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De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator

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De La Chute de l'Empire romain à Gladiator

I — VOIES PARALLÈLES

1. Introduction

2. Deux films

3. A propos de La Chute de l'Empire romain

4. A propos de Gladiator

II — LES PROTAGONISTES

5. Les protagonistes historiques

6. Les protagonistes cinématographiques

Conclusion

III — ANNEXES

7. A propos de la bataille contre les Germains dans Gladiator

8. A propos des combats de gladiateurs (1) :
De l'archéologie au mythe

9. A propos des combats de gladiateurs (2) :
Les gladiateurs au cinéma

10. Bibliographie historique

IV — FICHES TECHNIQUES

11. La Chute de l'Empire romain

12. Gladiator

12.1. Fiche technique
12.2. Bibliographie
12.3. Scénario
12.4. Le tournage (notes de production)

 

Sur cette page :

12.5. Critiques

 

Pages suivantes :

V — CHRONOLOGIE

13. Chronologie du déclin de l'Empire romain

VI — FILMOGRAPHIE

14. Filmographie des gladiateurs

russell crowe - gladiator
 

12.5. Critiques

Morituri te salutant
«Ridley Scott marche sur les traces de Spartacus. Il vient de terminer à Malte le tournage de Gladiator. Première superproduction de DreamWorks (budget : 100 millions de dollars), Gladiator dont le tournage vient de se terminer à Malte sous la direction de Ridley Scott, est un film d'aventure qui se veut porteur d'un message politique : il faut se méfier des tyrans qui divertissent les masses pour mieux les gouverner. Le propos est étonnant pour un scénario lu et approuvé par le grand «entertainer» de foules qu'est Steven Spielberg.
Pour insuffler assez de réalisme à ce film épique dont le scénario a été écrit par David H. Franzoni (Amistad), Scott a demandé à la production d'organiser un gigantesque casting afin d'engager des milliers de figurants pour les scènes de batailles entre la légion romaine et des guerriers germaniques. Certains figurants auront même la chance de servir de repas aux lions, mais aussi aux tigres, panthères, hyènes et crocodiles. Bref, à tout le gratin d'Hollywood.
Mais le plus spectaculaire reste la construction d'un Colisée romain grandeur nature pouvant contenir une horde de spectateurs déchaînés, décor conçu par Arthur Max, qui a déjà exercé la même fonction pour Scott sur
GI Jane ou pour David Fincher sur Se7en. C'est également lui qui a dirigé la construction d'un Sénat, emblème de la grandeur et de la décadence de Rome. Produit par deux complices de Spielberg, Branko Lustig (La Liste de Schindler et Le Pacificateur) et Douglas Wick (bientôt Girl Interrupted, de James Mangold, et Memoirs of a Geisha, de Spielberg), Gladiator est mis en musique par Hans Zimmer (La Ligne rouge), photographié par John Mathieson et monté par Pietro Scalia (J.F.K.).

Tournage sous basse surveillance
Si les responsables de la sécurité n'ont pas pu empêcher la mort d'Oliver Reed, survenue le 2 mai 1999 à l'âge de 61 ans, ils n'ont pas non plus été en mesure d'éviter la diffusion de clichés pirates envoyés sur l'Internet par des figurants qui vont jusqu'à profiter de leurs séances d'essayage pour se prendre eux-mêmes en photo, le glaive à la main. Certains d'entre eux racontent même que pour s'occuper entre chaque prise, des matches de football sont organisés sur les champs de bataille entre les Romains et les Germains qui prennent la tête d'un cadavre en guise de ballon.
Tout cela est fort sympathique, mais toujours est-il qu'aucune date de sortie n'a encore été annoncée, même si l'on pense que le film pourrait participer à la compétition de l'été 2000. Mais il pourrait aussi bien sortir pour Noël prochain... A l'instar d'Anthony Hopkins, qui tourne en ce moment dans une version du
Titus Andronicus de Shakespeare, et d'autres projets développés dans divers studios, Hollywood redécouvre les splendeurs de Rome comme autrefois Stanley Kubrick avec son Spartacus ou William Wyler avec Ben Hur. Seulement voilà : ça fait bien longtemps que Scott ne nous a pas déçus...»

Alexandre BRILLANT (1)

Cinemaximus
«[De LOS ANGELES] - Gladiator est un spectacle qu'il est préférable de voir in situ, par exemple au Cinerama Dome de Los Angeles, au milieu du public pour lequel il a été cyniquement conçu. C'était la première séance du premier vendredi du premier week-end de la sortie, la queue faisait le tour du parking. C'était le public bon enfant des émissions-castagne TV, des catcheuses en bikini. Pour eux comme pour nous, Gladiator est le spectacle épatant de l'année, toutes les promesses de la CGI (computer generated imagery) enfin remplies. Tous les pouces en haut.
Clins d'œil. Le fait que le film de Ridley Scott soit aussi glorieusement simpliste qu'excitant ne surprendra personne. Les scénaristes s'y sont mis à trois pour concocter une histoire arthritique qu'on a non seulement vue en 1964 (
La Chute de l'Empire romain d'Anthony Mann en citation visuelle au début), mais dans maints westerns: patriarche préfère son contremaître à son fils trop fin de race, contremaître essaie d'être loyal aux deux, fils parricide prend l'affaire en main, fait brûler le ranch du contremaître et trucider sa famille; ce dernier, laissé pour mort, se vengera... Tout le reste, vaseux complots sénatoriaux, empereur mou de l'inceste, dissertations quasi situationnistes sur le pouvoir spectaculaire et autres perspectives modernes, ne sont que distractions. Ces tunnels de dialogues turgescents ne sont en rien désagréables (ils font même une partie attachante du genre), mais rallongent considérablement le film. Il y a néanmoins trop de bonheur à prendre dans Gladiator pour chipoter sur les détails: ne serait-ce que l'émerveillement à l'approche des sept collines, comme au détour d'un tableau de Poussin, ou ces survols ahurissants sur les maquettes de Rome. Tel un Albert Speer un peu taquin, Scott ne résiste pas aux clins d'œil: Commodus place un soldat au milieu d'une maquette du Colisée. Les références visuelles à Leni Riefenstahl et aux congrès nazis sont aussi attendues que bien vues.

Art du massacre. Les combats sont nombreux dans Gladiator, mais ne se ressemblent pas. La première bataille est de mauvais augure, une confrontation entre l'armée de Marc Aurèle menée par son général Maximus et une nuée de Goths plaisamment hirsutes qui font tous du XXL en peau de bête. Le prélude est magnifique, mais le choc lui-même pratiquement rendu illisible par le montage Avid à l'esbroufe. Même avec tous ces moyens, Scott ne donne qu'une copie pataude et high-tech de ce que Welles avait réussi dans son Falstaff. Mais il ne commet pas la même erreur pour les massacres suivants.
Le premier combat de Maximus au Colisée, dans lequel il range ses gladiateurs comme des légionnaires contre un déferlement d'archers sur chariots, parvient à éclipser les prouesses orchestrées par Yakima Canutt dans
Ben Hur, mais aussi la célèbre séquence de chariots de La Chute de l'Empire romain.

Tout ce savoir-faire serait en pure perte si Scott n'avait trouvé en Russell Crowe un soldat moissonneur si crédible: trapu, court sur pattes et toute racine de cheveux baissée, Crowe nous fait accepter sa supériorité au milieu de gabarits qui font pourtant parfois le double de lui. Il est le parfait «général-fermier» qui sait quoi faire pour annihiler l'ennemi, mais pense surtout à ses récoltes. Crowe et Scott savent aussi rendre touchante sa douleur en face d'un massacre hollywoodien typique - sa femme et son fils violés, crucifiés, ET brûlés vifs: juste un gros plan sur son visage, devant deux pieds calcinés.

Chaste. Il y a en revanche de l'ironie à faire jouer Marc Aurèle à un ancien pochetron irlandais comme Richard Harris, mais la tristesse truculente de l'ex-homme nommé Cheval qui a du mal avec ses éperons semble authentique. Oliver Reed est mort juste après le tournage, mais le rôle de Proximo, l'imprésario gladiateur, est une belle homélie: il faut le voir rouler des yeux derrière son maquillage tel un Othello wellésien ou vociférer contre un marchand bédouin qui lui a refourgué deux girafes sodomites, pas terribles pour l'élevage envisagé. On verra à peine les bestioles se renifler le derrière, et Scott n'ira guère plus loin dans sa peinture de la décadence, réservant toute sa fantaisie aux casques-gargouilles des gladiateurs. Une chasteté un peu étonnante, vu la tendance nettement caramel de son récent film nautique homophile, White Squall.
Commodus a beaucoup amusé les Américains: certains critiques se gaussant de son «nom regrettable» (commode, en anglais, veut dire chiottes), ignorant que Commodus a été un vrai César. Celui du New Yorker a, lui, sorti de ses classiques que Marc Aurèle a beau être connu pour ses écrits stoïques, il restait sacrément inventif dans la vengeance: lorsque sa femme lui avoua désirer un certain gladiateur, il le fit mettre à mort et força son épouse à se baigner dans son sang jusqu'à la ceinture avant de venir partager sa couche. «De façon incompréhensible, se lamente, un brin rhétorique, le scribe, l'épisode n'a pas été utilisé par les scénaristes». De même, il révèle que Commodus aussi faisait une fixette sur les gladiateurs; mais qu'il préférait les affronter, dans des combats probablement truqués. La ville de Rome lui versait mille pièces d'or à chaque gladiateur, et on dit qu'il en a tué sept cents, avant d'être lui-même étranglé dans son sommeil par l'un d'eux. Joaquin Phoenix n'a pas tout à fait l'envergure de Charles Laughton, même s'il s'est étoffé de façon alarmante pour le rôle, mais son visage poupon cubiste semble sorti d'une médaille romaine. Il ne joue ni fofolle, ni psychopathe, ni véritablement diabolique - il joue malade, d'envie et d'amour, une merveilleuse création.

Il y a évidemment beaucoup d'inconsistance chez Scott, un mélange stylistique regrettable (qu'il nous fasse des raccourcis Maximus à la Gus Van Sant ou des flash-backs bleutés à la vidéo Pink Floyd), mais même si son film semble souvent magnifiquement coulé dans le bronze, ce n'en est pas un.»

Philippe GARNIER (2)

Le péplum, genre idéal
«Le cinéma de genre est mort, paraît-il, mais il n'en finit pas de ressusciter. Le western, le film noir, le film de cape et d'épée, le film d'épouvante ou le film de guerre ont longtemps été, chacun, une petite industrie à eux tout seuls. Chaque genre avait ses codes et ses lois, ses stars et ses metteurs en scène, mais aussi ses amateurs et son public précis.
Dans les années '70, le début de l'effondrement du cinéma italien, qui s'était fait une spécialité de ces spécialisations (avec le péplum façon Cottafavi, le western-spaghetti sauce Leone et l'horrifico-baroque inventé par Mario Bava), a sans doute contribué à accélérer la disparition du système des genres. Mais le modèle économique de celui-ci le vouait probablement à l'extinction: les mœurs et les pratiques culturelles ont évolué, et la télé a commencé de combler de son côté les demandes spécifiques, en reformatant les genres, devenus des «grilles» (les
soap operas en milieu de journée pour les ménagères de moins de 50 ans, les dessins animés le matin avant l'école pour les enfants, etc.).
Néanmoins, il ne se passe pratiquement pas de saison sans qu'un petit ou un grand malin ne se fasse remarquer pour avoir remis en marche la machine, à l'occasion d'un
one-shot, un coup unique qui donnera quelque temps l'illusion d'une résurrection. Avec Impitoyable, Eastwood a tenté le postwestern. Avec Le Soldat Ryan, Spielberg a rogné le vieil os du film de guerre. Avec Le Temps de l'innocence, Scorsese s'est frotté au grand film romantique, etc., sans oublier Cronenberg, visiteur familier du cinéma d'épouvante (Videodrome, Faux Semblants...).

Laboratoire. Parmi tous les genres, le péplum est idéal parce qu'il permet de confondre le légendaire et le réaliste. Entre la matière attestée historiquement et les déluges de mythologie qu'elle fabrique, l'Antiquité perçue sous l'angle du péplum est une brave bête malléable, un inépuisable creuset à fictions anachroniques. Parce qu'il induit une dimension spectaculaire, le péplum a de surcroît toujours été un laboratoire privilégié de l'industrie des effets spéciaux. Ben Hur ou Le Colosse de Rhodes ont été, à leurs époques respectives, des sommets de virtuosité technologique, tout comme le furent, dans le registre proche du film mythologique, Jason et les Argonautes ou Le Choc des Titans, tous deux supervisés par le grand mæstro du trucage Ray Harryhausen.
Des tentatives de réanimation du péplum ont été produites à la cheville des années 70 et 80, dans la veine érotico-frippone de l'époque, façon
Caligula, superprode-spaghetti avec Malcom McDowell, ou Messaline, impératrice et putain, amusant défilé de toges et talons aiguilles, et simple prétexte à diverses orgies, qui existait aussi en version classée X. Sans faire complètement l'impasse sur cette généalogie, Ridley Scott la survole, préférant reprendre le genre là où Kubrick et Spartacus l'avaient laissé.
Avec les fulgurants progrès de l'image de synthèse accomplis ces dernières années, le péplum délaissé a accumulé un énorme potentiel de renouvellement visuel, très supérieur à celui du registre de la science-fiction par exemple, régulièrement illustré de films à la technologie dernier cri. Il était donc très logique que le grand plasticien, ce préraphaélite coquet qu'a toujours été Ridley Scott, saisisse l'occasion de cette fenêtre grande ouverte sur l'imaginaire. Mais si le déluge d'effets spéciaux, jamais vus dans un tel contexte, est l'appât le plus séducteur de
Gladiator, d'autres principes de fabrication ont servi à augmenter la masse musculaire du film, comme le filmage avec d'innombrables caméras des scènes de combats en arène, montées à un régime moyen de 100 plans par minute, là où à l'âge classique du péplum on s'évertuait à filmer ces combats de loin, pour estomper l'identité des cascadeurs...
Scott, amateur de décombres. Sans que ce soit systématique, Ridley Scott s'est souvent promené parmi les décombres de genres plus ou moins éteints: il a bouleversé la SF (
Alien, Blade Runner), croisé le fabuleux (Legend), réanimé le road-movie (Thelma & Louise) ou même abordé par la marge le film de cape et d'épée (Duellistes) et le polar (Traquée, Black Rain). Ce n'est pas, comme le liquidateur Kubrick, un grand flingueur de mythologies cinématographiques; ses films ne font pas un sort définitif aux genres qu'ils honorent (ou déshonorent parfois). Au lieu d'achever, Scott abonde et, plutôt que de relativiser le genre péplum, il préfère le superlativiser.»

Olivier SÉGURET (3)

«La sortie de Gladiator n'est pas un événement que pour les amis de l'Antiquité et du latin : elle intéresse aussi les cinéphiles. Il s'agit d'une tentative de redonner vie à un genre qu'on croyait disparu, du premier «péplum» à grand spectacle depuis 1963, en fait depuis que les problèmes de Cléopâtre avaient quelque peu échaudé Hollywood. Pourtant le réalisateur déclarait au Soir qu'il ne se sentait ni nostalgique ni «ringard» : il a en fait cherché l'originalité, et le renouvellement d'un cinéma américain de plus en plus stéréotypé et mécanisé. Il est vrai que le spectateur candide que j'ai été a d'abord apprécié que le héros, Maximus, ne soit ni un Stallone ni un Schwarzie de plus, mais quelqu'un comme vous et moi (ou à peu près...) et que ce film comporte somme toute très peu de violence, ou en tout cas de voyeurisme morbide. Le cinéphile même très amateur aura d'autre part été frappé aux moins par deux choses. D'abord, un pari souriant et audacieux a été tenu : mettre à la mode 2000 l'autre dernier grand péplum, à savoir La chute de l'empire romain d'Anthony Mann (1963) : c'est le même cadre et pour l'essentiel la même intrigue - avec le rythme en plus. Ensuite, Gladiator est rempli de clins d'œil que je n'ai certainement pas remarqués tous : le laniste, par exemple, est tiré de Fellini, et, plus étonnant, la scène finale (Maximus, blessé à mort, n'en livre pas moins un combat victorieux), est également empruntée à Anthony Mann, mais... au Cid.
Bien entendu, l'historien de Rome résiste difficilement à la tentation de passer un péplum, quelle que soit sa qualité, au crible de la vérité historique (ou de ce que nous croyons en savoir); c'est du reste, je suppose, ce que les lecteurs de ce bulletin attendent d'abord de moi.
Que leur dire, en se limitant à l'essentiel ? D'abord que la vérité historique au sens le plus concret et le plus matériel est mieux respectée dans Gladiator que dans aucun autre des péplums que j'ai pu voir. Même s'il reste quelques erreurs (le fameux «morituri» apparaît deux fois, mais sans doute est-il indéracinable...) et quelques imprécisions (quitte à fabriquer une inscription amusante, ut Roma cadit ita orbis terræ, autant le faire en latin correct et dire terrarum...), j'ai noté avec satisfaction, par exemple, la disparition des gestes pseudo-romains introduits par les Américains dans l'entre-deux-guerres (le poing frappant la poitrine comme équivalent de salut militaire...) ou encore l'absence de toute scène d'«orgie». Quant au récit, il fait songer au meilleur Dumas, en ce sens que, mis à part le personnage de Maximus, qui est fictif (mais dont le nom est emprunté aux Pensées), et la mort de Commode dans l'arène, qui en découle, tout le reste serre la vérité de près, est réel ou plausible (Marc Aurèle mourant n'admet que Commode auprès de lui et n'en sort pas vivant : c'est parfaitement exact, ou du moins attesté, et l'auteur de l'Histoire auguste a clairement voulu suggérer l'assassinat; la sœur non plus n'est pas imaginaire, etc.).
Mais le plus important, à mon sens, n'est pas là. Ce qui fait de
Gladiator, pour les professeurs de latin, un film à voir et à montrer absolument, c'est que, pour la première fois à ma connaissance, les valeurs romaines (générales et non spécifiquement stoïciennes) sont présentées dans un péplum comme positives et motivantes, et non comme laissant un vide ou une insatisfaction que devrait combler une idéologie plus satisfaisante, en clair le christianisme - le premier péplum non sulpicien, en d'autres termes, qui ne comporte d'ailleurs aucune allusion aux Chrétiens. J'ajouterai que le réalisateur, ou son conseiller, a vraiment lu Marc Aurèle, et de près.
Bon vent, donc, à
Gladiator, en espérant que réussisse cet essai de renouvellement, qui bénéficie de la technique et de la sensibilité (?) actuelles : la scène de bataille initiale, dans les forêts de Germanie, n'a ainsi plus grand-chose de commun avec le péplum classique, pas plus que Le soldat Ryan avec Le Jour le plus long; quant au Colisée en images de synthèse et en quadriphonie, je n'aurai qu'un mot : extraordinaire !»

Michel DUBUISSON (4)

«D'un point de vue technologique, le film bénéficie des dernières innovation en matière d'images de synthèse. (...) D'un point de vue esthétique et narratif, Gladiator reconduit les canons du genre. L'aspect grandiose est respecté, voire magnifié. (...) Ridley Scott innove dans la façon de représenter la femme antique, jadis réduite aux rôles de vierges effarouchée ou de princesse cruelle. (...) Enfin, il révolutionne carrément le genre en refusant de souscrire à la loi du happy end

Antoine DUPLAN, L'Hebdo (Lausanne), n° 23, 8 juin 2000

«Comme Titanic, qui remettait à l'honneur le mélodrame à grand budget, Gladiator est une production prestigieuse, nourrie d'effets spéciaux numériques, qui tente de revitaliser un genre - le péplum - aujourd'hui disparu. (...) Gladiator reprend le flambeau du genre là où il s'était éteint, il y a 35 ans, avec La Chute de l'Empire romain, le chef d'œuvre d'Anthony Mann. (...) La Rome numérique, reconstituée par instants de manière époustouflante par Ridley Scott, obéit à la seule loi du show-business. Une loi à laquelle ne se soustrait jamais Ridley Scott.»

Samuel BLUMENFELD, Le Monde, 21 juin 2000

 
«Gladiator marque définitivement les limites cinématographique du cinéaste (...). Le metteur en scène britannique pratique un art pompier, légèrement baroque et totalement exsangue, virant à l'abstraction. De la composition décorative à l'art de la mise en scène, il y a une marche qu'il ne parvient décidément pas à gravir. Ce manque d'envergure est particulièrement manifeste dans les scènes d'action (...). Ridley Scott s'avère (...) incapable de rendre compte de l'enjeu des combats. (...) Pour occulter son manque cruel de point de vue, Scott nous en met plein la vue. Ainsi, malgré son impressionnante logistique et ses beautés toutes artificielles, la bataille de ce Gladiator, est à notre avis perdue.»

Laurent ASSÉO, Film (Genève), n° 11, juin-juillet 2000

«Gladiator est un film pour hommes; en le regardant, la plupart des femmes auront probablement, comme moi, l'impression d'espionner la population masculine. (...) Dans son rôle de mâle, Crowe montre qu'au cinéma comme dans la vie, l'androgynie n'a plus sa place; le mâle, dans toute sa force, est de retour. Le triomphe et la tragédie de Gladiator sont dus au fait que le film éclaire les zones sombres et enchevêtrées de la psyché masculine dont le temps et le progrès ne semblent pas capables de nous éloigner.»

Barbara ELLEN, The Guardian (Londres), 21 mai 2000 (5)

«L'histoire du général Maximus (...) était un matériau assez puissant pour déboucher sur un film édifiant. Mais Ridley Scott ne sait plus faire de cinéma. Lui qui était passé maître dans l'art de la lenteur, de la contemplation, du silence de la mort, voire d'une certaine métaphysique (Alien, Blade Runner), est passé depuis longtemps à une imagerie plus ou moins bruyante, politicarde et terre à terre (1492), où le cadre n'est plus que prétexte à un décorum clinquant (les armures luisantes, l'arène numériquement reconstituée), où les scènes s'empilent comme on enfile les perles, sans qu'on y jouisse du temps, (...) où le jeu des acteurs (Russell Crowe excepté) ne dépasse pas la simple parade de mimiques compassées.»

J.S.C., Les cahiers du cinéma, n° 547, juin 2000

«A mon sens, c'est le meilleur film que Ridley Scott ait réalisé jusqu'ici (Blade Runner et Alien ont été très longtemps surestimés). Plutôt qu'un auteur, ce dernier s'avère être un metteur en scène de premier ordre qui maîtrise l'usage de la séquence-action. Avec Gladiator, produit de studio à grand budget, (...) il a réalisé un succès logistique difficile à obtenir. (...) S'il y a un point commun à son œuvre, c'est bien l'intérêt porté aux héros (...) qui risquent leur vie pour des organisations corrompues ne méritant pas la loyauté de leurs serviteurs.»

Leslie FELPERIN, Sight and Sound (Leicester), juin 2000 (6)

«Gladiator est un plaisir : la narration est fluide, les duels superbes, l'interprétation de Russell Crowe formidable (...). On relèvera bien que Marc Aurèle n'est pas mort étranglé par son fils, mais d'une rougeole, et que jamais il n'a banni les combats de gladiateurs. On précisera aussi que le signal des spectateurs pour infliger la mort n'était pas le pouce vers le sol, mais le pouce vers le ciel. Et que Commode (qui régna de 180 à 192) n'était pas le pâle gougnafier pervers montré dans le film, mais un play-boy superdragueur. Peu importe : en deux heures et vingt minutes, pas une seconde d'ennui. Gladiator retrouve l'enfance du cinéma.»

François FORESTIER, Le Nouvel Observateur, n° 1858, 15-21 juin 2000

«On ne s'ennuie pas une minute à Gladiator, passionnant film de pirates, non, de mille et une nuits, ou plutôt de science-fiction. Bref, un film américain. Un vrai, un grand.» Toutefois... «La chute de l'Empire romain était porteur d'un message : la meilleure façon de combattre les Barbares (comprenez les Russes), c'est encore de les faire accéder aux joies du capitalisme. Gladiator, lui, se veut un pur divertissement : ce qu'il est.
Comme un vague reflet, figé dans une perfection glacée, de ces anciens péplums parfois si naïfs ou si maladroits. Loin de faire renaître un genre aujourd'hui disparu, il en est le fossoyeur. Mais c'est un enterrement de première classe.»

Claude AZIZA, L'événement du jeudi et L'Histoire (7)

«(...) un cavalier, qui pourrait sortir du dernier film de Tim Burton, galope vers les lignes romaines, dans la pénombre gothique d'une forêt germanique en hiver. Le général Maximus, l'apercevant, remarque avec un laconisme digne de Jules César : «Ils disent non.» Ce cavalier sans tête est l'émissaire qu'il avait envoyé aux Barbares pour leur demander de capituler, et qu'ils lui renvoient attaché à son cheval, décapité (la tête suivra). Un des rares traits d'humour (noir, certes) d'un film par ailleurs fertile en situations ironiques, la litote de Maximus en dit déjà beaucoup, d'entrée de jeu, sur la sobriété et le sang-froid d'un personnage qui va révéler une force de caractère, des qualités tant morales que physiques dignes d'un héros mythique. (...) Pour Ridley Scott, qu'on pouvait croire perdu corps et bien depuis le naufrage de son Christophe Colomb, cette séquence d'ouverture est comme une façon de s'écrier triomphalement : «I'm back !» On n'a pas manqué d'évoquer, à propos de cette entrée en matière fracassante, l'ouverture du Soldat Ryan de Spielberg, producteur de Gladiator; comparaison oiseuse, surtout si elle prétend suggérer une quelconque «imitation» de la part de Scott (mieux vaudrait savoir gré à Spielberg et ses associés de DreamWorks de lui avoir fait confiance, malgré ses ratages récents, pour diriger le plus gros budget risqué par la compagnie à ce jour).

(...) On peut noter, entorse majeure aux règles du genre, l'absence des orgies de rigueur à Rome depuis DeMille; Commode, qui ne donne pas non plus de signes d'homosexualité, ne semble désirer que sa sœur, laquelle est d'ailleurs pratiquement le seul personnage féminin du film. Autre manquement à la tradition du péplum, la religion ne joue pratiquement aucun rôle dans le film. Maximus évoque à plusieurs reprises une vie future où il retrouvera les siens après la mort, mais cette croyance ne semble rien devoir au christianisme. La persécution des chrétiens, qui continuait pourtant à l'époque de l'action, n'est jamais évoquée (8).
(...) On ne peut cependant manquer de noter une option formelle par quoi Gladiator se distingue radicalement du péplum des années '50-'60 (mais c'est le fait d'une évolution esthétique qui affecte plus ou moins tous les genres et tous les films hollywoodiens) : l'emploi systématique, dans le traitement des combats, du plan rapproché et du montage court, qui a pour effet paradoxal d'escamoter les actes de violence les plus spectaculaires, les transformant en expérience quasi subliminale pour le spectateur. Eventrements, décapitations, jets de sang, chariots fracassés, tigres surgissants des sous-sols, tout passe si rapidement que, le choc initial passé, il n'en reste guère qu'une impression de flou général.

(...) Certes, le spectateur moyen d'aujourd'hui, peu familier de l'histoire romaine, n'en aura cure; et d'ailleurs ce ne sont pas des leçons d'histoire que nous attendons du cinéma. Oscar Wilde, je crois, disait que notre seul devoir envers l'Histoire, c'est de la réécrire. «Devoir» peut-être inévitable, puisque l'histoire, on le sait bien, n'existe pas; ou n'existe que de façon abstraite et inaccessible, en dehors des lectures et interprétations infiniment diverses qu'en font les époques, les individus, les modes, des idéologies... (c'est en ce sens que Wallace Stevens pouvait dire qu'il n'est d'histoire que moderne). Les artistes, de Shakespeare à Oliver Stone, ne cessent, pour leur compte, de la réécrire allégrement. Gladiator est un film très actuel, non seulement par son style, mais par son recours insistant à la métaphore du spectacle, particulièrement pertinente à une époque qui tend à confondre virtuel et réel, où les médias transforment systématiquement l'information en divertissement.»

Jean-Pierre COURSODON, Positif, n° 473-474, juillet-août 2000, pp. 115-118

Suite…

NOTES :

(1) Alexandre BRILLANT Photos : Jaap Buitendijk, Première, n° 269, août-septembre 1999, pp. 98-101. - Retour texte

(2) Philippe GARNIER, «Cinemaximus - Gladiator de Ridley Scott sort aujourd'hui en France», Libération, mardi 20 juin 2000. - Retour texte

(3) Olivier SÉGURET, «Le péplum, genre idéal - Ce registre permet tout, dans le fond et la forme», Libération, mardi 20 juin 2000. - Retour texte

(4) Michel DUBUISSON, Bull. F.P.G.L. (Belgique), n° 124, septembre -octobre 2000. - Retour texte

(5) Extrait choisi et traduit par Ghania ADAMO, Samedi culturel (Suisse), samedi 24 juin 2000, p. 13. - Retour texte

(6) Extrait choisi et traduit par Ghania ADAMO, Samedi culturel (Suisse), samedi 24 juin 2000, p. 13. - Retour texte

(7) Cl. AZIZA, L'événement du jeudi, n° 31, 15-21 juin 2000, p. 22, et L'Histoire, n° 244, juin 2000, p. 14. - Retour texte

(8) Voir à ce sujet les scènes tombées au montage (CLICK & CLICK). - Retour texte