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Jacques Martin :
Le Temps des Epigones
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Jacques Martin :
Le Temps des Epigones
Jacques Martin vient de nous quitter voici un an déjà.
Avec des personnages comme Alix Graccus (1948), Guy Lefranc (1954),
Arno Firenze (1983), Jhen Roque (1984), Kéos l'Egyptien
(1991), Orion l'Athénien (1990) et Loïs Lorcey (2003),
il avait inventé la BD historique. Ces héros martiniens
se mouvaient, en effet, dans l'Egypte de la XIXe Dynastie, la
Grèce classique (Ve s.), la Rome de Jules César,
le Moyen Age de Gilles de Rais et de Jeanne d'Arc, la France de
Louis XIV et celle du Premier Empire - le personnage contemporain
du reporter Guy Lefranc constituant une heureuse exception à
tous ces grands crus millésimés.
Ayant, au contraire d'Hergé, souhaité que ses
personnages lui survivent, voici venu le Temps des Epigones avec
deux, non trois nouveaux albums sortis l'un dans le sillage de
l'autre : une aventure d'Alix, Le Testament de César
(Marco Venanzi, octobre 2010), une aventure d'Orion, Les Oracles
(Marc Jailloux, janvier 2011) et une nouvelle aventure de Jhen,
Le Grand Duc d'Occident (Hughes Payen & Thierry Cayman,
février 2011).
Une uvre
Premier épisode de la saga d'Orion l'Athénien Le
Styx, en octobre 1990, fut aussi le dernier album dessiné
de la main du Maître de la BD historique. Orion consacrait
la volonté de Jacques Martin de se démarquer de
Casterman, qui détenait les droits sur Alix, en passant
par de nouveaux éditeurs comme Bagheera ou Les Deux Coqs
d'Or, voire en créant sa propre maison d'édition
(«Orix» - contraction d'«Orion» et d'«Alix»
-, diffusé par Dargaud).
Mais cette nouvelle série répondait aussi à
un regret d'avoir créé un héros gallo-romain
au temps de César, qu'à l'époque la rédaction
de Tintin considéra comme plus vendeur auprès
du public du journal (1948). Car si Alix ne l'avait alors emporté,
Jacques Martin - qui avait une nette préférence
pour la Grèce classique, berceau de notre civilisation
- aurait plutôt opté pour un Athénien du temps
de Périclès. «Après avoir créé
le personnage d'Alix, lorsque je me suis mis à approfondir
l'étude de l'histoire antique, j'ai bien vite réalisé
que, dans ma folle jeunesse, je m'étais précipité
un peu vite sur une époque, certes intéressante,
mais beaucoup moins que celle de Périclès. J'ai
toujours regretté de ne pas avoir situé Alix à
cette époque, mais la série était trop engagée
pour faire marche arrière. Alors, dès que j'ai eu
l'opportunité de créer un nouveau personnage, je
n'ai pas hésité à le faire évoluer
dans cette époque que j'apprécie entre toutes»
(propos recueillis par Christian Jasmes, Cubitus, n¡ 15,
juin 1991).
Quand le dernier géant de la BD franco-belge crée
le personnage d'Orion, il est âgé de 69 ans. Une
maladie oculaire - la macula - va le contraindre à passer
la main à ses jeunes collaborateurs. A ses débuts,
Martin avait lui-même été l'assistant d'Hergé
(1954-1972). Et comme tous les grands dessinateurs, il s'était
lui-même très tôt entouré d'assistants
comme Roger Leloup («Yoko Tsuno») et Michel Demarets,
ses décoristes, qu'il avait d'ailleurs amené avec
lui aux studios Hergé.
Depuis de nombreuses années déjà, il avait
confié à d'autres dessinateurs ses séries
secondaires tel «Guy Lefranc» - des dessinateurs
confirmés comme Bob De Moor (1970) ou qu'il a lui-même
formés, comme Gilles Chaillet (1978) ou Christophe Simon
(2001). Aimant le scénario autant que le dessin, Martin
scénarisait d'autres projets qui lui tenaient à
cur comme le Moyen Age («Jhen», par Jean
Pleyers (1984), etc.), l'Egypte pharaonique («Kéos»,
également par Jean Pleyers (1991)) ou l'épopée
du Premier Empire («Arno», par André
Juillard (1983), continué par Jacques Denoël (1994)).
Sous son égide paraissait également une collection
d'albums didactiques construits autour de ses héros, les
«Voyages de...» Alix, Jhen, Loïs, Lefranc, etc.
Lorsqu'après le lancement d'«Orion», «Alix»
renaît de ses cendres, Rafaël Moralès codessine
O Alexandrie (1996) et signe les quatre suivants - des
Barbares (1998) à Roma, Roma (2005) - ainsi
que trois «Voyages d'Alix» consacrés à
l'Egypte. Une collaboration qui dura dix-sept ans.
D'autres noms encore se bousculent dans la nébuleuse martinienne,
que l'on verra passer d'une série à l'autre. Ainsi
vient lui aussi de nous quitter Marc Henniquiau (12 décembre
2010), qui collabora à de nombreux albums et dessina trois
«Voyages d'Alix»; il était occupé à
un quatrième, Pompéi (2). Plus connu est
Christophe Simon, dix-neuf ans de collaboration, dessinateur de
trois Alix, deux Orion et deux Lefranc. De nombreux jeunes (et
quelques vétérans comme Gilles Chaillet, Pierre
de Broche et Jean Torton) se partagèrent les didactiques
albums des «Voyages d'Alix»; parmi d'autres, citons
Vincent Henin, Laurent Bouhy, Cédric Hervan, etc. Lorsque
le Maître céda pour dix ans à Casterman la
gestion littéraire de ses séries (fin 2006) (1),
d'autres artistes plus chevronnés s'attelèrent aux
BD, le plus souvent en collaboration avec des scénaristes
comme François Maingoval ou Patrick Weber, chargés
de développer des ébauches de Martin. Depuis ses
problèmes de vue, le scénario jusqu'alors était
resté l'ultime privilège du «César
de la BD historique». C'était «le temps des
épigones» qui commençait.
Les épigones
En ce qui concerne Alix, une des principales caractéristiques
de cette reprise est que le blond héros gaulois quitte
sa bulle temporelle de 50 av. n.E., où il tournait un peu
en rond, pour entrer dans le temps chronologique. L'Ibère
s'achève sur la bataille de Munda où périt
T. Labienus (17 mars 45 [2])
et Le Testament de César est situé à
l'automne 46.
Lorsqu'il nous laisse pour un monde meilleur (21 janvier 2010),
Jacques Martin n'aura pas eu l'occasion de voir finalisés
deux albums dont la particularité est, donc, qu'ils ont
été entièrement écrits et dessinés
par leurs auteurs respectifs, Marco Venanzi («Alix»
: Le Testament de César, 2010) et Marc Jailloux
(«Orion» : Les Oracles, 2011). Des scénarios
qui ne doivent plus rien à Martin, mais qui ont été
écrits avec son approbation. Le temps des épigones
entre désormais et résolument dans une phase nouvelle...
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Marc Jailloux - Les Oracles
(Orion/04) (01/2011)
Le pitch
Parti à la recherche de Panaïotis, un orphelin
mystérieusement disparu en Thesprotide (Epire), Orion découvre
le Nécromantéion, une crypte où se
déroule une étrange cérémonie. Aspasie,
la maîtresse de Périclès, y est venue consulter
les Oracles des Morts à propos de la stratégie militaire
qu'Athènes, en guerre contre Sparte, devrait adopter. Intrigué,
le jeune homme découvre bientôt qu'un terrible complot
est en cours, fomenté par les Spartiates. Parviendra-t-il
à déjouer à temps la menace qui pèse
sur la fragile démocratie athénienne ?
Le Nécromantéion
d'Ephyra en Thesprotide (près de l'actuelle Parga,
Epire). Entouré de fleuves dont le nom rappelle ceux
des Enfers (Achéron, Styx...), cet Oracle des Morts,
voué à la nécromancie donc, remonte
à la plus haute antiquité. Une version evhémériste
de la légende de Thésée et Pirithoos
font d'Hadès un roi de l'Epire dont le prince des
Lapithes convoitait l'épouse, Perséphone.
Thésée y accompagna son ami Pirithoos, mais
seul en revint. Assis sur «la Pierre de l'Oubli»,
le candidat adultère restera éternellement
captif d'une oubliette épirote...
Le sanctuaire fut reconstruit à l'époque romaine,
d'où les voûtes soutenues par quinze arcs pleins
cintres que l'on peut voir ici (Marc Jailloux, Les Oracles
- ph. Nécromantéion : www.latinistes.ch) |
La remontée des Enfers
Généreux et loyal, l'Athénien Orion - ce
doublet d'Alix et de Lefranc - vit au temps de la Guerre du Péloponnèse
et est confronté à la raison d'Etat incarnée
par Périclès, l'autocrator et stratège,
lequel dans le passé et sans le moindre état d'âme,
l'a déjà à deux reprises trahi. Pour l'homme
d'Etat, le bien d'Athènes passe avant tout, tandis que
l'individu n'est rien...
Ca démarre un peu comme dans Hellhounds (Ricky Schroder,
2008 (TV) [3]),
et le lecteur se laisse prendre par cette ambiance surnaturelle
d'une descente dans le Monde des Morts. Le Nécromantéion
d'Ephyra en Thesprotide (Epire) est un sanctuaire oraculaire auquel
Thucydide a fait allusion dans sa Guerre du Péloponnèse
(THUC., I, 46. 4) tandis que Pausanias y situe l'endroit où
Orphée tenta de retrouver sa défunte épouse
Eurydice, «l'oracle des morts à Aornos en Thesprotide»
(PAUS., IX [Béotie], 30. 6 [4]).
Et sans doute aussi Homère lui-même : «...
à travers le marais, avance jusqu'aux lieux où l'Achéron
reçoit le Pyriphlégéton et les eaux qui,
du Styx, tombent dans le Cocyte» (Od., X, 508-516).
Marc Jailloux l'a visité ce fameux Nécromantéion
ou Nékyomantéion, mis au jour par les fouilles de
Sotirios Dakaris (1959-1964 et 1976-1977); il s'est imprégné
de l'ambiance mystique du lieu, près de Parga sur le continent,
un peu plus bas que l'extrémité méridionale
de Corfou. Il semblerait même qu'il y ait retrouvé
l'ombre de Jacques Martin car - comme l'écrit Eric Coune
- à parcourir son album, on a vraiment l'impression que
c'est Martin lui-même qui sur la planche à dessin
a guidé sa main...
Selon Thucydide, c'est-là que les Corinthiens
rassemblèrent leur flotte pour aller combattre les Corcyréens
- et c'est à ce moment précis que nous retrouvons
notre héros, Orion, errant en quête de l'oubli d'Hilona,
la jeune fille qu'il aimait et que la mort lui a ravie. Oubli
qu'il essaie de trouver en prenant du service dans la flotte des
Corcyréens, alliés des Athéniens (435).
Pas plus qu'avec Alix, il ne faut espérer une relation
chronologique des événements historiques, puisque
ce n'est qu'en 431
que les Spartiates ont commencé leur invasion de l'Attique,
petit hiatus temporel (5)
dont est friande l'épopée. Marc Jailloux nous propose
une vision globale, synthétique de la Guerre du Péloponnèse.
Notre héros de papier va donc désormais vivre ses
aventures au gré de l'inspiration de son beau-père
spirituel, mais aura éternellement 18-20 ans, l'âge
où les jeunes athéniens quittent l'éphébie.
Deux mots sur l'éphébie (le mot éphèbe
étant tellement galvaudé, de son jours - dans l'antique
Athènes, c'est une classe d'âge, rien de plus)...
Quoique d'un modèle un peu particulier, son arc (6)
est l'arme typique des éphèbes (16-18 ans) qui gardent
les frontières de l'Attique; au terme de leur «service»,
les jeunes gens pourront se faire inscrire sur la liste des citoyens,
recevront un bouclier et intégreront la phalange des hoplites
(7).
Il est significatif que Martin ait fait du fameux général
spartiate Brasidas, un archétypique «Brasidias»
- avec un «i» - qui nous fait pénétrer
dans l'univers parallèle des héros de fiction (pas
tout-à-fait le personnage historique, mais «un peu-beaucoup»
quand-même !). On risque de le voir revenir un de ces quatre,
celui-là; il doit avoir le cuir aussi dur que celui d'Arbacès;
d'ailleurs, si les héros de papier ne meurent jamais, leurs
antagonistes non-plus. Et puis après tout, Brasidias, c'est
un Spartiate, Nom de Zeus !
Nos souvenirs scolaires interpellent le nom de Cléon
le Démagogue, dont Aristophane nous a peint ce peu reluisant
portrait de l'«intendant paphlagonien». «C'est
comme ça qu'il faisait avec toi jusqu'ici. Il te donnait
un petit rabiot sur ce qu'il te prenait, et le gros morceau, il
se le servait à lui-même» (Les Cavaliers),
s'exclame Le Marchand à l'adresse de Le Peuple, aux Lénéennes
de janvier 424. Quelques mois plus tard, Cléon allait être
élu stratège pour résoudre la question de
Sphactérie; puis réélu dans la même
fonction en 422, pour voler à la rescousse d'Amphipolis
prise par Brasidas, où il se fera tuer.
A toute bonne histoire, il faut un traître de service. Ce
sera donc à lui que sera prêté la responsabilité
d'un complot visant à empoisonner l'eau d'Athènes.
Celui-ci est d'autant mieux imaginé qu'on a, en effet,
soupçonné les Péloponnésiens d'avoir
empoisonné les puits de la ville - d'où l'épidémie
de peste (ou plutôt de fièvre typhoïde) qui
décima la population athénienne, et dont Périclès
lui-même mourra, en septembre 429.
Pour ne pas déflorer la trame des Oracles, nous
n'ajouterons qu'une petite précision quant à cette
mise-en-bouche que constituent les premières pages de l'album
avec l'ambiance, toute particulière, de la consultation
de l'Oracle des Morts. Le rite auquel soit se soumettre le jeune
Panaïotis est emprunté à Hérodote, qui
nous parle de la défunte Mélissa, épouse
du tyran de Corinthe Périandre, laquelle erre nue aux Enfers,
suppliant son époux de brûler ses robes afin qu'elle
puisse se vêtir (HDT., V, 92). Quant à la supercherie
des prêtres faisant apparaître des âmes au moyen
d'un dispositif optique, un auteur chrétien du IIIe s.
de n.E., Hippolyte de Rome, les a évoqués. Aussi
l'archéologue Sotiros Dakaris, au vu de certaines pièces
mécaniques (engrenages, roues crantées) qui n'étaient
peut-être que des éléments d'une catapulte,
a-t-il pu imaginer l'existence au Nécromantéion
d'une de ces mécaniques de théâtre qui servaient,
justement, à faire apparaître un Deus ex machina.
On voit que Marc Jailloux a eu d'excellentes lectures avant de
reprendre «Orion» des mains de Jacques Martin, et
d'emmener ses lecteurs à la suite de son héros.
Ancien assistant de Gilles Chaillet - une référence
- l'auteur s'y est beaucoup investi, séjournant en Grèce
plusieurs semaines à fin de repérages, abordant
ensuite le «style Martin» avec une rare maîtrise
graphique. Plus de vingt ans après le premier opus - le
dernier de la main du Maître, comme dit plus haut - et douze
ans après la dernière livraison (le tome 3 Le
Pharaon, dessiné par Christophe Simon), revoici notre
héros pétri des idéaux de la Grèce
classique et éternelle !
Rewind the Movie
La Guerre du Péloponnèse ! Un conflit où
Sparte la Guerrière, va démontrer sa prudence, sa
grandeur d'âme et sa modération dans la victoire
puisque, contre l'avis de ses alliés, Lysandre vainqueur
refusera de raser Athènes vaincue (404)
! Tandis que la démocratique Athènes fera l'étalage
d'une exemplaire cruauté et des dérives de ses factions
partisanes, exterminant sans vergogne ses alliés rebelles
(comme à Scioné en 431; à Mitylène
en 428 [heureusement annulée]; à Mélos en
416 [sans rémission, etc.) (8).
Bien sûr, Orion voit l'ennemi spartiate avec l'il
du citoyen athénien - un regard de patriote, même
s'il n'est pas dénué d'amertume face au pouvoir
dévorant du grand Périclès toujours drapé
dans les plis de la raison d'Etat, et toujours coiffé de
ce casque qui l'assimile à Pallas Athéna, la déesse
tutélaire de la ville (9).
Orion : ses aventures...
Le Lac Sacré, qui dans sa première version
devait être une aventure d'Alix - lequel tombait entre les
mains des sanguinaires prêtresses celtes de l'île
de Sein -, devint finalement le titre d'un album d'Orion... sans
rapport avec les druidesses (10).
Le Lac sacré (10/1990)
«Orion»/1, Bagheera, 46 pl.
Agent de Périclès infiltré à Sparte
- où les Ilotes (11)
sont turbulents - l'exilé Orion est chargé de fomenter
une révolte parmi eux, afin de retarder le départ
de l'armée spartiate du général «Brasidias»
(12)
qui doit incessamment envahir l'Attique. Scènes de chasse
aux ilotes. Flagellation rituelle des jeunes spartiates.
Orion et les ilotes révoltés tentent de fuir la
Laconie. Poursuivis, ils se placent sous la protection d'un temple
d'Artémis (la déesse tutélaire de Sparte)
sis au milieu d'un lac; c'est ainsi que notre héros réussira
à échapper à ses poursuivants spartiates
superstitieux. La piété des Spartiates était
légendaire !
Pour se retirer de l'Attique qu'elle a envahie, l'armée
spartiate exige alors que lui soient livrés Orion ainsi
que la jeune fille qu'il aime, l'ilote Hilona. Périclès
refuse de livrer un citoyen athénien, mais (à l'insu
du jeune homme) consent à leur rendre Hilona qui - après
tout - n'est qu'une étrangère et une esclave. Il
trouvera bien une citoyenne à épouser, remarque
le stratège. Sous-entendu : «Conformément
à la loi.» Une réflexion qui ne manque pas
de justesse, car c'est Périclès qui avait fait voter
ladite loi, contre son propre intérêt, lui-même
vivant maritalement avec une non-citoyenne - la Milésienne
Aspasie. Satisfaite, l'armée spartiate se retire, emmenant
la jeune fille (13).
Se sentant trahi, Orion quitte la ville.
Ce scénario semble se souvenir que trente ans plus
tôt, en 465,
une révolte des hilotes survenue à la faveur d'un
tremblement de terre avait mis Sparte à deux doigts de
sa perte.
Dans Le Lac sacré, qui pourrait se passer en 435
(puisqu'Alcibiade, né en 450 (?), nous dit avoir quinze
ans), Martin implique deux éléments de la «légende
spartiate» dont les tenants et aboutissants sont, historiquement,
assez mal connus. Le premier est la condition des hilotes, ces
serfs d'Etat, et l'institution de la cryptie - le «massacre
secret» des plus turbulents d'entre eux - deux choses qui
semblent liées, sans que la raison nous apparaisse clairement.
Le second poncif est la flagellation longue des jeunes gens (diamastigôsis);
toutefois c'est Plutarque - quatre siècles après
le déclin de Sparte - qui nous parle de cette flagellation
rituelle que ne mentionnent pas les auteurs qui ont écrit
sur Sparte au temps de sa gloire. En réalité, il
s'agissait d'un jeu viril où des jeunes gens nus devaient
s'emparer de fromages disposés sur l'autel d'Artémis
Orthia, que leurs aînés, armés de gourdins,
étaient chargés de défendre. Henri Jeanmaire
(Couroï et Courètes, Univ. Lille, 1939) a rassemblé
et commenté tous les textes sur la question.
Par ailleurs, Périclès prend la tête du
parti démocratique à Athènes en 460. L'expédition
en Egypte des Athéniens est en 459-454, tandis que la première
offensive spartiate en Attique a lieu en 447. Le cadre d'«Orion»
pourrait donc être la «première guerre du Péloponnèse»
(454-446) aussi bien que la «seconde» (431-404) au
cours de laquelle mourra Périclès (429).
Comme on ne nous précise pas le nom du roi de Sparte qui
dirigeait l'invasion spartiate de l'Attique dont question (on
parle seulement d'un «Brasidias»), il pourrait tout
aussi bien s'agir de celle de 447 que d'une de celles qui eurent
lieu presque tous les ans entre 431 et 425 (14);
Périclès
exerçant les pleins pouvoir de 449 à 430/429, on
ne peut qu'admirer le talent avec lequel la fiction d'Orion louvoie
dans le lit de la chronologie historique. Ainsi Le Styx,
s'inspirant très indirectement d'événement
survenus en 462,
crée sa propre vérité, tandis que Le Pharaon
(les Athéniens en Egypte) peut se couler à n'importe
quel moment des quelque 40 années de résistance
d'Amyrthée (15).
Dans Orion comme dans Alix, Jacques Martin s'est toujours gardé
d'indiquer des dates trop précises (au contraire des derniers
albums scénarisés par les épigones Patrick
Weber et Marco Venanzi) (voir Chronologie).
Le Styx
(05/1996)
«Orion»/2, Orix [Dargaud], 44 pl.
Orion est aux trousses de l'armée spartiate qui ramène
chez elle Hilona, livrée par Périclès. Cependant,
les Spartiates et les Athéniens concluent une alliance
momentanée pour anéantir une peuplade d'Hommes-Lions
qui exercent leurs rapines en Arcadie, dans le centre du Péloponnèse.
Ce peuple d'hybrides descend de la progéniture d'une princesse
de Pylos - Xouria - qui, ayant conspiré contre son père
le roi Lykos, fut par lui livrée à la fureur d'un
fauve, Aacron. Mais, au lieu de la dévorer la proie ainsi
offerte, le lion Aacron s'accoupla avec elle. Ces hybrides, dont
le cycle de vie est celui des fauves, se sont rapidement développés
en quelques générations (leur mère commune
règne toujours sur eux, et semble encore fort jeune). Cependant,
au fur et à mesure de la succession de ces générations,
leurs caractères léonins s'estompent au profit des
humains.
Sorg, fils de Hurg, fils d'Aacron et de Xouria va devenir de compagnon
d'Orion dans cette aventure, mais aussi la suivante, Le Pharaon.
En 464, sur l'insistance de Cimon, fils de Militiade et chef
du parti aristocratique, Athènes et Sparte n'étant
encore nullement en conflit, les enfants d'Athéna n'hésitèrent
pas à soutenir les Spartiates dans semblable conflit contre
les hilotes révoltés : des hommes libres doivent
s'entraider contre les sous-hommes !
Et en 462, l'Athénien
Cimon, toujours lui, conduisit une armée attique pour aider
ces mêmes Spartiates assiégeant Ithôme (Troisième
guerre de Messénie). Du reste, l'affaire ne s'était
pas trop bien terminée. Les Athéniens, étaient
réputés pour leur savoir-faire en matière
de siège; mais celui-ci traînant en longueur, ils
s'étaient vus «remerciés». Le peuple
athénien se vengea de l'affront en condamnant Cimon à
l'exil.
Suite directe du précédent, ce second opus introduit
dans l'Histoire un élément fantastique qui semble
tout droit sorti d'un roman d'Edgar Rice Burroughs : un peuple
d'Hommes-Lions vivant dans une vallée retirée du
centre du Péloponnèse. C'est-à-dire en Arcadie,
là où la mythologie situait le domaine des Centaures
et des Satyres : les Hommes-Chevaux et les Hommes-Boucs. Alors,
pourquoi pas des Hommes-Lions ? De fait, hormis Tégée,
l'alliée de Sparte, les Arcadiens - qui pour beaucoup descendaient
des anciens habitants achéens de la Laconie refoulés
par les envahisseurs Doriens - étaient hostiles aux Lacédémoniens;
une de leurs villes, Mantinée, entrera d'ailleurs dans
la Ligue d'Argos, alliée d'Athènes (418).
Orion convainc Hommes-Lions et Athéniens de s'unir pour
attirer l'armée spartiate dans une embuscade au fond d'une
gorge resserrée où coule le Styx - mais Périclès
conclut un accord secret avec Brasidias pour qu'Athéniens
et Lacédémoniens s'unissent plutôt pour prendre
en tenaille l'armée bestiale de ces sous-hommes, ces erreurs
de la nature !
Pour un esprit cartésien, il est évidemment difficile
d'accepter cette intrusion de créatures mythologiques dans
un récit en principe historique. Pourtant vers la même
époque - comme nous l'avons exposé à propos
du film 300 -
les Grecs admettaient fort bien l'apparition de géants,
de héros éponymes volant sur les champs de bataille
à la rescousse de leur terroir. Reste que Jacques Martin
nous a ici concocté une aventure à la limite de
la Fantasy.
(Collaboration de Christophe Simon aux dessins des pages 31 à
46.)
Le Pharaon
(02/1998)
«Orion»/3, Dargaud, 44 pl.
Jacques Martin (sc.) - Christophe Simon (d.) [coul. Maud Chapelle;
participation Vincent Henin]
Un petit groupe de mercenaires athéniens - dont Orion
et Sorg - rejoint en Egypte le pharaon Amyrthée.
Depuis sa conquête par le Perse Cambyse en 525, l'Egypte
s'est plusieurs fois révoltée. C'est une de ces
révoltes qui empêcha le Grand Roi de venger sa défaite
à Marathon (490). Un pharaon d'origine libyenne, Inaros
(roi 463-456) en conduisit une autre, appelant les Athéniens
à la rescousse en 460 (16).
Pour les Athéniens et leurs alliés de la Ligue de
Délos, cette révolte s'inscrivait tout naturellement
dans le prolongement de leur propre guerre contre les Perses.
Hélas, l'expédition d'Egypte s'acheva par le désastre
de l'île Prosopitis, dans le Delta (454).
Des 5.000 Grecs qui déposèrent les armes, bien peu
rentrèrent vivants - tandis qu'Inaros, qui les avait appelés
à son secours, capturé, était empalé
par les Perses.
Cependant, retranché dans les inexpugnables marais
du Delta, un autre rebelle, Amyrthée, continua de résister
jusqu'à ce qu'il arrive à chasser les Perses d'Egypte.
C'est à son service que viennent se placer Orion et ses
camarades. Cet Amyrthée
représente à lui tout seul la XXVIIIe Dyn. et règnera
brièvement de 414 à 408; il aura toutefois rétabli
l'indépendance de l'Egypte pour un peu moins d'un siècle
(73 ans). Son successeur sera Néphéritès
Ier et la XXIXe Dyn., originaire de Mendès, à laquelle
en succédera une autre, la XXXe Dyn., originaire de Sébennytos
- l'ultime dynastie indigène. Ensuite, l'Egypte retombera
brièvement et pour la seconde fois sous la domination perse
de 341 à 333, c'est-à-dire jusqu'à la conquête
par Alexandre le Grand.
Entre 454 et 414, Orion aura donc toute latitude pour prendre
du service auprès du pharaon saïte Amyrthée.
Dessiné par Christophe Simon, cet album fut réalisé
en «dents de scie». «Orion» devint un
nouveau personnage : «Hélios». Il existait
déjà douze planches dessinées et encrées
d'«Hélios» lorsqu'il fut décidé
que ce scénario redeviendrait une aventure d'Orion (le
personnage d'Hélios fut gratté, et Orion réinjecté
à sa place).
Jacques Martin tenait dans ses cartons quelques
scripts de nouvelles aventures d'Orion, qui ne verront sans doute
jamais le jour :
Le Roi des Rois (dessins Cédric Hervan ?,
de Christophe Simon ? Deux ou trois planches seulement furent
dessinées, puis, leurs auteurs étant appelés
sur d'autres projets, Le Roi des Rois sombra dans l'oubli)
Orion et son compagnon Baalgoas se rendent à Persépolis,
la capitale de l'Empire perse, et découvrent que l'empereur
- le Roi des Rois - n'est qu'une marionnette manipulée
par des mages. Ils y rencontrent aussi Alcibiade et toute une
colonie grecque; Orion persuadera à quelques-uns de ses
compatriotes de rentrer à Athènes.
Syracusa
Orion chez les Romains, dont la civilisation est alors très
inférieure à celles de Grecs.
L'espion de Carthage
Alcibiade est impliqué dans une conjuration visant à
empoisonner Périclès. Avec en arrière-plan
l'éventualité d'une guerre opposant Athènes
à Carthage.
Le messager d'Athènes
Orion est l'ambassadeur de Périclès, qui veut conclure
une alliance avec Rome et Voltera, dont Athènes a besoin
pour réduire Carthage.
Les Oracles
(01/2011)
«Orion»/4, Casterman
Marc Jailloux (sc. & d.) [coul. : Corinne Billon]
(Scénario)
Quand Marc Jailloux reprend la série, il laisse de côté
les scripts ou synopsis de J. Martin pour imaginer
sa propre histoire.
Donc Orion va chercher à se faire embaucher comme mercenaire
dans la flotte de Corcyre, alliée de sa patrie Athènes.
Sa route va croiser celle d'Aspasie venue, de la part de Périclès,
consulter le Nécromantéion - sans savoir que Brasidias,
informé par ses espions dans Athènes, l'y a précédé.
La présence de l'armée spartiate sous les murs
d'Athènes, l'opposition de Cléon à Périclès,
la tentative d'empoisonner les eaux potables d'Athènes
suggère que nous sommes peut-être en 433,
à la veille de la bataille de Sybota, ou plus probablement
au printemps 431,
lorsque le roi Archidamos envahit l'Attique pour perpétrer
la première des sept attaques qu'il mènera dix ans
durant. Mais en 431, Brasidias
n'est encore qu'un simple officier spartiate qui s'illustre à
Méthone avec une poignée de braves, et Périclès
- quant à lui - n'en a plus que pour deux ans à
vivre avant de succomber à l'épidémie de
peste (septembre 429).
Quelques personnages historiques
Périclès
Périclès (495-429) était le fils de Xanthippe,
lequel commanda la flotte athénienne qui écrasa
celle des Perses au promontoire de Mycale, en août 479 (l'année
qui suivit les batailles des Thermopyles
et de Salamine). Par sa mère Agariste il descendait d'Alcméon,
mais aussi du tyran de Sicyone, Clisthène. Il appartenait
ainsi aux Alcméonides, une famille aristocratique qui prétendait
descendre du sage Nestor, roi de Pylos, un des héros de
la guerre de Troie. Peut-être se souvenait-il de ce que
les Héraclides, aïeux des rois de Sparte, avaient
chassé de Messénie son aïeul à lui,
qui avait dû trouver refuge à Athènes.
Les Alcméonides étaient connus pour leur opposition
à Pisistrate, l'ancien tyran d'Athènes. De même
que, à Rome, Jules César put se vanter de descendre
des aïeux les plus illustres - en l'occurrence d'Enée,
fils de la déesse Vénus - ce qui ne l'empêchait
point d'incliner pour le peuple, de même à Athènes,
Périclès pouvait tout autant se réclamer
du meilleur lignage; mais un lignage démocrate, qui trouvait
sa clientèle parmi les commerçants et les pêcheurs.
Il devient le bras droit de l'orateur démocrate Ephialtès,
qui rogne les pouvoirs de l'Aréopage (462). En 460, son
mentor assassiné, Périclès prend la tête
du parti démocratique. En 449, il est le maître d'Athènes.
En 444, il se voit confier le suprême commandement militaire.
L'année suivante, il fonde la colonie panhellénique
de Thourioi (sud de l'Italie) et condamne à l'exil Thucydide
- le futur historien, chef des oligarques.
En 438, Périclès fonde des colonies en Thrace et
dans le Pont-Euxin. En 435, il soutient Corcyre contre sa métropole
Corinthe et en 432, il s'oppose à ce que les bateaux de
sa voisine Mégare pénètrent dans les ports
de la Ligue de Délos.
Alors Corinthe et Mégare en appellent à Sparte,
leur alliée. La guerre est déclarée : les
Spartiates envahissent l'Attique et les Athéniens, de leur
côté, envoient leur flotte sur les côtes du
Péloponnèse. A l'été 430, la peste
se déclare dans Athènes, en conséquence de
quoi, en septembre, ses compatriotes lui retirent sa charge de
stratège généralissime. Il est bien vite
réintégré, six mois plus tard, en avril 429,
mais décède de l'épidémie en septembre
de cette même année.
Cléon
Etrange personnage que Cléon le Démagogue
ou «Cléon le Corroyeur», le fils d'un riche
tanneur nommé Cléainétos, dont Marc Jailloux
a fait «le traître de service», car il en faut
toujours un. C'est le jusqu'au-boutiste, prêt à toutes
les batailles pour assurer suprématie et profits à
Athènes. En 427,
Mitylène ayant voulu quitter la Ligue, il frappe les imaginations
en exigeant le massacre de tous les hommes adultes et la castration
de tous les jeunes garçons (après l'avoir votée,
les Athéniens reviendront sur leur décision dès
le lendemain). En 423,
il obtient également l'exécution de tous les citoyens
de Scioné, dans la Chalcidique, qu'il fait raser.
Après avoir pris Pylos aux Spartiates (425),
il refuse une première fois leurs propositions de paix.
Et une fois encore il stupéfie le monde grec en obtenant
la reddition de la garnison spartiate de Sphactérie, qu'il
fait décimer par les tirs de ses archers-mercenaires étoliens
(Euripide compose Héraclès furieux, une tragédie
à sa gloire où, de sur la lance, il vante la supériorité
de l'arc, réputé être l'arme des lâches
!). Suite à quoi Sparte renouvelle ses propositions de
paix qu'il rejette une seconde fois.
Ensuite Cléon consolide sa popularité dans Athènes
en faisant passer de deux à trois oboles par jour le salaire
des dicastes - jurés populaires - mais en revanche
double le phoros, le tribu des alliés (424).
Réélu stratège pour aller rétablir
la situation en Thrace où Brasidas - que Thucydide n'a
pas réussi à juguler - a porté le conflit,
il est tué sous les murs d'Amphipolis en même temps
que son vieil ennemi. «Cléon, qui dès l'abord
n'avait pas eu l'intention de faire front [non par couardise,
mais parce qu'il avait observé que l'adversaire lui était
supérieur], prit immédiatement la fuite. Mais
il fut rejoint et tué par un peltaste myrkinien»
(THUC., V, 10) (422).
La mort de Brasidas et Cléon, les deux extrémistes,
permettra la conclusion de la «Paix de Nicias» (421),
hélas éphémère.
Il faut relativiser le portait négatif de Cléon,
chef populaire - grossier, vantard, corrompu - qui nous a été
tracé par ses ennemis, le stratège et historien
Thucydide (qu'il avait fait exiler en 422) et le satiriste Aristophane
(qu'il avait poursuivi en justice), qui le ridiculise dans Les
Cavaliers. Cléon était un patriote pragmatique
et sans scrupules, violent et adepte de la loi du plus fort. La
négation même de la maxime de Thucydide : «La
manifestation du pouvoir qui impressionne le plus les gens est
la retenue.» Les historiens, remarquait Marie Delcourt,
«dans la mesure où ils admirent Périclès,
rabaissent Cléon (...). La différence entre
les deux individus a empêché de voir la parenté
entre les deux politiques. Ces deux hommes, dit très bien
Georges Méautis, ont tous deux défendu l'arché
[«l'empire»] athénienne, «Périclès
avec plus de mesure, Cléon avec plus de logique»,
on ne saurait marquer plus finement une ressemblance souvent
méconnue. Périclès a cru pouvoir s'arrêter
à temps et n'employer la force que pour la défensive.
Cléon, beaucoup moins intelligent que lui, sut mieux calculer
la part qu'il faudrait faire au feu le jour où on aurait
laissé s'allumer l'incendie» (17).
Brasidas
Tout aussi singulier personnage également était
son adversaire, le Spartiate Brasidas : en 431, avec seulement
cent hoplites ce simple capitaine de compagnie (pentékoster)
arracha Méthone - ville de la Laconie - aux Athéniens
qui allaient la prendre. En récompense, il fut l'année
suivante désigné comme éphore éponyme.
Triérarque (commandant d'une trière) en 425,
il tente vainement de débarquer devant Pylos mais doit
rembarquer sévèrement blessé - et doit abandonner
son bouclier dont les Athéniens se feront un trophée.
L'année suivante, en Thrace, il prend Torôné
- montant lui-même à l'assaut, sur une échelle
-, puis s'empare d'Amphipolis. Toujours on le trouve au premier
rang. Il tombera au combat devant cette ville que Cléon
essayait de reprendre.
Honneur exceptionnel, les Spartiates inhumeront son corps à
l'intérieur de la ville et lui rendront un culte héroïque.
Brasidas devint ainsi un demi-dieu.

Marc Jailloux |
L'auteur
Né en 1973 près de Bordeaux, Marc Jailloux
s'éveille à la bande dessinée en découvrant
les classiques franco-belges. Grâce à son club de
dessin de Cestas, il rencontre, au festival d'Angoulême,
Jacques Martin qui lui dédicace Le Dernier Spartiate
en 1987. Après un baccalauréat en arts plastiques,
il intègre l'École du Louvre à Paris en 1991.
Il se spécialise à l'École des Gobelins en
story-board. Il débute professionnellement en 1994 dans
le dessin animé avant d'être embauché chez
l'un des principaux éditeurs de jeux vidéo. Pour
autant, l'envie de faire de la BD reste intacte. Il publie deux
albums dans une veine fantastique, Le Château de Monsieur
Sangsuc chez Pointe noire en 2002, puis Necrolympia
sur un scénario de Stéphane Beauverger chez Panini
en 2005. Mais le vrai déclic intervient lors d'une nouvelle
rencontre avec Jacques Martin à Paris en avril 2005 et
la découverte de ses planches originales dans le cadre
d'une vente aux enchères. Voilà ce qu'il veut faire
!
Marc Jailloux saisit alors l'opportunité d'intégrer
l'atelier de Gilles Chaillet. L'ancien collaborateur de Jacques
Martin le prend comme assistant pour le tome 4 de La Dernière
Prophétie, puis le diptyque Vinci. Parallèlement,
Marc Jailloux, féru de Grèce antique autant qu'«enfant
d'Alix», se lance dans l'écriture d'une nouvelle
aventure d'Orion. En 2008, il présente son projet, accueilli
avec enthousiasme par le comité éditorial. Le maître
lui-même encourage le jeune auteur. Plus de vingt ans après
sa naissance, Orion revient avec un quatrième épisode
début 2011 (Press-book).
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Marco
Venanzi - Le Testament de César (Alix/29)
(10/2010)
Jacques Martin - Marco Venanzi (sc. & d.)
Le pitch
Automne 46 av. n.E. Alix et Enak répondent à l'énigmatique
invitation d'un vieil ami, le général Galva, un
fidèle de César. Galva révèle, à
la stupéfaction des deux compagnons d'aventures, un pan
tragique de son histoire : il a aimé une femme, Claudia,
qui lui a donné deux filles. L'aînée Aurelia
est entrée au Collège des Vestales; mais la cadette,
Cecilia, va épouser le neveu de la Grande Vestale Sylvia
- une famille dévouée à la cause de Pompée.
Cependant, alors que les sombres souvenirs du général
semblent s'éclipser devant l'heureux événement
qui s'annonce, Alix est mystérieusement agressé
dans les jardins de la villa de Galva ! Puis la tragédie
survient, un meurtre atroce et incompréhensible est commis.
Qui donc a pu perpétrer cet ignoble forfait, et pourquoi
? Quel secret cachent donc les prêtresses du temple de Vesta
? Les uns et les autres ignorent encore qu'ils sont, à
leur insu, les instruments d'une machination diabolique dont personne
ne sortira totalement indemne...
 |
Qui héritera ?
En avril 46, à Thapsus, César a liquidé
Caton, Metellus Scipio et les dernières forces républicaines
d'Afrique (6 avril). En août, il a célébré
à Rome ses quatre triomphes sur la Gaule, l'Egypte, le
Pont et l'Afrique de Juba; et à l'automne 46 - quand se
noue l'intrigue de cette nouvelle aventure d'Alix - il est déjà
reparti en Espagne, où il s'apprête à anéantir
les ultimes légions pompéiennes. Et ce sera la bataille
de Munda, au mois de mars de l'année suivante, sanctionnée
par la mort pour T. Labienus et le jeune Cn. Pompée (son
frère Sextus Pompée, lui, en réchappant)
: sujet précédemment traité dans L'Ibère.
Souvent Alix avait été confronté à
la dureté du pouvoir et des politiques; mais cette fois
l'ambiance est beaucoup plus implacable encore puisque impliquant
des exécutions capitales de citoyen flagellé puis
décapité et de vestale condamnée à
être enterrée vive. Selon Suétone (Cés.,
83), le testament de César avait subi divers remaniements.
Bien entendu, ce document était déposé dans
la Maison des Vestales - les aïeules de nos notaires -...
qui était aussi celle du Pontifex Maximus, le chef
suprême de la religion romaine, un titre que le Pape reprendra.
Archéologiquement parlant, l'affaire n'est pas vraiment
claire : la Regia, qui à l'origine était la résidence
du Pontifex Maximus, a plusieurs fois été
reconstruite, de même que sa voisine la Maison des Vestales,
et semblent même avoir fusionné (18).
Pour Colleen McCullough, dans sa série romanesque Les
Maîtres de Rome, il ne fait aucun doute qu'au temps
de Jules César le Pontifex Maximus (c'est-à-dire
Jules César lui-même, à l'époque) habitait
le même immeuble que les Vestales, dont il était
en somme le pater familias - chacun occupant une aile distincte.
Avouons que, sur cette base, les premières cases du Testament
de César nous avaient un peu cueilli à froid
: dans la rue, dans une encoignure de porte, César himself
rencontre secrètement la Grande Vestale pour lui confier
son testament, alors qu'il lui aurait suffit - et c'eut été
bien plus discret - de toquer à la porte d'en face, même
palier... Mais justement, et c'est-là le pitch...,
César souhaitait-il la discrétion ?
Sans doute cette entrée en matière était-elle
incontournable pour l'intelligence de la suite. Marco Venanzi
nous livre ici un très bon album, malgré un graphisme
peut-être encore un peu raide..., mais qui bien à
propos renouvelle la saga. Les strictes règles morales
encadrant la vie des Vestales, les punitions sanctionnant leurs
manquements, le cachot de la Mamertine pour Alix injustement accusé
- le tout sur fond d'un complot pompéien encore crédible
en ces derniers mois de l'an 46 av. n.E. relancent l'intérêt
d'un scénario encore un peu engourdi.
François Maingoval et Patrick Weber paraissant désormais
hors course, le dessinateur Marco Venanzi (Le Masque Rouge,
série créée par André Juillard et
Patrick Cothias) est ici son propre scénariste. Marco Venanzi
nous concocte ici «un polar haletant dans la Rome antique.
La toute première histoire originale d'Alix à paraître
depuis la disparition de Jacques Martin», comme nous
en prévenait l'éditeur.
Marco Venanzi travaille actuellement à un second «Alix»,
cette fois sur scénario de François Corteggiani
: L'Ombre de Sarapis.

Marco Venanzi durant le Festival du livre
et de la bande dessinée de Bagnols-sur-Cèze
en février 2009 (Wikipedia) |
L'auteur
De nationalité belge, Marco Venanzi est né
à Rome (Italie) le 14 décembre 1963.
Dès 1986, après des études d'illustration
et de bande dessinée à l'Institut St Luc de Liège,
Marco Venanzi publie en collaboration avec le scénariste
Michel Dusart, ses premiers récits historiques dans l'hebdomadaire
Tintin et Tintin reporter.
En 1990, toujours en collaboration avec Michel Dusart il sort
son premier album intitulé Froidure. Préfacé
par l'Abbé Pierre, cet album retrace la vie de l'Abbé
Froidure, fondateur des Petits Riens.
Féru de bande dessinée historique, en 1991 sur des
scénarios de Patrick Cothias, Marco Venanzi succède
à André Juillard au dessin de la série Masquerouge,
un récit de cape et d'épée se déroulant
sous le règne de Louis XIII (Éditions Glénat).
En avril 2003, avec le concours de son ami Michel Pierret il publie
chez Glénat le premier tome d'une série intitulée
Hidalgos, adaptation romancée de la vie tumultueuse
du plus célèbre des écrivains de l'âge
d'or espagnol, Cervantès (Don Quichotte...). Cette même
année, Marco Venanzi est primé au Festival d'Angoulême,
il voit son travail récompensé du prix international
de la bande dessinée chrétienne francophone, pour
l'album Auriac (scénario de Benoît Despas)
retraçant les aventures d'un jeune gaulois en terre de
Palestine.
A la demande des éditions Casterman en 2005, en compagnie
de Michel Pierret, il s'attelle à la réalisation
d'une biographie consacrée à la star internationale
du football : Zinedine Zidane (scénario Alexis Nolent).
Bande dessinée réalisée au profit de l'uvre
de Sur Emmanuelle (ASMAE).
En 2008, avec le titre : Les Templiers (scénario
Benoît Despas), Marco Venanzi intègre aux éditions
Casterman l'équipe des collaborateurs de Jacques Martin.
Il scénarisera et dessinera le 29e tome de cette série
Alix : Le Testament de César sorti en octobre 2010.
Enfin Marco Venanzi a collaboré à diverses publications
destinées à la jeunesse et est aussi l'auteur de
nombreuses illustrations, dessins de presse et travaux publicitaires
(Wikipédia).
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Alix
et Jacques Martin sur ce site
- Jacques Martin / «Alix» : ICI,
ICI et ICI
- Alix (Jean Cubaud, 1998) [dessin animé] :
ICI
- Alix et la SF : ICI
- Alix/03 : L'île maudite : ICI
- Alix/08 : Le tombeau étrusque : ICI
- Alix/12 : Le Fils de Spartacus : ICI
- Alix/21 : Les Barbares : ICI
- Alix/25 : C'était à Khorsabad :
ICI
- Alix/26 : L'Ibère : ICI
- Alix/30 : La Conjuration de Baal : ICI
- Les voyages d'Alix : La Marine antique (Michel Éloy
& Marc Henniquiau) : ICI
- Les Expéditions d'Alix : ICI
- Alix & alii. Jacques Martin - Le César de
la BD historique (Michel Éloy - éd. Chambre
belge des experts BD) : ICI
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Albums
à venir |
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16/02/2011 Jhen/12: Le
Grand duc d'Occident, Casterman (paru)
Jacques Martin - Hugues Payen (sc.) - Thierry Cayman (d.).
48 p. |
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Jhen et son comparse Francesco Prelati ont quitté
Venise pour rejoindre la Flandre par voie maritime,
embarqués dans un convoi d'épices. Après
avoir fait en chemin la connaissance du maître
des monnaies du roi de France, Jacques Cur, les
deux hommes débarquent dans la cité affairée
de Bruges. Ils y croisent la route d'un célèbre
personnage, particulièrement haut en couleurs
: le Grand Duc d'Occident Philippe le Bon, amateur de
femmes, de bonne chère et du fracas des armes.
À la suite de péripéties mouvementées,
Jhen deviendra bientôt, à Bruxelles, l'un
des confidents du Duc Philippe - homme politique cynique
et sans morale, et l'un des dirigeants les plus puissants
de cette partie du monde... |
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16/02/2011 Voyages de Jhen
- Bruxelles, Casterman (paru)
Jacques Martin - Nicolas Van de Walle. 64 p. |
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Un riche parcours en images dans la ville de Bruxelles
à l'époque médiévale, où
se déroule une grande partie de la nouvelle aventure
de Jhen, Le Grand duc d'Occident. À
l'instar des «Voyages d'Alix» dans le monde
antique, «Les Voyages de Jhen» invitent
leurs lecteurs à explorer l'époque médiévale,
dans les pas du personnage créé par Jacques
Martin. Chaque album propose une découverte documentaire
très complète, par l'image et les mots,
d'un peuple, d'un lieu ou d'une contrée du Moyen-Age. |
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16/02/2011 Voyages d'Alix
- Vienna, Casterman
Jacques Martin - Gilbert Bouchard - B. Helly |
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Un riche parcours en images dans la ville de Vienne
(Vienna) à l'époque antique, alors
capitale du peuple gaulois des Allobroges. Vienne est
aujourd'hui, avec Lyon, la cité qui concentre
le plus important patrimoine gallo-romain, dont de nombreux
vestiges architecturaux en bon état de conservation.
Précis et vivant, le travail de Gilbert Bouchard
reconstitue tous les détails de la vie quotidienne
à Vienne du temps d'Alix. |
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16/02/2011 Voyages de Jhen/13:
L'Abbaye de Villers, Casterman (paru)
Jacques Martin - Michel Dubuisson - Yves Plateau. 64 p. |
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L'Abbaye cistercienne de Villers-la-Ville, établie
dans le Brabant wallon, est l'un des plus saisissants
témoignages de l'architecture religieuse du XIIe
s. Un lieu mythique que Jhen nous invite à découvrir
par le menu, tel qu'on y vivait réellement au
Moyen Age, entre ferveur religieuse et contingences
de la vie quotidienne. Le travail iconographique proposé
ici par Yves Plateau, tout en exigence et en précision,
confère à cette visite, par delà
les siècles, un impact et une crédibilité
rarement rencontrés. |
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00/08/2011 Sparte/1,
Le Lombard
Patrick Weber (sc.) - Christophe Simon (d.) |
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Les turpitudes de la cité de Lacédémone
au crépuscule de son histoire. Entre fiction
et Histoire avec un grand «H», Sparte
met en scène une série de personnages
hauts en couleur et témoins d'une époque
tourmentée. Un dessin hyperréaliste et
un découpage audacieux au service d'un scénario
qui n'a pas froid aux yeux - série classique
mais au ton plus adulte, moins consensuel. |
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00/09/2011 Voyages
d'Alix - Pompéi, 2, Casterman
Jacques Martin - Marc Henniquiau (d.) |
00/00/2011
Alix/30: La conjuration de Baal, Casterman
Jacques Martin - Michel Lafon (sc.) - Christophe Simon (d.)
00/00/2012
Alix/31: L'ombre de Sarapis, Casterman
Jacques Martin - François Corteggiani (sc.) - Marco
Venanzi (d.)
Sine data
Voyages d'Alix - Nîmes et le Pont du Gard,
Casterman
Jacques Martin - Jacques Denoël (d.)
??/??/2011 (?)
Voyages d'Alix - Egypte, 4, Casterman
Jacques Martin - Rafaël Moralès - Leonardo Palmisano
??/??/2011 (?) Hotep/03:
Les Cèdres du Liban, Glénat
Rafaël Moralès |
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Les aventures du scribe Hotep dans l'Egypte
hellénistique.
Pour mémoire : 1. Le scribe de Karnak
(2007) - 2. La gloire d'Alexandre (2009) |
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Et du côté de Gilles Chaillet ? |
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En dépit de ses problèmes
de santé, notamment de sa main, Gilles Chaillet a continué
de travailler, mais en confiant le dessin à ses assistants.
L'année 2011 semble très prometteuse pour cet amoureux
inconditionnel de la Rome antique et de l'Italie médiévale. |
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00/03/2011 Les boucliers
de Mars, Glénat
Gilles Chaillet (sc.) - Christian Gine (d.) - Antoine Quaresma
(coul.) |
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«Un 'eastern' où les Romains joueraient
le rôle des Tuniques bleues et les Parthes celui
des Apaches.» |
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00/04/2011 Dioclétien
- Les trésors des martyrs, Lombard
Gilles Chaillet (sc.) - Christophe Ansar (d.) - Dina Kathelyn (coul.) |
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00/11/2011 ? Roma Amor
- Petites flâneries dans la Rome éternelle,
Glénat |
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Souvenirs romains de Gilles Chaillet : photos, dessins,
aquarelles (Jusseaume, Gine, Mangin, Luguy, Dermaut,
Convard, Capo, Juillard, Delitte...) |
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00/12/2011 Le village maudit
(Vasco/23), Le Lombard
Gilles Chaillet (sc.) - Frédéric Toublanc |
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Un épisode breton, noyé de pluie et
de boue...
En projet : Les enfants du Vésuve &
La Cité ensevelie - un épisode
de l'enfance picaresque de Vasco, à Naples.]
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fin 2011 ? - début 2012
? La Foudre et la Croix (La Dernière Prophétie/5),
Glénat, coll. «Loge Noire»
Gilles Chaillet (sc.) - Dominique Rousseau (d.) |
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Le dernier volet d'une saga consacrée à
la fin du paganisme à Rome, qui est aussi un
cri d'amour de l'auteur. Pour mémoire :
1. Voyage aux Enfers (G. Chaillet (sc. &
d.) - Chantal Defachelle (coul.) - Chr. Ansar (particip.
décors)), 01/2002. En 394, l'empereur Théodose
fait fermer les lieux de culte païen à
Rome et révoque le sénat romain. Le
jeune Flavien enquête sur une disparition d'enfants;
2. Les Dames d'Emèse (G. Chaillet (sc.
& d.) - Chantal Defachelle (coul.) - Chr. Ansar
(particip. décors)), 01/2003. L'histoire de
Flavien continue, mais s'y insère en flash-back
une illustration sombre du paganisme : l'histoire
des «Dames d'Emèse», c'est-à-dire
l'impératrice Julia Domna - qui en 180 épousa
le futur empereur Septime Sévère -,
sa sur Julia Mæsa, et les deux filles
de cette dernière, Julia Soæmias et Julia
Mammæa, et du culte de la «Pierre Noire»
de l'empereur Héliogabale (*);
3. Sous le signe de Baal (G. Chaillet (sc.
& d.) - Chantal Defachelle (coul.) - Chr. Ansar
(particip. décors)), 10/2004. Suite et fin
de l'histoire d'Héliogabale;
4. Le Livre interdit (G. Chaillet (sc. &
d.) - Chantal Defachelle (coul.) - Chr. Ansar (particip.
décors)), 01/2007. Retour à Flavien,
sous le règne de Théodose.
(*) Varius Avitus
Bassianus, fils de Julia Soæmias et d'un grand-prêtre
de Baal; né en 204; empereur de 218-222.
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fin 2011
Mémoires secrets de Vasco, Le Lombard
Luc Révillon
Vinci, Glénat (2 albums de 56 p.)
Didier Convard (sc.) - Gilles Chaillet (d.) - Marc Jailloux (encr.)
s.d.
Michel-Ange, Glénat
Didier Convard & Gilles Chaillet (sc.) - .... (d.) |
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Et un projet pharaonique :
Roma Æterna (12 volumes ?) |
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L'histoire d'une étrange statue symbolisant
l'éternité de Rome, dont deux familles
s'en sont disputés la garde : on y rencontrera
Enée, Hannibal, César, Caligula, le pape
Formose, Charles-Quint, le Bernin, Mussolini, Fellini
etc. |
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Interview
de Marc Jailloux (février 2011)
LA RELÈVE DU MARTIN
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... Quand un album de BD est conçu
par son auteur comme une invitation à lire Thucydide
et à découvrir la Grèce antique... |
On pourrait dire a priori que Marc Jailloux est un
ancien élève de l'Ecole des Fans de Jacques Martin,
mais il convient d'apporter à cette définition deux
nuances importantes. D'abord, le Jacques Martin en question n'est
pas celui de la télévision, mais l'auteur de la
série Alix. Ensuite, Jailloux a longtemps été
fan de Jacques Martin sans savoir que celui-ci existait. En effet,
explique-t-il, lorsque, enfant, il lisait les aventures d'Alix,
il était tellement plongé dans cet univers, il «y
croyait» tellement qu'il ne lui serait même pas venu
à l'idée qu'il pouvait y avoir derrière ces
dessins la main d'un créateur.
Aujourd'hui, évidemment, son point de vue a changé,
puisqu'il a pris la relève de Jacques Martin. Non pas pour
la série Alix, mais pour la série Orion. Martin
avait été responsable du premier volet (ou plus
exactement du premier volet et d'une partie du second). Christophe
Simon s'était occupé du troisième. Marc Jailloux
a écrit et dessiné Les Oracles. Il a, bien
entendu, avalé toute une docte bibliothèque avant
de composer cet album, mais, d'une certaine manière, il
retrouve la situation qui était la sienne quand il était
jeune lecteur : avec ses crayons, il s'est, comme le lui avait
annoncé Jacques Martin, «promené à
travers l'Antiquité grecque». Pour cette promenade,
l'ouvrage le plus important, son «guide du routard»,
a été la Vie quotidienne en Grèce au Siècle
de Périclès de Robert Flacelière.
Car l'action des Oracles se déroule sous Périclès
et autour de Périclès. Celui-ci hésite :
doit-il ou non déclencher une attaque contre les Spartiates
qui menacent Athènes ? Certains hommes politiques du XXIe
s. répondraient à cette question en allant consulter
une voyante. Périclès décide d'aller consulter
les Oracles. Mais, ses responsabilités l'empêchant
de s'éloigner d'Athènes, il envoie à sa place
sa compagne Aspasie. Tout serait assez simple si un traître
n'avait eu vent du projet, et si les Spartiates ne se hâtaient
de remplacer les interprètes des Oracles par des hommes
de leur bord.
Heureusement, le jeune Orion veille.
Sans doute les spécialistes de bandes dessinées
vous expliqueront-ils savamment qu'on ne saurait confondre le
style de Jacques Martin et celui de Marc Jailloux. Mais les profanes
comme nous n'y verront que du feu, et trouveront la copie tout
aussi authentique que l'original. C'est la raison pour laquelle
nous sommes allés demander à Marc Jailloux comment
il avait abordé les questions qui se posent à un
«épigone». Comment il avait réussi à
être «ni tout à fait le même, ni tout
à fait un autre». |
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FAL : Votre histoire commence avec de vilains Spartiates
qui prennent la place de prêtres spécialisés
dans la divination et qui prétendent faire entendre
la voix des morts. N'y a-t-il pas là une espèce
de mise en abyme de votre situation par rapport à l'uvre
de Jacques Martin ? |
Marc Jailloux : Oui, à ceci près que
Jacques Martin n'était pas mort quand j'ai commencé
à travailler sur Les Oracles ! Et la dégénérescence
maculaire dont il était victime depuis plusieurs années
ne l'empêchait pas totalement de voir. Bien sûr,
le mal qui le frappait était une tragédie, et
une tragédie d'autant plus grande qu'il n'avait cessé
de faire des progrès. Beaucoup s'accordent à
dire qu'Orion - Le Lac sacré pourrait bien être
son plus beau travail (certains ont même voulu y voir
un chant du cygne). Car il y a dans cet album des choses qu'il
n'avait jamais faites auparavant, des couleurs magnifiques,
une liberté étonnante. Mais cela signifie que
je suis arrivé, certes, pour prolonger une uvre,
mais une uvre qui avait déjà été
portée à son sommet. |
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FAL : Jacques Martin vous a-t-il accordé sa bénédiction
? |
Marc Jailloux : Il a d'abord validé mes synopsis.
Il m'a demandé de développer le premier que
je lui avais fourni, car il avait eu l'impression que toute
l'action allait se passer à l'intérieur d'un
sanctuaire. Puis il a regardé mes dessins, les premières
planches que je lui ai fournies. Il ne pouvait voir les pages
dans leur ensemble, mais il disposait d'un agrandisseur qui
lui permettait de les explorer détail par détail.
Sa fille - c'était elle qui lui avait lu mes synopsis
- m'a raconté que chaque fois qu'elle rentrait du comité
d'édition qui se réunissait tous les quinze
jours, il voulait voir les planches d'Orion. Et, oui, il était
enthousiaste et m'a accordé sa bénédiction. |
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FAL : Peut-on dire que vous avez véritablement
travaillé avec lui ? |
Marc Jailloux : Je l'ai rencontré à un moment où
il avait gardé de l'intérêt pour les
séries qu'il avait créées, mais où
il ne s'en occupait plus directement. Ce furent surtout
des visites de courtoisie, des félicitations. Je
l'ai eu au téléphone deux semaines avant son
décès.
J'étais entré pour la première fois
en contact avec lui en passant par le site «Les
Enfants d'Alix». Il avait voulu me «récupérer»
dès qu'il avait vu mes dessins. À l'époque,
je travaillais avec Gilles Chaillet sur La Dernière
Prophétie. C'est de fil en aiguille que l'idée
que je pourrais dessiner le quatrième album d'Orion
s'est imposée. Jacques Martin me disait en plaisantant
: «Il paraît que c'est très bien,
ce que vous faites. Il paraît que, parfois, c'est
même mieux que ce que j'ai fait.» Je peux
vous assurer que, pour qui connaissait le caractère
de Martin, ce n'était pas un mince compliment.
La seule chose qui me faisait un peu peur, c'est que, comme
les gens d'un certain âge, il était pressé.
Mon regret est qu'il soit mort sans avoir vu Les Oracles
dans sa version définitive. |
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FAL : Bob De Moor, collaborateur d'Hergé, a raconté
qu'un jour il avait mis devant le nez de celui-ci deux dessins
de Tintin dont un seul était d'Hergé. Et Hergé
n'avait pu dire lequel des deux était «le vrai».
Avez-vous voulu, vous aussi, être un faussaire aussi
parfait ? |
Marc Jailloux : Pas nécessairement. Si vous
dites en voyant mes planches : «On dirait du Martin»,
je prends cela comme un compliment. J'ai travaillé
avec Chaillet qui avait lui-même été formé
par Martin. J'ai donc acquis une certaine méthode de
travail. Des principes pour le crayonnage, pour l'encrage...
Oui, j'ai eu la volonté de prolonger l'uvre de
Martin, de reprendre son esprit. Maintenant, je n'ai pas essayé
de faire une copie. Étant donné la manière
dont son uvre avait évolué depuis les
débuts jusqu'à la fin, j'ai abordé mon
travail en me disant : «Voyons, si Martin avait aujourd'hui
mon âge, que ferait-il ?» Il fallait faire
évoluer l'entreprise tout en en gardant l'esprit. En
fait, mon ambition a été de réaliser
une uvre classique, avec toute la rigueur et l'exigence
que cela suppose. Parce que, si une uvre est bien faite,
elle peut traverser les années. Certains me disent
que j'ai un don. C'est possible. Mais derrière ce don
il y a des milliers d'heures de travail. La vérité,
c'est que j'ai continué à dessiner à
l'âge où l'immense majorité des enfants
lâchent leurs crayons de couleurs... |
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FAL : Que pensez-vous de la position des héritiers
d'Hergé qui s'opposent à ce que son uvre
soit prolongée par qui que ce soit ? |
Marc Jailloux : Si c'était la volonté
d'Hergé, si c'était son testament, il n'y a
rien à dire. Jacques Martin a toujours dit qu'il était
d'accord pour que d'autres prennent la relève. Il était
encore vivant quand j'ai signé mon contrat pour Orion.
Bien sûr, j'avais sans doute mon histoire en tête
et elle aurait pu être racontée avec un autre
personnage qu'Orion, mais c'est Jacques Martin qui m'a permis
de faire de cette histoire une aventure d'Orion. Je sais que
Peyo aussi avait organisé sa propre succession; il
avait formé des assistants pour qu'ils poursuivent
son travail. Mais si Hergé ne voulait pas que son personnage
lui survive, c'était son droit. Il ne doutait pas que
l'on puisse dessiner dans son style, mais il craignait que
l'esprit de la série ne soit pas respecté, ce
qui est fort compréhensible. Martin, qui avait été
lui-même un collaborateur d'Hergé, reprochait
à celui-ci de laisser ses assistants en plan après
sa mort. Mais il me semble qu'ils avaient été
assez bien payés et assez bien nourris tout le temps
qu'ils avaient travaillé avec lui... |
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FAL : Martin ne reprochait-il pas plus profondément
à Hergé de n'avoir jamais reconnu publiquement
l'importance de ses collaborateurs ? l'existence même
d'un «studio Hergé» ? On sait que beaucoup
de vignettes sont en fait l'uvre de Bob De Moor... |
Marc Jailloux : ... et sans doute même la
totalité des Picaros. Mais si un assistant n'était
pas content, il n'avait qu'à partir et créer
sa propre série. Je n'aime pas trop ces gens qui se
plaignent d'une situation dans laquelle ils s'enferment. L'assistant
de Murena ne s'est jamais plaint d'être l'assistant
de Murena, mais il est en train aujourd'hui de dessiner
sa propre série. Il y a dans la vie des moments où
il faut faire des choix. D'après certains témoignages,
Bob De Moor était tout à fait heureux dans sa
situation d'homme de l'ombre. Plus peut-être que Jacques
Martin, qui, lui, était parti. |
|
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FAL : Vous-même, vous avez délégué
la mise en couleurs des Oracles... |
Marc Jailloux : Faute de temps ! Scénario,
découpage, dessins, sans aucun assistant, c'était
déjà beaucoup de boulot. Comme j'avais la chance
d'avoir une amie coloriste de métier, je n'ai pas hésité
à la solliciter. Elle a travaillé sur Photoshop
sous mon étroite surveillance, bien entendu. Mais ce
n'était pas toujours moi qui proposais des ambiances
ou des références; ce pouvait être elle.
Encore une fois, les albums de Jacques Martin avaient beaucoup
évolué du point de vue des couleurs. Il ne fallait
pas rester figé. |
|
|
FAL : Si vous êtes autant attaché au principe
d'une évolution, comment se fait-il que l'histoire
que vous racontez dans Les Oracles se termine en retrouvant
exactement la situation de départ ? L'action est celle
d'un «épisode». La Grande Histoire n'a
pas avancé d'un pouce. |
Marc Jailloux : On ne revient pas tout à
fait à la même situation. À la fin, Périclès
a acquis une conviction. Mais, c'est vrai, ma marge de manuvre
était limitée, dans la mesure où il n'y
a que peu d'années entre le siège d'Athènes
par les Spartiates et la peste d'Athènes. J'étais
tenu par des contraintes historiques. Et je me suis plié
au cadre d'un chapitre de Thucydide. De toute façon,
une suite est prévue, puisque Périclès
déclare à la fin : «Nos trières
vont aborder les côtes du Péloponnèse.» |
|
|
FAL : L'inattendu dans votre histoire, c'est peut-être
l'ampleur du rôle que vous avez accordé à
Aspasie. |
Marc Jailloux : Il semble bien que cette femme ait
eu une influence importante sur Périclès. Elle
croisait Socrate tout en tenant un lupanar. Il y a là
quelque chose d'intéressant. Son périple est
vraisemblable. En outre, un tel personnage s'inscrit dans
l'esprit de Jacques Martin. Il a été l'un des
premiers à avoir accordé une place respectable
à des femmes dans ses récits. Sa reine Adréa
n'est pas la Castafiore. |
|
|
FAL : À qui s'adresse votre album ? |
Marc Jailloux : Je voudrais qu'il ne s'adresse pas
seulement aux amateurs de bande dessinée. Je voudrais
qu'il retienne aussi l'attention des spécialistes des
arts et lettres, et, plus encore, qu'il donne aux trentenaires
le goût de l'Antique. Je suis très souvent au
Louvre. Je puis vous assurer que, dans le département
des antiquités gréco-romaines, à part
moi-même et quelques messieurs à cheveux blancs,
il n'y a pas grand monde. Je ne me considère pas comme
un historien. Je crois pouvoir dire, étant donné
les recherches que j'ai faites, que je suis devenu un spécialiste
de la Grèce de Périclès (je ne dirais
pas la même chose pour la période hellénistique),
mais j'ai dû à un moment arrêter mes recherches,
parce qu'elles risquaient de me bloquer. Comme Martin, j'ai
fait un gros travail d'investigation. Je puis vous dire à
quelle époque tel monument a été construit.
Seulement, à l'époque de Périclès,
le Parthénon et l'Acropole étaient un gigantesque
chantier et je ne suis pas sûr que les lecteurs auraient
eu beaucoup de plaisir à voir Orion se prendre les
pieds dans des pots de peinture. Il faut laisser de la place
pour le rêve. La notion de réalisme me dérange.
Vous pouvez représenter des gens sales dans les rues,
ils ne seront jamais aussi sales que pouvaient l'être
vraiment les gens à l'époque. Disons que je
prétends offrir «une certaine idée
de la Grèce». |
|
Propos recueillis par FAL
(Cette interview a été précédemment
publiée sur le site Boojum
- L'animal littéraire)
On consultera avec fruits le site personnel de Marc
Jailloux. |
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Suite (en construction) :
Bibliographie
Chronologie de la Guerre du Péloponnèse
|
NOTES :
(1) Cf. Laurent FABRI, «Il
y a une vie après Martin pour Lefranc et Alix»,
L'écho de la Bourse (Bruxelles), 9 novembre 2006.
- Retour texte
(2) En fait, selon un principe de
contraction du Temps et de l'Espace dont romans et plus encore
BD sont coutumiers, le scénario de L'Ibère
condense les batailles d'Ilerida, 8 août 49, et de Munda,
17 mars 45. - Retour texte
(3) Télescopant le mythe d'Orphée
et Eurydice avec celui du rapt de Perséphone par Hadès,
ces «Chiens de l'Enfer» - les trois chiens féroces
qui en sont autant de cerbères - imagine les aventures
d'un jeune guerrier grec descendant aux Enfers avec quelques
camarades pour en ramener sa défunte fiancée :
nos héros naviguent dans la barque de Charon, puis arpentent
les interminables couloirs du Monde Souterrain : d'Hercule
contre les Vampires (1961) et Maciste en Enfer (1962)
aux récents Choc des Titans 2 et Percy
Jackson, le souterrain séjour d'Hadès
constitue un topique récurrent du péplum. - Retour
texte
(4) Aornos, «sans oiseaux»
est l'équivalent grec de l'Averne, ce marécage
de Campanie où les Romains situaient l'entrée
des Enfers. Des entrées des Enfers, il en existait de
nombreuses autres, notamment au cap Ténare en Laconie
et sur le mont Laphystios, près d'Orchomène en
Béotie. - Retour texte
(5) Il y a néanmoins une certaine
logique dans la saga initiée par Jacques Martin, qui
- dans les deux premiers albums - semble se stabiliser autour
de 435-431, tandis que l'épisode égyptien du tome
3, Le Pharaon, où l'on voit Orion mercenaire prendre
du service auprès d'Amyrthée, peut s'être
passé à n'importe quel moment entre 454 et 414,
en toute concordance. - Retour texte
(6) Lorsqu'il en détache la
corde, Orion peut s'en servir comme d'un fouet. Mais c'est un
simple arc de bois, et non un de ces arcs de corne, à
double courbure, qu'affectionnaient les Grecs. - Retour
texte
(7) Cf. P. VIDAL-NAQUET, Le
chasseur noir, Paris, Editions La Découverte, 1991,
pp. 123-177. Pierre Vidal-Naquet expose que les éphèbes
athéniens forment un classe d'âge (16-18 ans) analogue
aux irènes spartiates (18-20 ans) qui, légèrement
armés, constituent une sorte de police des frontières,
et vivent donc en retrait de la société (l'équivalent
de la cryptie spartiate), avant de recevoir le bouclier
qui les intègre à l'infanterie lourde des citoyens
- et de se marier pour procréer à son tour. -
Retour texte
(8) Difficile de ne pas la comparer
avec d'autres dictatures populaires plus récentes qui,
de Staline à Pol Pot ou Kim Il-sung sous prétexte
de vouloir la paix des peuples, les précipitèrent
dans la détresse la plus noire. - Retour
texte
(9) «... Mais surtout ne
lui demande pas pourquoi il porte constamment un casque. Sache
que c'est pour dissimuler la proéminence de son crâne,
particulièrement à l'arrière»,
prévient un soldat (Le Lac sacré, pl. 4,
8e v.). - Retour texte
(10) Scénario qui a vaguement
survécu dans le médiocre album La Cité
engloutie (P. Weber (sc.) - Ferry (d.), 2009), mais toujours
sans les druidesses ! - Retour texte
(11) Jacques Martin a choisi d'orthographier
«Ilote» et non «Hilote». - Retour
texte
(12) La BD orthographie «Brasidias»
et non «Brasidas», ce qui fait du général
de la BD un personnage sensiblement différent du protagoniste
historique dont il s'inspire. - Retour
texte
(13) Satisfaite, mais de quoi ? Les
Spartiates avaient prévu cette expédition bien
avant que leurs hilotes ne se révoltent, leur objectif
étant de punir les Athéniens et leur politique
hégémonique. C'est une faiblesse du scénario,
et sans doute pas la seule. - Retour texte
(14) Durant la Guerre du Péloponnèse,
les Spartiates envahirent l'Attique à sept reprises :
en 447, 431, 430, 428, 427, 425 et... 413. Et bien sûr
aussi en 404, quand Athènes capitula. - Retour
texte
(15) Amyrthée, le pharaon
qui embauche les mercenaires grecs, après une longue
résistance finira par chasser les Perses d'Egypte et
régnera de 414 à 408. - Retour
texte
(16) Pierre SALMON, La Politique
égyptienne d'Athènes (VIe et Ve siècles
avant J.-C.), Académie Royale de Belgique, Lettres
-8¡, LVII, 6. - Retour texte
(17) M. DELCOURT, Périclès,
Gallimard-NRF, 1939 (3e éd.), p. 186. - Retour
texte
(18) Henry THEDENAT, Le Forum
romain, Hachette, 1908. - Retour texte
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