Tourné en studio devant des écrans bleus et à
grand renfort d'effets virtuels, les décors sont minimalistes
: une maquette d'amphithéâtre vue du ciel, une autre
d'une villa à impluvium (censée être
la caserne des gladiateurs). Et, question décors, un atrium
et quelques cachots ou ergastules, et bien sûr des thermes
où nos gladiateurs peuvent tomber le pagne. Enfin la cour
du ludus.
Qu'il fasse la guerre quasi nu dans la neige du mont Hæmus
(clin d'il à la scène avec le loup, dans 300),
ou qu'il subisse le rude entraînement des gladiateurs, Spartacus
- bâti à sable et à chaux - semble témoigner
d'une solide constitution. Et aussi d'une solide dentition, car
il n'arrête pas de se prendre des coups sur la bouche et
de cracher de longs jets de sang virtuel - sans que celle-ci soit
altérée.
Initiée par la femme de Batiatus, son
amie la jeune Ilithyia (un nom grec, celui de la déesse
de l'enfantement, inusuel pour une patricienne romaine)
contemple le ludus et le vivier de mâles à
sa disposition... Au passage, notons le décor minimaliste |
3.3.1. De la retenue...
Cette esthétisation de la violence visuelle est d'autant
plus intéressante que cet hiver 2009-2010 s'est signalé
à l'attention des cinéphiles par la sortie presque
simultanée de la série TV Spartacus (USA,
22 janvier) avec Agora
d'Alejandro Amenabar (France, 6 janvier).
Rien de plus différentes dans leur propos et dans leur
esthétique que ces deux productions, même si leur
objectif à toutes les deux semble être de vouloir
démontrer la barbarie de l'Humanité - l'une avec
complaisance, l'autre avec retenue. Voici une quinzaine d'années,
Alejandro Amenabar
sortait son premier film de réalisateur, Thesis
(Tesis, 1996). La «thèse» en question
était celle que préparait une étudiante en
communication, Angela (Ana Torrent), sur la représentation
de la violence dans les médias audio-visuels. Pour se documenter,
elle rencontrait un condisciple fan de vidéos gore ou pornographiques,
Chema (Fele Martinez). Elle allait ainsi débusquer dans
sa propre université un réseau de criminels tournant
des snuff-movies.
L'un de ceux-ci, un professeur, n'hésitait point de proclamer
devant son amphi : «Le cinéma est avant tout une
industrie. Pour contrer l'hégémonie d'Hollywood,
l'Espagne doit tourner des films correspondant à l'attente
du public, lui offrir ce qu'il désire voir...»
(On croirait entendre un fan de Jess Franco, lequel affirmait
volontiers : «Je préfère filmer n'importe
quoi, plutôt que de ne rien filmer du tout !»).
Tesis était la réflexion d'un cinéaste
sur son métier, sur la carrière qui s'offrait à
lui, jeune diplômé. C'est donc ainsi qu'Angela, tournant
la tête avec dégoût, et Chema, fasciné
et horrifié en même temps, découvraient dans
une cassette snuff les derniers instants d'une ancienne
condisciple mystérieusement disparue deux ans auparavant.
La jeune fille se faisait tabasser, puis exécuter d'une
balle dans la tête, et ensuite découper telle une
vulgaire pièce de boucherie au terme d'un long plan-séquence.
Toutefois, Amenabar préférait filmer les réactions
des spectateurs plutôt que de nous faire profiter des images
que ceux-ci regardaient - seulement suggérées dans
la bande-son, par les cris et supplications de la victime implorant
son bourreau. Treize ans plus tard, dans Agora,
Amenabar éludait pareillement les abominations contenues
dans son scénario : le moine Ammonios torturé à
mort pour avoir attenté à la vie du préfet
romain (1),
le lynchage de la philosophe Hypatie dépecée vivante
(2).
3.3.2. ... à la complaisance
assumée
Il est clair que les producteurs de Spartacus ne partagent
pas cet avis et seraient plutôt d'accord avec le précité
professeur de fac interprété par Xabier Elorriaga,
qui enseignait à ses élèves qu'il leur fallait
donner du spectacle aux spectateurs ! Après tout, n'était-ce
pas là le but même des affrontements entre gladiateurs
: donner au public le spectacle de la mise à mort violente
d'êtres humains ? Du sang jaillissant à gros bouillon
d'une jugulaire tranchée ! Le cinéma, et c'est sa
spécificité, est là pour nous donner à
voir. Et les spectateurs ou téléspectateurs
sont des voyeurs. Ceci étant confessé, ne boudons
pas notre plaisir - délectons-nous plutôt !
D'un revers de son glaive,
un gladiateur égorge ce prisonnier de guerre thrace,
camarade de Spartacus, dont l'exécution est offerte
aux regards des habitants de Capoue par le légat
Claudius Glaber, un bien brave homme toujours soucieux de
donner à ses compatriotes des spectacles amusants.
A moins que ce ne fusse tout simplement un sacrifice humain
pour remercier les dieux de lui avoir donné la victoire,
ou plus prosaïquement encore obtenir de la pluie (ép.
1) ? |
De cette poignée de
prisonniers thraces exécutés, seul Spartacus
a survécu, et contre toute attente ! Images sinistres
évoquant les charniers du IIIe Reich et quelques
autres tout autant réjouissants. A noter que, prédisposée
bien sûr aux détails sordides, la série
respecte parfaitement la technique romaine de l'évacuation
des déchets humains : le croc du boucher fiché
dans les corps traînés sur le sable... (ép.
1 & ép.
4) |
On l'a compris, le Spartacus TV de chez Starz est porté
à la complaisance, voire à la surenchère.
Mais une complaisance fort heureusement nuancée par une
totale maîtrise de la syntaxe cinématographique.
Dans un téléfilm de 52', on ne peut se permettre
de s'attarder plus qu'il n'est utile : nous ne sommes plus dans
les languissants Feux de l'Amour, mais dans l'hyperactif
Spartacus ! Le montage est serré.
Les vertus cathartiques de la violence à
l'écran ne sont plus à démontrer. Certes,
elle peut être malsaine comme dans Orange mécanique;
mais elle est particulièrement réjouissante quand
- à la fin d'un film - Maciste, Bruce Lee ou Robin-des-Bois
règle son compte au tyran de service. Loin d'être
stupide, la violence est, parfois, rafraîchissante. Par
exemple, l'idée chère à nos grands-parents
d'une «bonne guerre, fraîche et joyeuse» méritait
d'être écornée par des images bien glauques
des tranchées de 14-18 comme l'a fait le réalisateur
d'Un long dimanche de fiançailles... La violence-bonbon-rose
a quelque chose de bien plus révoltant que - par exemple
- celle de La Passion
du Christ filmée par Mel Gibson. Les petits cartons
enluminés d'images aussi pieuses que pastel, glissées
dans vos missels de communiants, exaltent l'image rassurante d'un
Christ en Gloire. Un Agneau de Dieu, redondant du dessert pascal
en crème glacée garnie de Chantilly; pas un méchoui,
pas de la chair écorchée, mise à vif !
Dans sa chair suppliciée,
son ascension vers le septième ciel le Crucifié,
pourtant, a dû la vivre plutôt comme un méchoui...
«Père, éloigne de moi ce calice»,
indique assez qu'Il savait à quoi s'attendre. Aussi n'est-ce
pas un hasard si les premiers chrétiens attendirent près
de trois siècles - soit de temps que s'impose le christianisme
- avant d'oser adopter la Croix pour signe de ralliement. Cette
Croix, symbole de torture et de honte, de sang et de larmes. Cette
Croix sur laquelle, d'ailleurs, finiront Spartacus et 6.000 de
ses camarades.
Sans partager les convictions intégristes de Mel Gibson,
nous le féliciterions à double titre - philosophique
et archéologique. Philosophiquement parlant, pour avoir
appelé un chat, «un chat» quand la plupart
des innombrables versions de la Passion du Christ glissent rapidement
sur les sévices quand ils ne sont carrément éludés.
Archéologiquement parlant, pour avoir rappelé au
bon peuple baba-cool ce qu'était exactement une
crucifixion romaine (avec un poil d'exagération sur l'hémoglobine,
c'est probable [3],
mais soit !).
Non, ce n'est pas le Christ gibsonien Jim
Caviezel sous ses croûtes de sang coagulé,
mais Spartacus-Andy Whitfield au sortir de l'amphithéâtre... |
3.3.3. «Histoire
d'O» chez les gay ?
A part le fait qu'il était «involontaire»,
le séjour de Spartacus dans le ludus de Batiatus
n'est pas sans rappeler celui de l'héroïne de Pauline
Réage dans ce couvent-bordel (4)
sado-maso de Roissy.
Je veux des hommes qui ne connaissent que l'enfer
Que la peur fait rire, que les coups font rugir
(...)
Des hommes qui s'entêtent à seulement subsister
Je veux des hommes qui relèvent la tête quand on
les fait ramper
Maxime LE FORESTIER (Chant de Batiatus) (5)
D'humiliations en tortures, Spartacus finit par offrir sa soumission
au dominus, à la suite de quoi il sera, sur l'avant-bras,
marqué au fer rouge du «B»
de Batiatus. Une vraie récompense, une marque qualifiante
(ép. 2. Sacramentum
Gladiatorum [6])
!
Aux thermes, le Gaulois Crixus
fait monter l'adrénaline aux téléspectateurs
invertis. Cette scène de l'épisode 2 a pas
mal fait fantasmer sur la Toile...
Autrement mieux monté que son compatriote Crixus,
Ségovax - qui le montrait partout - se le fera couper
avant d'être crucifié. On t'avait prévenu
Ségovax, que si tu montrais ton zizi à tout
le monde... (ép.
8) |
Diversement segmenté, le public des péplums n'attire
pas que des cinéphiles ou des amateurs d'Antiquité
: la vision d'athlètes ou de body-builders au torse dénudé
a de tout temps séduit le lobby des gay. Certain
site
gay s'est délecté des images de Spartacus
: Blood and Sand, notamment de la nudité intégrale
de Manu Bennett, dans le rôle de Crixus (photo ci-dessus).
Rob Tapert évoquera des jalousies sur le plateau, lors
du tournage de ce genre de scène : «Certains garçons
n'étant pas aussi bien membrés que d'autres, il
a fallu créer ce qu'on a appelé le Kirk Douglas,
une prothèse que certains acteurs ont portée
pour se sentir plus à l'aise.» Icône gay
notoire, Spartacus se prêtait à ce genre de sous-entendu
comme le rappelait incidemment Leslie Nielsen, dans une de ses
comédies (7).
S'étant égaré dans une banque du sperme,
le flic gaffeur se voyait offrir une cassette X pour... l'inspiration.
Puis, remettant son petit dépôt à l'infirmière,
déclarait effrontément : «J'ai aimé
la scène à la mitraillette... Vous n'auriez pas
Spartacus, des fois ?»
«Spartacus», une icône gay |
Je veux des hommes lavés à
l'eau de source
Des étalons de course
Désirables, excitants jusqu'au bout de la mort
Du piment dans le lit des clientes
Maxime LE FORESTIER (Ibidem)
... les paroles de Maxime Le Forestier pour le spectacle d'Elie
Chouraqui auraient parfaitement convenu à la version
Starz, qui a le mérite - par rapport aux précédentes
versions filmiques (8)
-, de rétablir la proximité sémantique du
lanista et du leno, l'un et l'autre trafiquants
de chair humaine : l'un en tant que pourvoyeur de gladiateurs,
l'autre comme pourvoyeur de femmes (marchand d'esclaves ou proxénète).
Au cours d'une petite sauterie organisée pour ses amis,
les patriciennes peuvent sans vergogne palper la musculature,
toucher les cicatrices des brutes; et même admirer leur
virile vigueur lorsque Varro est désigné pour -
devant elles - besogner une esclave parfaitement indifférente
(ép. 3). Aussi
bien la matrone Lucretia ne se privera pas de recourir aux talents
de Crixus, le champion de son mari.
«Des mains bestiales se posent sur moi»,
roucoule la patricienne Ilithyia... (ép. 10)
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Au juste, il nous semble que la série contentera les dames
aussi bien que les messieurs, toutes orientations confondues.
Il y en a pour tous les goûts car tout le monde se retrouve
à poil à l'un ou l'autre moment; ce qui nous permet
de découvrir les charmes privés de Lucy
Lawless, que celle-ci s'était bien gardée de
dévoiler dans Xena.
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