement prévus. Russell
Crowe se déclarera fasciné par ces fauves pesant
250 kilos et mesurant deux mètres cinquante de la queue
à la pointe du museau. Actuellement, Thierry Le Portier
exhibe son show dans l'amphithéâtre néo-romain
de Puy-du-Fou,
en Vendée.
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Course de chars à Puy-du-Fou (double
page de Paris-Match) |
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Le parti-pris esthétique
de Ridley Scott réfère à la peinture du XIXe
s. (Gérôme, Alma-Tadema) ainsi qu'aux années
'30 et à l'art nazi (3).
Certains autres éléments combinent la SF contemporaine
et l'Art Déco dans une vision de l'Antiquité romaine
que le réalisateur peut lui-même qualifier de «post
moderne». Par exemple, les harnachements de gladiateurs
dessinés par Sylvain Despretz (4),
qui réinterprètent avec une certaine emphase «heroic
fantasy» les panoplies retrouvées à Pompéi.
Dans l'arène de Zucchabar, le thrace, reconnaissable à
sa sica (5),
porte un casque à défenses de sanglier qui nous
vient en droite ligne d'Excalibur de John Boorman tandis
qu'à Rome, le champion gaulois Tigris porte un casque à
masque facial intégré, façon pilote de F-16.
Rappelons que ce type de casque, qui était particulier
aux officiers de cavalerie romains, n'était pas un casque
de gladiateur et que ce type de «masque» ne basculait
pas sur un axe, mais pivotait au moyen d'une charnière
(6).
Lui aussi est - de manière fort lointaine - inspiré
d'Excalibur, où Modred en porte un du même
genre. D'un modèle non attesté par l'archéologie
(du moins à notre connaissance), le protège-épaule
de Tigris, en forme
de patte de tigre, est dans sa facture lui aussi Art Déco,
de même que le curieux casque chromé, porté
par Maximus lors de son premier combat dans le Colisée...
Le port de casques de types sarrasin et scandinave connotent les
«féroces mercenaires barbares», ses compagnons
de la «bataille de Zama».
La «chorégraphie» ne présente
pas les oppositions traditionnelles des mirmillons, des thraces
et des rétiaires, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'existent
pas dans le film : ces différents types sont présents
dans l'arène de Zucchabar, mais guère mis en valeur.
Les brutes qui les portent se ruent sur Maximus et ses compagnons
- enchaînés par paires, éblouis au sortir
de la pièce obscure où on les tenait enfermés
- et, brandissant leur masse d'armes, leur éclatent le
crâne comme s'il s'agissait de pastèques. Sans doute,
à l'heure méridienne,
les gladiateurs servaient-ils à l'occasion de bourreaux,
et exécutaient des condamnés sans défense.
Mais Maximus et ses compagnons n'étaient justement pas
des condamnés : ils avaient été achetés
et entraînés par un laniste et étaient
donc des gladiateurs qui avaient droit à leur chance, dans
un duel régulier. Passons...
(N.B. Il existait chez les Aztèques une forme de
gladiature : un condamné à mort enchaîné
devait affronter successivement un guerrier-aigle et un guerrier-jaguar.)
Dans Le Signe de la Croix
de C.B. DeMille (7),
Fabiola de Blasetti, Barabbas de Fleischer, on peut
voir à l'arrière-plan des combats de groupes contre
d'autres groupes (amazones, nains...). Mais les catervaires, qui
se battent en groupe, appartiennent à une catégorie
rarement évoquée au cinéma, ce pour des raisons
évidentes : le duel du héros solitaire met mieux
en valeur celui-ci. Richard Harrison, dans Les Sept Gladiateurs
de Pedro Lazaga, est une des rares exceptions : encore cette prestation
se limite-t-elle à une brève séquence prégénérique
! Russell Crowe est donc le premier héros-gladiateur «catervaire»
de l'histoire du péplum. A ce propos, épinglons
la soi-disant reconstitution de la bataille de Zama devenue une
attaque de chars (où sont donc passés les éléphants
qu'Hannibal avait lancés contre les légions de Scipion
en ce fameux octobre -202 ?). Bizarrement, ceux qui incarnent
les «Carthaginois» - sans doute parce qu'ils viennent
de Zucchabar en Afrique - se battent à la romaine, c'est-à-dire
en fantassins avec armure, lance et bouclier (le motif ornant
leur scutum étant d'ailleurs typiquement romain
[8]),
tandis que leurs adversaires, les «Romains», combattent
en chars à faux, montés par des Amazones (CLICK
& CLICK) tirant
à l'arc. Aucun citoyen romain contemporain de Jules César
ou même de Marc Aurèle n'aurait pu se reconnaître
dans ces archères au teint de pain d'épice maniant
des armes de barbares. Mais, en vérité, que restait-il
de ces «vieux Romains», à la fin du IIe s.
de n.E. ? C'est dans ces zones d'ombre que se meut le cinéaste
pour créer sa propre vérité. |
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8.2.
Morituri te salutant
La terreur des gladiateurs, La vengeance des gladiateurs,
La vengeance de Spartacus, Spartacus et les dix gladiateurs, Maciste
et les cent gladiateurs, Sept gladiateurs rebelles... quelques
titres des années '60.
Plus que les courses de chars, l'institution de la gladiature
est par excellence le signe qui connote Rome. Peut-être
à cause de la révolte de Spartacus, plus probablement
en raison du martyre des premiers chrétiens.
Pourtant, le Cirque Maxime (qui est un hippodrome, non un amphithéâtre)
remonte aux rois Tarquins, VIIe s. av. n.E., alors que les premiers
combats de gladiateurs, sur le Forum romain, dans des installations
démontables, ne sont pas antérieurs à -265.
Les courses de chars étaient des spectacles populaires,
qui attiraient la foule, alors que les combats de gladiateurs
étaient des jeux funéraires, du moins à l'origine.
On a attribué leur origine aux Etrusques, mais ils venaient
plus probablement de Campanie. Du reste, la fameuse révolte
de Spartacus, en -71, ne partit pas de Rome mais de Capoue, la
capitale de la Campanie précisément...
Les Grecs eurent les combats de gladiateurs en horreur; par contre
ils furent très appréciés des Asiatiques,
des Africains et... des Gaulois.
Tous les gladiateurs n'étaient pas des esclaves, il y
eut des hommes libres qui pour de l'argent se portèrent
volontaires pour quelques combats. Le temps de leur engagement,
ils partageaient de sort de ces êtres avilis soumis à
la loi des fers, du feu et du fouet.
8.2.1. Gladiatrices
L'imagination sadique de certains princes envoya dans l'amphithéâtre
toutes sortes de créatures animées, pas seulement
des fauves exotiques, mais des nègres, des nains... ou
des sénateurs. Il y eut également des femmes, des
patriciennes qui s'exhibèrent volontairement dans l'arène,
au temps de Néron (cf. Cora, dans Anno
Domini) - à une époque où il était
de bon ton de choquer l'establishment. On sait peu de choses
à leur sujet. Il semble qu'elles combattaient entre elles
ou contre des fauves, jamais contre des hommes pour lesquels il
y aurait eu doublement honte de se mesurer à des femmes,
voire d'être vaincu par l'une d'entre elles. Certaines représentations
figurées laissent entendre qu'à la différence
des hommes qui combattaient torse nu, elles se couvraient le corps
d'une tunique.
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Amazonia et Achillea combattent
en provocatores, la poitrine couverte par une tunique. Leur
casque est posé par terre (relief British Museum) |
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Il en est ainsi d'Amazonia et d'Achillia
que l'on voit s'affronter, tête nue, jambière à
la jambe gauche, brassard, bouclier rectangulaire et dague, sur
un relief d'Halicarnasse (II-IIIe s. de n.E.). Des ossements calcinés
trouvés dans une tombe à Southwark, au sud de Londres,
semblent avoir été ceux d'une gladiatrice (9).
Elles seront exclues de l'amphithéâtre une première
fois sous Hadrien (emp. 117-138), puis par Septime Sévère
(emp. 193-211).
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Un peu hors emploi, les
gladiatrices-archères, en char, mais aux très
seyantes cuirasses anatomiques de Gladiator. La
rétiaire Mamawi (Pam Grier) tient en respect la
Bretonne Bodicia (Margaret Markov) dans La révolte
des gladiatrices (La révolte des vierges).
Encore une armatura non-attestée pour les
femmes, mais on sait si peu de choses sur leur performances
dans l'arène..
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8.2.2. Vu d'Hollywood
ou vu de Cinecittà ?
Le cinéma américain a dénoncé la cruauté
de la gladiature - Les Gladiateurs (Delmer Daves, 1954),
Spartacus (Stanley Kubrick, 1960). Signalons en passant
que ce dernier film, tiré du roman d'Howard Fast, produit
et interprété par Kirk Douglas faillit ne jamais
voir le jour, les Artistes Associés planchant sur le projet
d'une adaptation du roman d'A. Koestler avec Yul Brynner dans
le rôle de Spartacus (Les Gladiateurs, projet avorté).
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Kirk Douglas attendit que la United Artist
renonce à son projet de porter à l'écran
le Spartacus d'Arthur Koestler, avant de mettre en route
son propre projet d'adapter le roman d'Howard Fast |
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Quant aux Italiens, ils verront plutôt
dans les gladiateurs des émules des Trois Mousquetaires,
toujours prêts à tirer le glaive pour la cause du
bon empereur. Alexandre Dumas ne nous présente-t-il pas
ses mousquetaires comme de sympathiques ruffians toujours prêts
à bâfrer ou à se lancer dans de galantes aventures,
comme à se faire tuer pour le Roy ?
Louis XIII et son ministre, le cardinal de Richelieu, constituent
deux pouvoirs rivaux, qui se livrent à une sournoise guéguerre
par leurs gardes interposés - bien qu'ils aient interdits
les duels. Aussi, après que le cardinal l'ait mit mat aux
échecs, quelle délectation pour le roi de France
lorsque M. de Tréville vient lui conter les exploits de
ses «innocents» et «dévoués»
mousquetaires qui viennent d'expédier ad patres
quelques fâcheux, des querelleurs spadassins de Son Eminence
!
A ce titre, le Gladiator de Ridley Scott sait greffer
un zeste d'italianité sur la rude et bienséante
carapace hollywoodienne.
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Suite… |
NOTES :
(1) H. de MONTHERLANT, Le Treizième
César, N.R.F.-Gallimard, 1970; P. MERTENS, Perdre,
Fayard, 1984. - Retour texte
(2) SFX, n 83, juin 2000,
pp. XXV-XXVI. - Retour texte
(3) Référence au Congrès
de Nuremberg et à Leni Riefenstahl, comme le rappele
Laurent Hugueniot, superviseur infographie 3D dans SFX,
n 83, juin 2000, p. XXVI. - Retour texte
(4) Cf. interview dans SFX,
n 83, juin 2000, pp. XVIII-XIX; également Création
numérique, n 88, mai 2003, pp. 70-74. - Retour
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(5) Long poignard recourbé
comme une faux, parfois figuré dans l'art romain comme
une épée à lame droite, mais formant un
angle obtus vers le milieu. Le gladiateur en question figure
dans l'arène de Zucchabar. - Retour
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(6) Soit latéralement sur les
joues, soit verticalement sur le front, mais toujours avec une
charnière. - Retour texte
(7) Images tombées, dans certaines
copies. Mais il en existe des photos. - Retour
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(8) Comparez avec John WARRY, Histoire
des guerres de l'Antiquité, Bordas, coll. Encyclopédie
visuelle, 1981, p. 191. - Retour texte
(9) «Femme et vraie gladiatrice»,
Libération, 20 septembre 2000. - Retour
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