courrier peplums

JANVIER - FEVRIER 2004
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20 Février 2004
 

Lunis nous a invité à visiter son site KABYLIAN dédié à la défense de la culture berbère. Nous y avons trouvé la traduction d'un texte d'une ethnologue américano-berbère, Helen Hagan, relatif à la représentation à l'écran des anciennes cultures d'Afrique du Nord, avant la conquête arabe du VIIIe s. de n.E. - en particulier dans Gladiator de Ridley Scott.

Il s'en est suivi, du 20 au 22 février, un fructueux échange de courriel avec Lunis dont nous avons conservé ici l'essentiel, y compris les digressions.

DE HELEN HAGAN (Los Angeles) :

Les IMAZIGHEN (pluriel de AMAZIGH, les Berbères) peuplent l'Afrique du Nord depuis les temps Néolithiques et parlent une langue commune, le Tamazight. Nous sommes ce peuple que les Phéniciens et les Grecs trouvèrent sur les rives de l'Afrique du Nord.
Nous sommes ce peuple que les Romains rencontrèrent dans les régions qu'ils nommèrent
Numidie (la Tunisie et l'Algérie orientale) et Mauritanie (le Maroc et l'Algérie occidentale). Aujourd'hui, plus de trente millions de Berbères vivent en Afrique du Nord.

Le film Gladiator est sorti depuis vendredi, 5 mai [2000], sur grand écran à travers l'Amérique et le monde. Ce spectacle somptueux et coûteux proposé par DREAMWORKS et UNIVERSAL STUDIOS ravive un type de divertissement populaire HOLLYWOODIEN : la tradition de l'épopée romaine postérieure à la Seconde guerre mondiale - le péplum -, avec plus de violence, plus de bruit, plus de conflits d'armes, et aussi plus... de bêtises !

Nous nous inquiétons particulièrement de l'image déformée que le film donne de notre peuple, les IMAZIGHEN. Avec un budget estimé à plus de 100 millions de dollars, un grand effort de recherche a apparemment été consenti pour reconstituer l'armée et les arènes romaines, et le mode de vie des Romains. Les producteurs espèrent renouer, pour les hordes cinéphiles entassés dans les salles obscures, avec les foules du passé qui s'agglutinaient dans les arènes afin d'être les témoins de la brutalité glorifiée, acclamant le carnage et éprouvant les fortes sensations de la sauvagerie - et ainsi renflouer les caisses vides ( ?) de DREAMWORKS et ses partenaires qui délibérément misèrent sur le pouvoir de tels phénomènes de masse. Cependant, les décors, armures et costumes ne s'attachèrent avec quelque soin qu'à de reconstitution de... Rome.

Les scènes nord-africaines de ce film ont été loupées. Pendant quarante-cinq minutes du film, le personnage principal, interprété par Russell Crowe, vit dans une région nord-africaine, la Maurétanie des Romains.
Cette partie du film a, en effet, été tournée à Ouarzazate, au Maroc, qui aux temps des Romains était, en fait, le pays des Maures, à l'ouest de la Numidie. Dans l'Afrique antique, les deux régions faisaient partie de l'Empire romain. Les producteurs semblent avoir négligé d'engager des consultants spécialistes sur l'Afrique du Nord antique pour ces séquences. Ceux-ci les auraient mis au courant du fait qu'en 180 av. notre ère, les Maurétaniens et les Numides (les Berbères d'aujourd'hui) étaient les indigènes de l'Afrique du Nord, et qu'il n'y avait pas d'Arabes dans la Numidie en l'an 180 avant Jésus-Christ !
Les Arabes n'avaient pas encore envahi l'Afrique du Nord à cette époque : cela s'est fait que beaucoup plus tard, vers 700 après Jésus-Christ. Or l'action de ce film met en scène ce général romain au milieu d'un marché rempli de personnages habillés de voiles flottants et arborant des turbans, qui sont des costumes purement arabes qui n'étaient nullement portés par les Nord-Africains de l'époque, avant l'arrivée des Arabes. Pendant ce temps, à l'arrière-plan, on entend en fond sonore une musique orientale que l'audience américaine peut facilement identifier. Malheureusement, la musique orientale était inconnue des Berbères, Numides ou Maures, et des habitants d'Afrique du Nord en général, à cette époque.

Ainsi dépeintes, les scènes du marché sont plus évocatrices du bazar arabe, décors hâtivement bâtis dans les arrières studios de Hollywood comme en fit de «Yore» la WARNER BROS et les autres. Ils sont totalement inexacts pour le temps et le lieu que ce film tente de dépeindre. De plus, manquant totalement de respect pour la culture et les traditions d'une population entière de Berbères habitant en Afrique, ils sont comme tels préjudiciables.

Proximo, l'entrepreneur et entraîneur de gladiateurs que nous trouvons dans cet absurde marché, est interprété d'une part par Oliver Reed, et d'autre part par l'illusion des images numériques, après le décès de celui-ci pendant la production. Comme un commerçant local d'esclaves, il porte aussi un turban, et affecte la mine du commerçant jovial et louche : l'image stéréotypée du marchand arabe, plus en accord avec Hollywood qu'avec les vrais Berbères. De ce romantisme, nous apprenons que cet individu est supposé être un Bédouin, qui parle Berbère à ses assistants !

Les Historiens savent que, venant de la Péninsule Arabique, les Bédouins n'ont commencé à émigrer vers l'Egypte qu'au septième siècle après Jésus Christ, et ces vagues de migration bédouine ne sont arrivées dans le Maroc qu'au onzième siècle. En effet, la confusion entre Berbères et Arabes dans l'esprit des producteurs et les diffusions par ces images, renforçant tous les préjugés, les idées fausses, entérinent les mauvaises représentations et les stéréotypes, l'ignorance du passé de notre peuple - les Imazighen (les hommes libres), appelés par les conquérants romains Numides, Maure, et plus tard collectivement désigné par les Arabes comme «Berbères». Juba (un prénom très Amazigh, que portaient deux de nos célèbres Rois, Juba I et Juba II de la première période romaine) est le leader des archers numides, qui se lie d'amitié avec le général romain devenu esclave et gladiateur. Il doit être dit que seule l'audience moderne de nos jours peut fermer les yeux sur un tel virage d'événement incongrus. Ici, les producteurs semblent avoir confondu les Numides avec les Nubiens, un groupe d'Afrique noire. Pour incarner le rôle de ce dirigeant Amazigh, ils ont engagé un acteur nigérian, Djimon Hounsou. Il est totalement improbable, sinon totalement ridicule, que des archers numides soient menés par quelqu'un qui n'est pas des leurs - de leur communauté ou de leur famille.
Les Numides sont décrits comme ayant des cheveux blonds-roux et des yeux clairs. C'est comme si on nous montrait, par exemple, un groupe d'infanterie grecque menée par un Congolais ou un Indien des Antilles. Ce genre d'erreurs - qui sautent aux yeux - n'amusent pas les Imazighen, dont un grand nombre vit en Amérique et au Canada, et plus d'un million et demi en France et plus dans divers pays européens, et - comme indiqué ci-dessus -, plus de trente millions en Afrique du Nord, aujourd'hui. Nous luttons pour la reconnaissance de nos droits linguistiques, culturels et humains et historiques au niveau international, par les associations culturelles, par les moyens de radios et télévisions, par un mouvement international qui siège à Paris, et les Nations Unies. Nous constituons un petit pourcentage de la population en Egypte, Libye et Tunisie, mais sommes plus de 30 % en Algérie, plus de 50 % au Maroc : tous ces pays sont souvent considérés, et par grave erreur, comme étant entièrement arabes. Nous ne voulons pas être dépeints comme des Arabes par des producteurs d'Hollywood, particulièrement dans un film qui sera vu par une énorme audience. Nous protestons avec force et véhémence contre la lourde main de DREAMWORKS et les Studios UNIVERSAL, qui perpétuent des stéréotypes dommageables et des représentations erronées de notre culture et notre peuple.
Nous, les Imazighen d'Amérique, avec le soutien de millions d'Imazighen dans les diverses parties du monde, dénonçons le probablement involontaire, mais non moins blessant flagrant déni de nos droits à être justement dépeints dans notre propre habitat, notre musique, l'aspect de nos vêtements - et dans tout ce qui constitue notre patrimoine et notre héritage culturel.
Nous préférerions ne pas être montrés à travers les écrans de cinéma partout dans le monde, plutôt que dans le déguisement d'une autre culture.
Soutenus par le tout-puissant dollar, les puissants magnats de Hollywood se permettront-ils d'atteindre aux droits et de porter préjudice à un peuple entier sans que nous protestions ?
Nous tenons à affirmer publiquement que, dans le monde d'aujourd'hui, Gladiator est un méfait onéreux, qui n'ira pas sans notification : il a nuit, à un niveau mondial, aux droits et la culture d'un peuple avec plus de 4.000 ans d'histoire. Quelques dollars soigneusement dépensés pour les consultants pourraient avoir été un bon investissement...
Texte traduit par Lounis Igderzen [Relu par Michel Eloy]. (Pour l'original en anglais : www.tamazgha.org / sa traduction française, première manière, sur AMALOU TIMESRIRIN)

gladiator

Le souk aux laines teintes

 
 
RÉPONSE :
 

La cause des Berbères a toute ma sympathie. Ma passion pour la Méditerranée antique et pré-islamique (au milieu du IIIe s. de n.E., l'Eglise de Carthage était plus importante que celle de Rome), mes recherches sur le magnifique roman de Pierre Benoit (L'Atlantide) et aussi votre héroïne, La Kahéna, ainsi qu'un voyage en Algérie voici bien des années (déjà !) me portent à vous soutenir moralement.
Il me souvient que tel roman de Noel B. Gershon/Leslie Turner White intitulé Scorpus le Numide (Scorpus the Moor) (Fleuve Noir, 1965) m'est tombé des mains après dix pages, lorsque je lus que ce fameux aurige nord-africain (1), devenu Flavius Scorpus à Rome sous Néron où il comptabilisa 2.048 victoires à vingt-sept-ans s'appelait... Ahmed, dans sa langue !
Ahmed est un prénom arabe, langue sémitique. Les Berbères parlent une langue hamitique, une langue africaine cousine de l'égyptien pharaonique. On tiendra pour exaspérante la vision réductrice d'un Maghreb qui n'aurait pas évolué au cours des deux derniers millénaires - entendez qu'il y a deux mille ans, il était déjà comme aujourd'hui, c'est-à-dire arabisé et musulman.

Or le paysage a bien changé, avec la désertification du Sahara. N'oublions pas que c'est en Afrique du Nord que les Romains razziaient les animaux exotiques - fauves, mais aussi girafes, éléphants, rhinocéros, etc. - qu'ils exhibaient et massacraient dans leurs jeux du cirque. Aujourd'hui, on n'imagine plus que le tels animaux y eussent vécu. En ce qui concerne la population humaine, les seuls Sémites qui y vivaient étaient les Phéniciens qui y avaient essaimé leurs comptoirs commerciaux; le plus connu étant Carthage. Et sans doute aussi - depuis Trajan - les Juifs fuyant les persécutions, conséquence de leurs révoltes contre le pouvoir romain, qui avaient vu la Cyrénaïque, Alexandrie, la Judée et Chypre mises à feu et à sang (ou faut-il remonter à la Tarsish [2] de Salomon, ou à la dispersion des Dix Tribus d'Israël [3] ?).

C'est dans ce milieu païen-africain, partiellement judaïsé-canaanisé, que s'est développée la première grande église chrétienne hors de Judée. Bien avant celle de Rome. Outre des martyrs fameux comme Cyprien, Perpétue et Félicité, l'Eglise de Carthage - l'Eglise d'Afrique - a donné des Pères aussi éminents de Tertullien et Augustin. Ce fut là aussi que, sous l'influence des Wisigoths, un foyer d'hérésie arienne prépara le terrain à l'Islam (disciples de l'évêque d'Alexandrie Arius, les Ariens considéraient Jésus comme un simple prophète, non comme Dieu).

Et il en alla ainsi jusqu'au VIIIe s., lorsque les Arabes musulmans, maîtres de l'Egypte et voulant soumettre l'Empire chrétien de Byzance, résolurent d'isoler la Ville des Villes en la coupant de ses territoires, en s'emparant de l'Afrique du Nord reconquise sur les Wisigoths par Bélisaire au siècle précédent.
Cette Méditerranée que le christianisme avait unifié pacifiquement, l'Islam allait se l'approprier par le droit de l'épée - mais la soumission des Berbères ne se fit pas sans difficultés. La reine des Aurès leur tint tête plusieurs années durant. On ne sait si la Kahéna, personnage historique largement nimbé de mythe, était chrétienne, juive ou païenne mais, tantôt aidée par les Byzantins, tantôt solitaire, elle mena une politique de la terre brûlée, disputant âprement chaque pouce de terrain, et défit plusieurs armées arabo-musulmanes avant d'être capturée et décapitée.
Avant de mourir, toutefois, elle engagea ses fils à embrasser l'Islam. C'est du moins ce que prétendent les historiens arabes.

On sait ce qu'il advint depuis : convertis de force, les Berbères douze fois apostasièrent, comme l'écrivit Ibn Khaldoun. Aujourd'hui encore, Arabes et arabisés tiennent les Berbères du Maghreb pour une sous-culture, et les cinéastes - qu'ils soient d'Hollywood ou de Cinecittà - sont incapables, dans un film historique, d'imaginer les Numides et les Maures d'autrefois autrement que dans le décorum et les costumes du conquérant musulman. Parfois, cela peut s'expliquer par un manque de moyens : dans Salammbô (1959), Sergio Grieco filme des cavaliers tunisiens contemporains dans leur gandoura faisant la fantasia, dont il intègre les images tant bien que mal, plutôt mal que bien, parmi celles de ses mercenaires grecs ou gaulois révoltés contre Carthage, demi-nus eux. Dans le même film, l'espace d'un plan, on entreverra également une ziggourat empruntée à la Mésopotamie - si bien est ancrée l'idée que le Maghreb est de civilisation sémite (4) (id. est «arabe»).

 

salammbo

Où l'architecture de Carthage l'Africaine se confond, ici avec Mycènes, la Porte des Lionnes (le motif des lions affrontés de part et d’autre d’une colonne), ailleurs avec celle de la Mésopotamie (une ziggourat en arrière plan - nous n’avons malheureusement pas la photo) («Salammbô», S. Grieco, 1958)

 

carthage en flammes

Le «Conseil des 103» : le Sénat de Carthage. Notons les gardes, vêtus de la longue robe bleue des Touareg, le bouclier marqué du symbole de Tanit («Carthage en flammes», C. Gallone, 1959)

 

gladiator

Une Rome wagnérienne lorgnant vers le cinéma de Leni Riefensthal et les grand-messes nationales-socialistes du genre du Congrès de Nuremberg (1933) («Gladiator»).

 

Toutefois, ces considérations n'enlèvent rien à l'intérêt de ce magnifique film épique américain, Gladiator, que vous prenez à partie, et qui cependant - à mon avis - prenait plus de libertés encore avec une civilisation romaine wagnérienne qu'avec les Imazighen !
En particulier les scènes de gladiature - qui sont très envoûtantes cinématographiquement parlant et restituent merveilleusement l'ambiance de la célèbre toile de Léon Gérôme, Pollice Verso - mais qui ne sont pas acceptables du simple point de vue historique !
Je prépare à ce sujet un dossier que je mettrai en ligne sur mon site dans quelques mois.

Je ne puis toutefois m'empêcher de réagir à certains termes de l'analyse que vous avez publiée. Helen Hagan déplore que, faisant un film sur Rome, les producteurs hollywoodiens n'aient pas engagé des consultants sur... l'Afrique du Nord ! Je lui retourne la critique. Se fiant innocemment au générique américain, Helen Hagan fait remarquer qu'en 180 avant Jésus-Christ les Arabes étaient encore bien loin d'occuper l'Afrique du Nord. Mais Marc Aurèle est mort en 180 après Jésus-Christ. Et bien sûr, les Arabes n'occupaient toujours pas l'Afrique du Nord : mais quel dommage que Miss Hagan n'aie pas consulté... un consultant en Histoire romaine, qui lui aurait évité de prendre pour argent comptant les approximations d'un producteur hollywoodien ! (Ou tout simplement : quel dommage que Miss Hagan n'ait pas ouvert son dictionnaire !)
Ce n'était qu'une erreur de calame (a slip of the pen) du pauvre préposé responsable du générique, lequel a depuis été corrigé (sauf erreur de ma part). Mais n'est-ce pas une habitude, chez tout un chacun, de ne voir que la paille, pas la poutre ?

Je me demande toutefois où Miss Hagan a pris que Juba (Djimon Hounsou) serait le chef d'archers numides, par ailleurs inexistants dans le film de Ridley Scott ? Juba est un esclave-gladiateur razzié on ne sait où en Afrique. Point.
Je vous avoue que je me suis souvent interrogé sur le type ethnique des Berbères antiques, dont le fantasmatique Chleuh blond, du nom d'une tribu marocaine qui en français désigne des blonds «aryens» allemands (argot de la Légion étrangère). «Numide» signifie, en grec, «nomade», mais «Maure» ne renvoie-t-il pas, dans la même langue, à mauros, «noir» [grec moderne] ? Le prénom Maurice fait référence à un martyr d'origine égyptienne et le français «tête-de-maure» désigne la couleur brun-foncé. Nombre de Marocains et d'Algériens sont des Noirs venus du Sahel, au-delà du Sahara. Vous voyez, la confusion existe dans notre esprit. Ainsi, dans la bande dessinée de Victor Mora (sc.) et Raphael Marcello (d.), «Taranis, Fils des Gaules» (5), le Numide Yambo, ex-mercenaire de Jules César, est un black pur jus ! Et dans les intertitres de Cabiria (1913), chef d'œuvre absolu du cinéma muet italien, la reine numide Sophonisbé - par ailleurs incarnée par une actrice de race blanche, Italia Almirante Manzini - est désignée par le poète nationaliste Gabrielle D'Annunzio comme «l'ardente fleur du Mélagréen», ce qui signifie, donc, que le Numide Massinissa serait un homme de couleur (grec mélas, «noir»).

maximus & juba
   

taranis

Dans la BD «Taranis» (V. Mora & R. Marcello), le mercenaire numide Yambo («Bonjour», en swahili - N.d.M.E.) est un black pur jus. La présence de Numides mercenaires (cavalerie ou infanterie légère ?, nous l'ignorons au juste) dans l'armée de Jules César, est attestée dans la Guerre des Gaules au moins pour l'année 57 (G.G., II, 7 et 24).
Yambo (que nous hésitons à qualifier de «beur») va aider le jeune Taranis, héritier spirituel de Vercingétorix, à restaurer - à travers l'«épopée de la Résistance» - une mythologie républicaine qui n'a pas toujours eu très bonne presse (Napoléon III et Vercingétorix !). C'est-y pas beau tout ça ? C'est ainsi, en tout cas, que le «politiquement correct» prend l'Histoire en otage...

 

cabiria

Scipion le Romain et son allié Massinissa, roi des Numides, le «mélagréen» («Cabiria», Giovanni Pastrone, 1913).

Mais revenons à Gladiator. Dans la logique interne du film, les scènes nord-africaines - tournées, effectivement, dans les Studios Atlas Films de Ouarzazate, au Maroc - se situent dans une province de l'Empire romain nommée Zucchabar (en fait l'actuelle ville de Miliana en Algérie, l'antique Mauritanie Césarienne, en pays berbère). Par ailleurs, Ridley Scott a recréé Rome en filmant, paraît-il [je n'ai pas vérifié] un panorama de Malte dans lequel il injecta des monuments néo-classiques... de Londres - déclarera, dans des interviews, avoir engagé des documentalistes... qui firent très bien leur travail... mais que lui n'avait jamais eu la prétention de faire une reconstitution archéologique de la Rome antique ! De tout ce que Ridley Scott a pu dire à propos de son film (et j'en ai deux classeurs pleins) cet aveu plein d'humilité et de sagesse est sans doute ce qui m'a le plus touché. That's Hollywood !

Il y avait dans la peinture hyperréaliste du XIXe s., une connivence certaine entre les pompiers et les orientalistes : c'étaient du reste souvent les mêmes artistes. Elle se reflétera dans le péplum, qu'ils soit italien ou américain. Dans toute scène de marché - en particulier le marché d'esclaves, connotation incontournable de notre imaginaire, mais n'est-ce que de l'imaginaire ? - il y aura à Rome des individus en costume «arabe» (djellaba, turban...). Après tout, de la toge à la djellaba...

Si Gladiator a pu simplement ressusciter le péplum moribond, ou - mieux - piquer la curiosité du public pour les fastes de la civilisation de la Rome antique ou pour... les Imazighen, tant mieux !
Mais il serait de vain de prétendre à davantage.

 
 
21 février 2004
Réaction de Lunis :
 

En fait Helen Hagan s'est renseignée auprès des studios, qui lui ont donné ces informations. Les Berbères ne sont pas un peuple noir à la base. Comme vous devez le savoir, les peuples sont tous originaires d'Afrique. Les Berbères ne sont que les hommes blancs qui préférèrent demeurer en Afrique, plutôt que de migrer en Europe. Massinissa et Jugurtha n'étaient pas noirs de peau. Le nom de Massinissa vient de la racine lybique MSNSN, qui signifie en berbère «leur chef»; le terme «Maure» vient du nom Maurétanie, transcription du mot berbère tamurth «le pays».

Les Arabes ont désigné les tribus numides et maures (berbères) par ces termes :

  • Kabyle : de l'arabe «qbayl» qui veut dire «tribus»;
  • Chleuh : de l'arabe «chelhi» qui veut dire «dénudés»;
  • Chaoui : de l'arabe «echaoui» qui veut dire «bergers»;
  • Touareg : de l'arabe «tergui» qui veut dire «abandonnés de Dieu».

Je vous invite à lire les œuvres de Gabriel Camps, un éminent berbérologue, et le livre de Malika Hachid, Les premiers Berbères, qui vous en apprendront plus sur les Berbères lybiens de l'époque de Ramsès III, et sur le pharaon Sheshonq, lui-même d'origine lybienne.

guerriers egyptiens

Guerriers berbéro-lybiens de l'époque de Ramsès III, d'après des bas-reliefs égyptiens (extrait de Jacques Martin & Jacques Denoël, «Le Costume antique (1)», Dargaud, «Les voyages d'Alix», 1999). De gauche à droite : trois tchemehou (le premier est couvert de tatouages), un meswesh et, accroupi, un archer tehenu.
Notez le sexe du premier et des deux derniers, enfermé dans un étui pénien.

 

 
 
RÉPONSE :
 

Donc Helen Hagan a écrit sa critique sans avoir vu le film, en vision de presse ou autrement ? Bravo !

1. Si Helen Hagan avait vu Gladiator, comment aurait-elle pu écrire que Juba commandait à des archers numides ? Dans le film, Juba dit à Maximus qu'il était chasseur et vivait bien tranquillement dans sa tribu, avec sa femme et ses enfants...

Je suis tout aussi choqué que vous de voir ce stéréotype de l'Arabe plaqué sur les Berbères et j'approuve Helen Hagan dans sa protestation. Mais le paragraphe sur Juba est une erreur de sa part.

Je pense que Juba-Djimoun Honsou ne faisait rien de plus que reprendre le rôle de Draba-Woody Stroode dans le Spartacus de Stanley Kubrick en 1960 (qui est aussi le roi des Nubiens faisant sa soumission à Pharaon dans Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille). De la part des producteurs, il n'y avait pas de malice là dessous. Il y a une vraie tradition pour voir des noirs dans le rôle du rétiaire, probablement à cause du film de Kubrick. Regardez la superbe BD Murena de Delaby et Dufaux.

2. Voici bien des années, je m'interrogeais à propos des coiffures des soldats égyptiens des temps pharaoniques, constatant qu'au cinéma, mais aussi dans la BD, la peinture historique du XIXe s. etc. ils portaient systématiquement des coiffures royales... quoique quelque part, la forme du némès n'était pas très éloignée de celle du keffieh bédouin. A partir de là, je me suis interrogé sur le cliché du turban oriental dans les films romains. Si vous vous rappelez Spartacus, songez au capitaine des pirates ciliciens (l'Arménie méridionale, en Turquie), qui promet ses bateaux à Kirk Douglas ! Il porte un somptueux turban en lamé argent !

jugutha 1 jugutha 2

Les premiers épisodes de «Jugurtha» (Laymillie [Jean-Luc Vernal] (sc.) et Hermann (d.)) parurent dans «Tintin» en 1967. Le Numide Jugurtha est de race blanche, mais son armée contient de nombreux alliés recrutés au cœur de l'Afrique noire, qui affronteront les légions de Marius (!).

Il me revient une autre BD des années '60 qui, dans les milieux bien pensants de l'époque, fit scandale parce que ses auteurs prenaient le parti des Berbères contre les Romains (Jugurtha, de Hermann [6]), publiée dans Tintin. Dans cette bande dessinée Jugurtha est blanc, mais dans son armée il y a des blacks d'Afrique centrale... Dans Cabiria (1913), comme je l'ai déjà dit, Sophonisbé est blanche, mais Massinissa (Vidale De Stefano) est un blanc... très bronzé, aux cheveux crépus, est qualifié de «Mélagréen». Et dans ce film, l'esclave nègre Maciste est incarné par un Italien blanc - Bartolomeo Pagano -... passé au cirage. Je rappelle que le film est de 1913, et que l'année précédente les Italiens avaient arraché la Libye à l'Empire ottoman. Les événements historiques dont traite le film, c'est-à-dire la Seconde guerre punique, sont un paravent derrière lequel s'inscrivent en filigrane les prétentions coloniales italiennes en Libye et en Tunisie, mais aussi en Erythrée, en Somalie et en Abyssinie... Ceci explique peut-être cela. Une confusion plus ou moins délibérée entre Africains blancs et noirs...

De même qu'en 1912, la victoire sur les Turcs des Italiens - qui, outre la Libye, avaient également obtenu l'annexion de Rhodes et des îles du Dodécannèse -, a été célébrée par un autre film patriotique en deux volets : Les Chevaliers de Rhodes et Infamie arabe (Mario Caserini, 1912). Ces deux films racontaient comment, au Moyen-Age, les Italiens - c'est-à-dire, la République de Venise et les Chevaliers de Saint-Jean -, avaient héroïquement défendu l'île de Rhodes et ne l'avaient perdue que par trahison (en 1480). Ici, ce sont les Turcs qui sont confondus avec les Arabes, sans doute parce qu'ils sont musulmans comme eux.

3. En ce qui concerne les Maures actuels, je vous crois volontiers : ce sont des blancs. La majorité des Marocains sont des blancs. Mais comme je l'ai expliqué, exemples à l'appui, il y a amalgame dans l'esprit du public, et beaucoup les croient noirs, peut-être par confusion avec l'actuelle Maurétanie, qui est au sud du Maroc.
Rappelons aussi l'ambiguïté des Touareg vêtus de bleu, qui sont des blancs, mais qui vivent mélangés avec d'autres tribus nomades vassales vêtues de blanc, qui sont de race noire.

 
 
Même jour
Réaction de Lunis
 

Mais non, Helen Hagan a vu le film mais a aussi été se renseigner, sans toutefois parler à Ridley Scott lui-même. Ils lui ont donné certaines infos sur le film.

Helen Hagan est une scientifique qui étudie beaucoup son peuple et aussi l'Egypte; ses travaux sont sérieux, comme par exemple le rapprochement entre la culture des Egyptiens antiques et celles des Berbères.

(...) Je connais la BD Jugurtha de Franz et Vernal. Juba est le nom de deux souverains berbères de l'Antiquité. Cette info sur l'origine «numide» de Djimon Hounsou lui a été donnée par le staff du film. Il semblerait qu'ils aient confondu Nubiens et Numides; de même que Proximo (Oliver Reed), dans le film, soit censé incarner un Berbère, mais sa tenue n'est pas conforme pour l'époque. Je trouve même cela une insulte : le souk de Gladiator ressemble beaucoup à un souk marocain actuel. Je trouve cela insultant. Ça équivaut à prétendre qu'en 2.000 ans l'Afrique du Nord n'a pas évolué !
Il n'existe pas de péplums consacrés aux Berbères. Je ne puis vous conseiller qu'un film historique d'Azzedine Meddour, La montagne de Baya, qui narre l'histoire d'un chef de tribu kabyle des années 1800.

(...) Ce n'est pas la qualité du film Gladiator que je critique, mais la réécriture de l'histoire et le non-respect des cultures et des peuples.
Je suis d'origine numide, de Saldæ, c'est-à-dire la région de Bejaïa en Algérie : cette région faisait partie de la Numidie, et pourtant je suis loin d'être noir (!). En fait les gens se posent rarement les bonnes questions sur mon peuple : je ne nie pas le fait qu'il existe des Berbères noirs (7), mais ce n'est pas sur la partie nord de l'Afrique que vous les trouverez.
Il serait farfelu de croire que Massinissa et Jugurtha sont noirs, regardez les pièces à leur effigie ou même une statue de Massinissa, qui a été retrouvée... Bon, passons de ce côté là...

Les péplums ont toujours déformé l'image de mon peuple et aussi celles des autres, un déni de plus ou moins sur mes ancêtres ne changera rien à sa situation...

 
 
22 février 2004
Lunis réécrit
 

Savez vous qu'il se prépare un film sur Hannibal le Carthaginois... avec Denzel Washington dans le rôle du général ?
Denzel Washington est un acteur noir. Sans doute les studios croient-ils qu'Hannibal l'était aussi. Et puis, il faut satisfaire un public afro-américain en quête de héros... ?

-hannibal hannibal
A gauche : tête d'Hannibal, selon Gilbert Charles-Picard («Hannibal», Hachette, 1967).
A droite : un buste d'Hannibal, plus hypothétique.
 
 
RÉPONSE :
 

A ma connaissance, il y a (ou il y avait) deux projets en route, sur Hannibal.
1) Un téléfilm en deux parties d'Alberto Negrin (Secrets of Sahara), prod. Horizon Entertainement;
2) Un film de cinéma, prod. Revolution Picture/Sony, avec Vin Diesel dans le rôle titre. En ce qui concerne ce dernier, il n'y a pas trop lieu de s'inquiéter. Selon IMDb, son Hannibal est prévu pour 2005. Son scénariste est David Franzoni (Gladiator) et Vin Diesel - qui s'est réservé le rôle d'Hannibal Barca - en est aussi le producteur.

En 1996, Moustapha «Le Message» Akkad avait annoncé le tournage d'un Hannibal avec Robert De Niro, dans le rôle. Une production Tarak Ben Ammar. C'est vrai que le beau Vic Mature (1960) n'intéresse plus que les vieux dinosaures dans mon genre, mais son faciès méditerranéen pouvait encore assez bien correspondre à celui du suffète carthaginois. Quoique...

hannibal

Victor Mature incarne Hannibal
dans le film homonyme de C.L. Bragaglia (1960).

Mais Denzel Washington... le black qui jouait dans Glory ? J'avais beaucoup aimé ce film consacré à la constitution par les fédéraux d'un régiment noir, pendant la Guerre de Sécession. Toutefois, un acteur noir dans le rôle d'Hannibal ? J'hallucine... Pourquoi pas dans celui de De Gaulle ou de Poutine ? Ou Michel Blanc dans le rôle de Nelson Mandela ou de Martin Luther King ? Pourquoi se gêner, tant qu'à faire ? Ca me fait penser au gars qui croyait que Scipion l'Africain était un noir. A cause du surnom d'Africanus (qui en réalité veut dire «Vainqueur de l'Afrique»), et peut-être à cause du fameux buste en bronze qui - en photo - peut laisser penser qu'il avait la peau sombre...
Ceci confirme ce que je disais... Il y a bien confusion dans l'esprit des gens. Pourtant Hannibal n'était ni Numide ni Maure, mais Carthaginois, c'est-à-dire Phénicien, donc Sémite, peut-être mélangé de Berbère.

 
 
 
Lunis réagit :
 

Concernant Hannibal, oui il est sémite, cela est sûr. On ne sait pas trop s'il a aussi des origines berbères : les Carthaginois n'étaient pas très amis avec les tribus numides «massyles» (celles de Massinissa). D'ailleurs, la Troisième guerre punique, si je ne me trompe pas, a été causée par Massinissa, qui voulait récupérer des territoires colonisés par les descendants des Phéniciens.

Quand au choix de Vin Diesel, ayant vu l'acteur, je trouve qu'il correspondrait bien. Ce que je crains, maintenant, c'est le choix de l'acteur qui incarnera Massinissa dans le film (!).
C'est dingue quand même, c'est pas les moyens qui manquent à Hollywood !

 
 
RÉPONSE :
 

Si j'en crois L'Enéide de Virgile (je cite de mémoire), Didon épousa Iarbas, roi des Libyens. Il y a sûrement eu un mélange des Phéniciens avec les femmes du pays.

Oui, après son Hannibal (2001) - suite du Silence des Agneaux avec Anthony Hopkins dans le rôle d'Hannibal Lecter, un serial-killer anthropophage. «Hannibal le Cannibale». Ça sonnait bien - Ridley Scott, auréolé du succès de Gladiator, envisagea différents projets de péplums, dont un Hannibal historique, d'après le très controversé roman de Ross Leckie. Il s'agissait d'un projet Revolution Studios (groupe Sony) de 2002, qui si tout va bien sera mis en chantier en 2005. Mais en 2001, la 20th Century-Fox avait caressé le même projet, dont elle proposa le rôle-titre à Denzel Washington, lequel - sans complexe - avait accepté (avril 2001). Les commentaires des Internautes ne sont pas tristes (Allo Ciné etc.)... Reflet de notre belle démocratie multiculturelle [id. est «néga-culturelle»], les hilotes internautiques n'y voient franchement aucun inconvénient. Une betterave rouge dans le rôle de Staline ou un concombre masqué dans celui de W. Bush ne feront pour eux aucune différence, dans cette auberge espagnole où ils se sont attablés... les coudes plantés dans le potage. Chose - tout de même - profondément inconvenante. Convenez-en.

J'ai quand même du mal à croire que les Américains soient stupides à ce point de confier à un black le soin d'incarner un chef de guerre carthaginois... Même pour flatter les Afros. Mais, depuis Sartre, je sais que de bonne intentions l'Enfer est pavé !
Voici une quinzaine d'années, notre bonne ville de Bruxelles avait formé le projet de publier une Histoire de Bruxelles en BD, vue par des enfants, et destinée à un public scolaire. Un Wallon, un Flamand et un Beur en étaient les protagonistes. L'idée était pleine de bonnes intentions, chaque Communauté pouvant s'identifier à celui qui le représentait. Mais un Beur à Bruxelles au Moyen Age ou même seulement voici moins d'un siècle... ce n'est pas représentatif des faits...
Voilà l'histoire une fois de plus cautionnant la propagande [id. est «politiquement correct»] avec, pour une fois, les meilleures intentions du monde !

Cela dit... proteste-t-on quand Brad Pitt ou Kerwin Matthews incarnent Sindbad ? Ou quand James Mason et Flora Robson interprètent respectivement un général chinois et l'impératrice (Les 55 jours de Pékin) ? C'est la mondialisation, camarade ! Un peu comme dans ces dessins animés japonais où les personnages ont été étudiés pour être acceptés aussi bien par des Européens que des Asiatiques.
Je me rappelle un voyage en Tunisie, du temps de Bourguiba. Des journalistes tunisiens rencontrés, me disaient que Bourguiba se prenait pour Jugurtha. Pourquoi n'a-t-il jamais songé à faire un film tunisien sur Jugurtha. Peur d'être confondu avec Mussolini produisant Scipion l'Africain ? Au moins on aurait pu espérer un choix d'interprète correct.

A propos des souks arabes de Gladiator et de l'Afrique du Nord qui n'auraient pas changés depuis 2.000 ans... Eh bien non, il y a toujours eu des marchés, du commerce... Chez nous c'est pareil. Bien sûr, les Bruxellois de 2004 ne s'habillent plus comme en 1100... Mais de mon expérience du cinéma historique, je puis dire ceci : le cinéma est un subtil dosage de ce qui est déjà connu du public et de ce qui va le surprendre. Il faut des points de repères pour les spectateurs, avant de lui en mettre plein la vue. Donc les souks arabes, tout le monde les connaît, soit pour en avoir visité, soit pour en avoir vu dans d'autres films. Le Colisée, par contre, personne n'en avait jamais admiré une aussi belle reconstitution - en fait, elle doit tout au tableau de Gérôme, Pollice Verso, qui reste le point de départ du film de Ridley Scott. Et au miracle de l'infographie.

Bien sûr, cela ne fait pas l'affaire du puriste... Un peu comme de voir bafouée l'ancienne religion romaine par des inconséquents. Par exemple, lorsque les Vestales sont confondues avec les religieuses chrétiennes. Ainsi Sophia Loren, dans La chute de l'Empire romain, et Rita Gam, dans Hannibal (1960), qui, déçues en amour, envisagent de se retirer chez les Vestales. Impensable ! C'est une transposition arbitraire d'un cas de figure typique des mélodrames de la fin du XIXe s., où les femmes de la haute société européenne se retiraient du monde pour se mortifier, prier et ruminer leur chagrin.
A Rome, on entrait dans le collège des Vestales à l'âge de sept ans, il fallait être vierge et pure (ce qui est rarement le cas d'une amoureuse déçue, qui en outre a passé l'âge) et être choisie par le Flamine de Jupiter. Mais les scénaristes n'en ont cure : dans Le Forum en Folie (Richard Lester, 1966) elles procédaient même à des sacrifices humains... et dans le I Claudius (1937, inachevé [8]) de Joseph Von Sternberg elles étaient 50 au lieu de sept et se balladaient nues sous de légers voiles... ce qui choqua le costumier du film - qui connaissait son métier, mais qui n'était pas le patron !

J'ai pu apprécier cette problématique en écrivant, pour «Les Voyages d'Alix» de Jacques Martin une Marine Antique (Dargaud, 2 vols). Quand on avait trouvé des documents intéressants à mettre en image, tout l'environnement restait à sucer de son pouce par le dessinateur, obligé d'extrapoler le connu ou le plausible. Ce problème s'est reposé pour un roman que prépare : je dois inventer, en m'inspirant de Tacite... et de l'ethnologie, un droit coutumier germanique à opposer au droit romain. Je n'en garantis pas l'authenticité (on ne la connaît pas, de toute façon), seulement la vraisemblance...
Par ailleurs, il faut encore ménager les susceptibilités nationales. En Grèce - les J.O. de 2004 ! - on s'inquiète beaucoup des films tournés par les Américains, relatifs à l'Antiquité. Déjà dans les années '50, Helen of Troy de Robert Wise y avait fait scandale, car les Grecs étaient présentés comme des pirates (ah bon, ils ne l'étaient pas ? [9]). Des gens aussi éminents que l'archéologue Spyridon Marinatos, le fouilleur de Théra (Santorin), étaient montés au créneau. Quant à l'Alexandre le Grand de Baz Luhrmann, il s'y verra certainement interdit s'il met en évidence l'homosexualité du héros. Eh oui, entre la Grèce chrétienne orthodoxe et les faits historiques de la Grèce païenne il y a une grande différence de valeurs...
Toujours la loi de la vexation universelle... qui nous cueillera au fond de la salle obscure... sceptiques... ou enthousiastes !

 
 

 


 

NOTES :

(1) Il est Nord-Africain, selon le roman; celui-ci est signé Noel B. Gershon sur la page titre et Leslie Turner White sur la jaquette. N.B. Gershon est l'auteur de plusieurs autres romans historiques, dont quelques uns ont été traduits au Fleuve Noir. Ainsi : That Egyptian Woman (1956) [Cléopâtre VII]; La lyre d'or (The Golden Lyre), 1964 [Alexandre le Grand, Thaïs & Ptolémée Ier]; Le Troyen (The Trojan), 1965 [Guerre de Troie et Roi David]; L'espionne des Pharaons (The Hittites), 1968 [Ramsès II contre Muwatallis, en 1325]. - Retour texte

(2) Généralement identifiée avec Tartessos, près de Cadix, de l'autre côté du Détroit. Les Juifs espagnols aimaient à y faire remonter leur présence dans la péninsule ibérique (cf. Lion FEUCHTWANGER, La Juive de Tolède). - Retour texte

(3) Dispersées après la chute de Samarie, prise par Salmanassar d'Assyrie en -722. - Retour texte

(4) Le Maghreb est partiellement sémite du fait de l'apport Phénicien-Cananéen, mais ceux-ci ne bâtirent jamais de ziggourats qui sont particuliers à la Mésopotamie. - Retour texte

(5) Publiée en France dans l'illustré communiste Pif, de 1976 à 1982. - Retour texte

(6) La BD de Vernal (sous le pseudo de Laymillie) fut d'abord dessinée par Hermann (1967) : les deux premiers albums, les meilleurs, les seuls réellement historiques. La suite, dessinée par Franz, relève de la plus haute fantaisie.
A l'époque, les plaies de la guerre d'Algérie n'étaient pas encore cicatrisées, et Vernal s'inscrivait en faux contre notre unique source littéraire, La guerre de Jugurtha de Salluste, pour qui le prince numide n'était qu'un brigand. Vernal-Laymillie fut sévèrement critiqué par des lecteurs de Tintin... et de Salluste ! Et la série en resta là. Elle sera rerise par les crayons de Franz neuf ans plus tard (Tintin, mars 1976), après qu'une réédition des deux premiers albums chez R.T.P. (albums 1975), fut suivit d'un regain d'intérêt par Dargaud-Lombard (albums 1977 sqq.). - Retour texte

(7) En fait, il n'existe pas de «race» berbères, mais seulement des Berbérophones appartenant à différents types ethniques (N.d.M.E.). - Retour texte

(8)En 1976, la B.B.C. en a tiré un documentaire mêlant interviews et scènes filmées, The Epic that Never Was.
Ce documentaire a été repris dans le coffret DVD du feuilleton TV I Claudius, tourné quarante ans plus tard, édité par la télévision néerlandaise DFW en 2002 (Dutch FilmWorks, 2002). - Retour texte

(9) Cf. dans l'Odyssée, XIV, 204 sqq. le récit d'Ulysse qui en toute impudeur se fait passer pour le pirate «Castor le Crétois», profession parfaitement honorable... à l'époque ! - Retour texte