De gauche à droite
: le septième opus de Murena : VIE DES
FEUX (13 novembre 2009); la traduction latine de l'opus
1 : MUREX ET AURUM (LA POURPRE ET L'OR), par
Claude Aziza et Cathy Rousset (également 13 novembre
2009); et la superbe couverture de Philippe Delaby pour
L'Histoire, HS nç 1, «Spécial Murena
- Rome au temps de Néron» (coordonné
par Claude Aziza), novembre-décembre 2009
|
Consultez les quinze premières planches
de Vie des Feux : CLICK
Né de la rencontre d'un des plus talentueux dessinateurs
de la BD franco-belge, Philippe Delaby (Bran; La complainte
des landes perdues) avec le merveilleux scénariste
qu'est Jean Dufaux (Djin; Dixie Road; Les Voleurs d'Empires),
«Murena» s'est, en une douzaine d'années, imposé
comme un classique de la BD historique.
A travers le personnage fictif de Lucius Murena, le scénariste
Jean Dufaux - se basant sur les travaux des historiens et les
récits des auteurs anciens - et le dessinateur Philippe
Delaby nous racontent l'ascension au pouvoir de Néron à
travers les intrigues, les complots et les meurtres, et le glissement
progressif mais irrémédiable de celui-ci vers la
folie.
Un dessin réaliste très fouillé, un scénario
qui restitue trait pour trait l'histoire de Rome dans toute sa
violence, mettant en scène des acteurs qui, dévorés
par la cupidité et le goût du pouvoir, accumulent
cruautés, crimes et trahisons sans le moindre scrupule.
MURENA
Scén. : Jean Dufaux - Dess. : Philippe Delaby
- LE CYCLE DE LA MÈRE
1. La pourpre et l'or (1997)
coul. Béatrice Delpire;
3e éd. (2001) : coul. refaites par Dina Kathelyn
(48 pl.)
2. De sable et de sang (1999)
coul. Philippe Delaby & André
Benn (48 pl.)
Remerciements à Erwin Sels,
pour sa précieuse documentation
3. La meilleure des mères (2001)
coul. Dina Kathelyn (pl. 1-36)
et Philippe Delaby (pl. 37-46) (46 pl.)
4. Ceux qui vont mourir (2002)
coul. Dina Kathelyn (46 pl.)
Avant-propos Michael Green
- LE CYCLE DE L'ÉPOUSE
5. La déesse noire (2005)
coul. Jeremy Petiqueux (46 pl.)
Remerciements au Prof. Jean-Paul
Thuillier
6. Le sang des bêtes (2006)
coul. Jeremy Petiqueux (48 pl.)
7. Vie des feux (2009)
8. ...
|
Quand les auteurs de BD sont
aussi des cinéphiles
Les deux compères ne renient en rien leur passion pour
le cinéma et, en particulier, pour les péplums des
sixties; ce qui les empêche du reste pas de se montrer
très pointus dans leurs recherches documentaires afin de
viser au plus juste. Rappelant qu'il avait fait des études
de cinéma, Jean Dufaux déclare dans une interview
(1)
: «Delaby et moi, on aimait les séries B, voire
Z : Maciste contre Hercule, La bataille des Thermopyles
!... Un rêve d'enfant.» Cet amour du cinéma
se traduit non seulement par des angles de prise de vue et des
mouvements de caméras assumés par le dessinateur,
qui agence ses cases avec inventivité, mais aussi la mémoire
cinéphilique. Ainsi, Agrippine doit beaucoup à la
froide beauté de Carole Bouquet, tout comme Poppea Sabina
emprunte à Sophia Loren, sans toutefois la recopier. Et
le druide-guerrier de l'opus 6, Cervarix, est tout autant
redevable à Saroumane-Christopher Lee, dans Le Seigneur
des Anneaux...
Les prétoriens de l'empereur
Claude escortent le jeune Néron («Murena»,
La pourpre et l'or, 1997). Ph. Delaby s'est, ici,
inspiré du fameux haut relief du Musée du
Louvre. A l'origine, ce relief en marbre semble avoir fait
partie d'un arc célébrant le triomphe de Claude
sur la Bretagne, mais les spécialistes discutent
encore pour savoir s'il faut bien voir ici des prétoriens,
ou peut-être tout simplement un quarteron d'officiers
supérieurs. A noter les luxueux casques de type attique
très différents de ceux portés, à
la même époque, par la troupe des légionnaires.
Avec leur cimier de plumes non pas raides mais ondoyantes,
ils vont inspirer ceux à plumes d'autruche que l'on
verra dans de nombreux péplums hollywoodiens, notamment
le consul Quintus Arrius/Jack Hawkins, lors de son triomphe,
dans Ben Hur, 1959 (photo : De l'esclave à
l'empereur. L'art romain dans les collections du Musée
du Louvre, Somogy-Musée du Louvre éditions,
2008, pp. 198-199). |
En parcourant les albums, on est frappé par les références
cinématographiques, particulièrement au Ben Hur
de Wyler - la course de chars - et, plus encore, au Spartacus
de Kubrick dont l'atmosphère imprègne largement
toutes les images gladiatoriennes, depuis les coiffures - la fameuse
«boucle du gladiateur» - jusqu'aux images de leur
caserne, avec ses hautes grilles, son arène privée,
ses mannequins d'entraînement et même, dans l'opus
3, le maillage de la manica de Balba ! Leur fascination
pour le générique de Saul Bass de Spartacus
s'exprime encore à travers les couvertures des différents
albums de la série, tous en gros plans statuaires. A Gladiator
enfin, à la promotion duquel ils surent s'associer, notamment
en dessinant pour la librairie Durango une superbe sérigraphie
centrée sur le personnage de Maximus/Russell Crowe (75
exemplaires, juin 2000 [2]).
 |
Gageons que la figure de Juba/Djimon Honsou injecta une seconde
vie au personnage de ce gladiateur à peau d'ébène,
d'abord «nubien», puis «numide», déjà
présent, de dos, à l'extrême-droite de la
seconde vignette de la première planche du premier album
- mais qui ne sera nommé «Balba», pour la première
fois, qu'à l'avant-dernière planche de l'opus
3 (2001); dès lors, sa personnalité et sa physionomie
glissent du Draba/Woody Stroode du Spartacus de Kubrick
vers le Juba/Djimon Honsou de Gladiator, sorti en juin
de l'année précédente, comme l'attestera
le superbe portrait aquarellé en frontispice de ce même
album. Gageons encore que cette première planche de gladiateurs
combattant complètement nus - à la vive surprise
du Prof. Jean-Paul Thuillier - devait beaucoup à une lecture
trop consciencieuse du roman d'Howard Fast... qui, on l'oublie,
n'était pas pour rien aussi un auteur de SF !

Ce gladiateur de la planche
25 de l'opus 4 (Ceux qui vont mourir) porte le plastron
et le casque des provocatores, mais manie bizarrement
une improbable arme d'hast à cinq dents tout droit
sortie de l'arène de Zucchabar dans Gladiator,
ce en dépit du bouquin de Brice Lopez et Eric Teyssier,
bien en vue sur le bureau de Delaby (cf. interview
DVD [3]).
Comme quoi les gladiateurs n'ont pas fini de faire gamberger
l'imagination des raconteurs d'histoires romaines. |
La série «Murena» a reçu l'aval bien
mérité des Profs Jean-Paul Thuillier (4)
et Michael Green (5), chercheur
au King's College et consultant pour le film Gladiator.
Nous restons frappé par l'humilité des auteurs qui,
dans des notes en fin d'album n'hésitent pas à remettre
en cause certaines de leurs affirmations (6).
A Ben Hur, Dufaux et Delaby empruntent l'inspiration
de leur course de chars jusque dans le harnachement des chevaux,
mais aussi les curieuses figures de colosses assis (dans la BD),
accroupis dans le film de Wyler, qui lui-même les avait
repris de la précédente version MGM, celle de Fred
Niblo (1925). Aussi l'idée - où plutôt les
images - de Ben Hur/Néron allant visiter son ennemi Messala/son
ami Verus agonisant, après avoir été piétiné
par le char d'un concurrent, pendant la course. On devine la jubilation
des deux compères reconstituant une des scènes les
plus émouvantes du film qui charma leur enfance. L'amateur
de péplum que nous croyons être, était aux
anges lui aussi !
Le cirque de «Murena»
La déesse noire montre la spina centrale
décorée à ses extrémités
de colosses assis qui ne sont pas sans rappeler les deux
Ben Hur de la MGM (ici, la version 1959) |
Les références à Quo Vadis - le film
1951 de Mervyn LeRoy et le roman d'Henryk Sienkiewicz - sont tout
aussi patentes, et bien naturelles puisqu'il s'agit d'une histoire
se déroulant sous le règne de Néron. Toutefois,
les auteurs éluderont la savoureuse caricature d'empereur
- savoureuse, mais non pertinente - jouée par le génial
Peter Ustinov, pour nous camper cette fois un Néron historiquement
plus crédible. Cependant, le dialogue avec Pétrone,
lors du «débriefing» de la course de chars
perdue, nous vaut un sketch digne du romancier polonais. Pétrone
semble accumuler les maladresses pour finalement les retourner
en éloge de l'empereur (opus 5) ! De même
le passage où Néron s'extasie sur la maquette de
la Rome à venir (dans la version 1951, il s'agit du plasticio
du Museo della Civiltà Romana...) (opus 6). Tout
ça a été inspiré par le film - comme
le seront sans doute d'autres chose à venir, car seulement
maintenant nous entrons dans l'objet de Quo Vadis. A noter
l'intrusion de Pierre dans cette aventure - intrusion incontournable
d'un point de vue chrétien -, mais qui nous paraît
historiquement discutable... Enfin, ne faut-il pas savoir, à
l'occasion, donner au peuple des lecteurs ce qu'il s'attend à
voir ?
Néron brûla-t-il
Rome pour pouvoir la reconstruire plus belle ? (Quo Vadis
?, Mervin LeRoy, 1951) |
L'écriture
Certes, les auteurs révèrent «Alix»
et l'uvre de Jacques Martin, le Père initiateur,
mais rien n'est plus différent d'une «aventure d'Alix»
qu'un album de «Murena», qu'il s'agisse de la construction
des planches et de l'agencement des vignettes - académiques
là, cinématographiques ici - ou même, tout
simplement, des couleurs. Gouache sur transparents là,
couleur directe (aquarelle) ici.
Le scénario aussi. Dufaux accorde une plus large place
aux personnages historiques, lesquels interviennent constamment
et personnellement, alors que Martin répugnait à
le faire, comme il l'a exposé dans maintes de ses interviews.
Bien sûr, ce souci d'adhérer au plus près
à l'Histoire n'a jamais empêché, d'un et l'autre,
de se livrer à des private jokes comme ce
libraire romain Chlirfus que se sont autorisés les compères,
et en qui tous les bruxellois amateurs de BD reconnaîtront
le libraire Schlirf. Pareillement, J. Martin ne s'accorda-t-il
pas un certain «Numa Sadulus» ?
Ensuite, la continuité des albums de «Murena»
a été pensée dès le départ,
et se suit avec une chronologie historique rigoureuse et vérifiable,
alors que les «Aventures d'Alix», composées
au coup par coup, sont indépendantes les unes des autres
et le plus souvent voltigent d'une civilisation à une autre
- ce qui fait d'Alix une sorte d'archéologue spatio-temporel
-, en faisant souvent, du moins dans les derniers albums, des
retour dans le temps par rapport à Jules César.
Ceci est sensible même si, au contraire de «Murena»,
les dates dans «Alix» sont rarement indiquées...
Même si pour des raisons scénaristiques certains
évévements historiques ont fait l'objet de contractions
temporelles, «Murena» ait l'objet d'une chronologie
historiquement rigoureuse :
LE CYCLE DE LA MÈRE
1. La pourpre et l'or (1997)
De mai à octobre 54 : six mois
La fin du règne de Claude
2. De sable et de sang (1999)
Du 13 octobre 54 à quelques jours
après le 13 février 55 : 4 mois
La mort de Britannicus (41-54)
3. La meilleure des mères (2001)
Mi-février 55 à, plus ou
moins, 58 (?)
Rivalité d'Agrippine et Domitia
Lepida
4. Ceux qui vont mourir (2002)
Courant 58 à mars 59
Débuts de la liaison Néron-Poppée.
Mars 59 : assassinat d'Agrippine
(Près de trois ans se sont écoulés
entre les opus 3 et 4)
LE CYCLE DE L'ÉPOUSE
5. La déesse noire (2005)
Printemps 62...
Néron épouse Poppée
enceinte de ses uvres. L'apôtre Pierre est à
Rome
6. Le sang des bêtes (2006)
... à hiver 62
Néron forme des projets urbanistiques
pour Rome. L'apôtre Pierre est toujours à Rome
7. Vie des feux (2009)
L'enquête sociologique
A divers titres, «Murena» est à la BD ce que
la série Rome (HBO) a été au cinéma-télévision,
restriction faite de la période traitée. Là
l'Empire en pleine expansion; ici la République finissante.
Le climat politique est donc sensiblement différent, et
les mentalités vont nécessairement s'en ressentir.
Il est à noter que, de citoyens-légionnaires, les
deux héros plébéiens Vorenus & Pullo
sont devenus des esclaves-gladiateurs antagonistes, Balba et Massam.
C'est, en effet, sur ces derniers que repose l'action; ils sont
les «doubles agissants» de leurs maîtres respectifs,
Murena/Britannicus ou Poppée (n'oublions pas Draxius/Agrippine).
Et ce à tel point que J. Dufaux devra les ressusciter :
Balba, qui était censé être sorti de la saga
à la fin de l'opus 4, fera un retour fracassant
dans le 5. Plus vif que le cobra, Massam réapparaîtra
quelques pages seulement après s'être fait trucider
dans les égoûts de Rome... Quoique la ligne générale
de la série ait été définie depuis
le début, il reste toujours au scénariste à
modaliser les détails de chaque épisode, comme il
l'explique dans son interview DVD précitée.
Comme dans Rome, la série «Murena»
ne se prive pas de recourir à des expédients qui
auraient horrifié Alix, Bob Morane et Tintin réunis.
Autre époque. Autres valeurs. Lucius Murena exécute
de sa propre main une femme sans défense, Arsilia - qui
était une belle salope, reconnaissons le. Et Balba «tue»
Massam en le frappant dans le dos. Et pour parvenir à ses
fins, Evix n'hésite pas à poignarder la sentinelle
romaine tout en conversant paisiblement avec lui. Notons que ces
trois crimes qui posent nos trois héros sur un pied d'égalité,
interviennent tous dans le même album, le sixième
(2006). Evolution du scénariste vers une vision plus dure
de la vie ? Peut-être une influence de Rome (HBO,
2005) où l'on voyait le jeune Octave, encore ado, torturer
personnellement le beau-frère de Vorenus... seulement coupable
d'adultère. D'adultère oui, mais aussi d'avoir par
ce fait même entaché l'honneur d'un citoyen romain.
Ces crimes d'honneur, en principe, passent mal dans notre société
judéo-chrétienne, démocratique et de consommation...
Cependant Pierre n'a-t-il pas démontré, dans le
même album, qu'il ne fallait pas juger un «monstre»
? «Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugé»,
comme aurait dit certain Evangéliste qui devait avoir,
quelque part, une sacrée mauvaise conscience ! En cette
occasion, Néron fera preuve de générosité.
Car Néron sait être généreux quand
sa famille ou lui-même se sont pas mis en cause. C'est même-là
son drame.
Toutefois, au long des six premiers albums, Néron n'arrêtera
pas d'éprouver de la fascination d'abord pour la lumière,
puis pour le feu, pour finalement apprécier l'odeur de
la chair calcinée (celle du giton de Proctus - opus
5). Par petites touches, Dufaux et Delaby guident leur anti-héros
Néron de la raison à la folie. La dernière
page de l'opus 3 ne laisse planer aucun doute dans notre
esprit : le lecteur est assuré de, bientôt, voir
Néron organiser l'incendie
de Rome, en vertu d'une loi qui veut que la légende
soit préférable à la terne réalité
et en dépit de l'opinion générale des historiens
contemporains. A moins bien sûr d'un revirement scénaristique
toujours possible. Car il a plus d'un tour dans son sac, ce gredin
de Dufaux, qui n'a pas son pareil pour nous ménager des
surprises ! Avouons nous être maintes fois demandé
- depuis tout ce temps - quelles étaient les motivations
profondes d'Evix, qui lui font prendre fait et cause pour la mémoire
de Britannicus. Certes, étant né à Lyon (Lugdunum),
Claude et ses enfants jouissaient de la sympathie des Gaulois.
A vrai dire, nous avons aussi - un temps - soupçonné
l'aurige des Rouge de n'être autre qu'Octavie, la sur
de Britannicus et l'épouse répudiée de Néron.
N'aurait-ce pas là été deux excellents motifs
de vengeance ? (Sa mutilation du visage étant, dans ce
cas, liée aux circonstances de sa «mort», ébouillantée
dans une étuve...
Ces dieux qui nous observent
Nous reconnaissons volontiers que les récurrentes interférences
entre mortels et divinités nous cueillent un peu à
froid. Bien sûr, les rêves prémonitoires et
les manifestations paranormale sont souvent de règle dans
la bande dessinée, et notamment dans «Alix».
Sans doute les auteurs estiment-ils qu'aux yeux de notre société
matérialiste, ils ajoutent une dimension intéressante,
un condiment indispensable. Les Romains, du reste, étaient
très superstitieux et croyaient aux rêves, présages
etc. A la planche 6 de l'opus 1, Néron a la vision
d'un dieu de lumière, qui lui promet l'Empire pour peu
qu'il sache s'en emparer. La scène n'est pas sans rappeler
Mercure (chapeau ailé, caducée) apparaissant à
Jason, dans Jason et les Argonautes et le coachant vers
l'Olympe où, contre l'avis de son époux Zeus, Héra
le prend sous sa protection - sauf que Mercure est, ici, nu. Et
que les ailes à son front sont en fait fixées à
un casque, non au chapeau de voyageur qui est normalement l'attribut
de Mercure. En fait, ce dieu de lumière que Dufaux ne nomme
jamais mais qui apparaît dans la saga de manière
récurrente, tantôt comme une vision parlante, tantôt
comme une statue dans le décors, témoin muet tantôt
de Néron, tantôt de Murena, avec son casque ailé,
serait plutôt le héros Persée - le vainqueur
de la Gorgone Méduse - à qui Hermès-Mercure
transmit ces symboles : les ailes sur le casque, et peut-être
le caducée, toujours bien en évidence dans les vignettes;
et dont les deux serpents affrontés et toujours prêts
à se mordre anticipent le drame qui va opposer la mère
et le fils. Quand à Méduse, mi-Gorgone mi-Furie,
son masque tout aussi récurrent dans la saga est l'image
subliminale de l'empoisonneuse Locuste, la sorcière attachée
à Agrippine.
De même, la scène qui justifie la couverture et
le titre de l'opus 5, La Déesse Noire, nous montre
Poppée se révélant à Massam dans toute
son hideur subliminale : une entité à la face noire
comme l'Enfer, au front orné de deux petites cornes. Dans
notre système de référence judéo-chrétien,
la connotation avec le Diable paraît évidente - et
la majorité des lecteurs y souscrira. Même si pour
notre part, les cornes symbolisant la Lune, nous préférerions
n'y voir que Diane sous son aspect nocturne d'Hécate. Hécate,
la magicienne, la sorcière présidant aux enchantements
de Circé et de Médée - Diane, la vierge qui
chasse les mâles pour les faire dévorer par ses chiens.
Mais comme toujours, dans ce genre de récit, les références
religieuses seront ambiguës.
Ambiance...
Tout comme Rome
à la TV, ou la saga romanesque de Colleen
McCullough, Les maîtres de Rome, «Murena»
brille par toutes sortes de petites notations de la vie romaine.
Eh oui, les Romains ne boivent pas que du vin. A son réveil,
Lucius Murena boit un peu... d'eau sucrée (miellée,
en fait) (opus 6) (cf. Vorenus offrant un peu d'eau
à Jules César venu lui rendre visite : «Elle
est bonne ton eau», apprécie le proconsul qui
ne boit jamais).
Quant aux latrines publiques, elles en ont fait reculer plus
l'un, à commencer par Jacques Martin (7)
(opus 6). Pour Agrippine, son esclave Draxius n'est qu'un
outil à deux jambes, dont elle se demande s'il serait capable
d'éprouver le moindre sentiment... une pulsation sexuelle.
C'est pourquoi elle le reçoit dans une tenue vaporeuse,
en le priant de tomber le pagne (opus 4). Plus dessalée
si c'est possible, Poppée n'hésite pas à
se donner à cette belle brute de Massam, le gladiateur
à la mode (opus 5), mais traite le même avec
mépris lorsque mourant il se raccroche à sa manche
(opus 6). Agrippine traite cruellement son ornatrix
qui l'a blessée en la coiffant (opus 1). Et Claude
se délecte de l'expression passant sur le visage des gladiateurs
mourants (8)
(opus 1).
Le vieux Caton se réjouissait de voir tel jeune homme
fréquenter le bordel, plutôt que de, par un adultère,
souiller l'honneur d'un autre citoyen avec sa femme; mais le désapprouvait
lorsqu'il voyait qu'il y dilapidait son patrimoine. Le relayant,
Pétrone explique à Acté que la prostitution
à laquelle elle s'était autrefois livrée
n'avait rien de répréhensible (9)
(opus 5).
Or, si le commerce était en principe interdit aux nobles
romains, il n'était ni illicite ni honteux de tirer de
substantiels revenus d'entreprises même les plus viles,
lorsqu'elles étaient gérées par des intermédiaires
! Les termes lanista (maître de gladiateurs) et leno
(proxénète) étaient d'ailleurs connexes et
sémantiquement liés au trafic de la viande. En l'occurrence,
la chair humaine. Pallas, donc, l'affranchi de Claude, comme affranchi
d'origine grecque était loin d'être un citoyen respectable.
Si riche était-il, il n'était qu'un homme de rien.
Que, dans la BD du moins, il prostitue des filles, n'aurait rien
eu d'étonnant, si l'on veut bien se souvenir des robustes
appétits sexuels de Claude : Pallas avait sans doute dû
s'organiser pour satisfaire les exigences de son patron et empereur.
Cependant, même affranchi l'esclave demeure une créature
de son patron; et c'est ce qui permet à Néron de
contraindre Acté à épouser l'homme qu'il
lui a choisi, le vieux centurion Sardius Agricola (opus 5).
On peut multiplier les exemples quasiment à l'infini.
Ainsi Massam peut bien, sans complexe, faire brûler vif
le giton de Proctus : il ne risque pas grand chose, juridiquement
parlant. Quoique ce fût précisément sous Néron
que furent promulguées des lois visant à protéger
la population servile contre la cruauté des maîtres.
Ainsi abolit-on, notamment, celle qui vouait à la mort
toutes la maisonnée d'un maître qui aurait été
assassiné par un de ses esclaves. Il arriva que des centaines
d'esclaves périrent de la sorte, expiant la faute d'un
seul (cf. l'assassinat du préfet de Rome, Q. Pedius).
-------oOo-------
Nous avions déjà consacré un
petit dossier à Murena - c'était même le tout
premier texte mis en ligne, inaugurant le présent site
(CLICK) et (CLICK).
Murena nous revient aujourd'hui dans un septième opus,
mais aussi avec la consécration d'une traduction en latin
due aux efforts conjugués de Claude Aziza et Cathy Rousset,
Murex et Aurum. Et maintenant, place au concours, et que
les meilleurs gagnent !
LE CONCOURS
QUESTIONS
1. |
Lollia Paulina, la mère de notre héros
Lucius Murena, est un personnage historique. Avant de
devenir la maîtresse de l'empereur Claude, elle
avait épousé un autre empereur qui la
répudia après quelques semaines (ou quelques
mois), car elle ne pouvait ou ne voulait pas lui donner
un héritier. De quel empereur s'agissait-il ? |
|
|
2. |
Néron n'était pas que le fils adoptif
de Claude : il était aussi son gendre, ayant
épousé la fille de ce dernier - donc la
sur de Britannicus. Il la fera mourir en l'enfermant
dans une étuve. Dans une note en fin d'album,
Jean Dufaux déclarera ne pas avoir pris en compte
ce personnage historique pour ne pas inutilement alourdir
son scénario. Quel est le nom de la fille de
Claude, première épouse de Néron
? |
|
|
3. |
Fils d'Agrippine la Jeune et d'un précédent
époux, Néron fut - en fait - élevé
par sa tante Domitia Lepida, pendant l'exil de sa mère
dans l'île de Pandataria (elle avait conspiré
contre son frère Caligula), d'où Claude
la tira en 49. Quel était le véritable
nom de Néron (prænomen, nomen et cognomen)
avant de devenir, par son adoption, Tib. Claudius Nero
? |
|
|
4. |
Dans la BD de Dufaux et Delaby, Néron devient
roux après que lui soit apparu un dieu qui lui
prédit l'empire. En réalité, la
rousseur était une particularité physique
de sa famille, dont le cognomen se traduit en
français par «Barbe d'Airain». Quel
est ce surnom, en latin ? |
|
|
5. |
Domitia Lepida fut la mère d'une impératrice
romaine que son époux, Claude - toujours lui
! - fit exécuter. Depuis, son nom est passé
dans la langue française comme synonyme de nymphomane,
de femme débauchée (Alfred Jarry en a
fait l'héroïne d'un petit roman). Comment
se nommait-elle ? |
|
|
6. |
On a souvent voulu voir en Acté une chrétienne
convertie. A un certain moment de l'histoire, elle disparaît
de la vie de Néron (vers 58-62). C'est donc une
liberté du scénariste que de la faire
mourir en Gaule en 62, entre les mains de Cervarix,
puisqu'elle réapparaîtra dans la vie de
Néron six ans plus tard. Que fit-elle de remarquable,
le 11 juin 68 ? (SUÉTONE, Vie des 12 Césars,
Néron, L) |

Ce concours a été clôturé
le 14 Décembre 2009
|
|
Les réponses à toutes ces questions se trouvent
sur notre site PEPLVM-IMAGES DE L'ANTIQUITE, dans les pages consacrées
à Murena (CLICK
et CLICK), à Néron (CLICK)
ou à Moi Claude, Empereur (CLICK),
(CLICK) et (CLICK).
Plus fastoche que ça, c'est illégal ! Dix bonnes
réponses seront tirées au sort par Dargaud le 14
décembre 2009.
Vous pouvez répondre
en copiant-collant le formulaire ci-joint
et en le renvoyant à l'adresse suivante : aiglerome@yahoo.fr
Questions |
Réponses |
1) Lollia Paulina avait
été répudiée par... |
|
2) La première épouse
de Néron, sur de Britannicus... |
|
3) Le nom complet de Néron,
avant son adoption |
|
4) La forme latine de «Barbe
d'Airain», connotant la rousseur |
|
5) La fille de Domitia
Lepida, exécutée pour adultère
|
|
6) Que fit Acté
le 11 juin 68 ? |
|
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