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JANVIER 2008

 

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COURRIER DE JANVIER 2008

 
2 janvier 2008
OÙ L'ON REPARLE DE MARCUS DIDIUS FALCO, DÉTECTIVE PRIVÉ...
Bruno Peeters a écrit :

Je te signale la parution de :

Eclats du Noir, Généricité et hybridation dans la littérature et le cinéma du monde anglophone (textes rassemblés par Max DUPERRAY, Gilles MENEGALDO et Dominique SIPIÈRE), Publications de l'Université de Provence, coll. «Regards sur le Fantastique», Aix-en-Provence, 2007 [cv. : dessin de Max Duperray], 354 p.

Dans son article, Isabelle Roblin nous y fait découvrir le détective M. Didius Falco, privé romain. Le connais-tu ?

 
 
RÉPONSE :
Bien sûr, je connais le détective romain imaginé par Lindsay Davis. Pas vraiment terrible, car on le trouve plus occupé à résoudre ses problèmes de cœur et à se demander comment il va payer son loyer... qu'à résoudre son enquête. C'est du moins ce que j'ai retenu des deux premiers romans de sa saga; je verrai les autres plus tard. Il y a de discrets anachronismes, des détails comme ça qui ne me plaisent pas trop («il gratta une allumette»), mais le style, la mise en scène des personnages est de l'authentique série noire... en péplum. A ma connaissance, on n'a pas encore consacré de film cinématographique ni de téléfilm à ce personnage, ou ai-je raté un épisode ? Sur le site de l'auteur, je vois qu'il y a eu divers projets d'adaptation TV, notamment par la BBC, d'un épisode intitulé «The Age of Treason», ou de l'achat des droits par Columbia TV pour The Silver Pigs. Mais tout ceci me paraît être resté à l'état de projet.
 
 
 
3 janvier 2008
CHRONIQUE D'UNE CATASTROPHE ANNONCÉE... ET ESPÉRÉE PAR LES CHRÉTIENS :
ATTILA, LE FLÉAU DE DIEU !
Hervé Dumont a écrit :
Je reviens sur un précédent courrier. L'Occidental, il est vrai, a acquis une curieuse mentalité à force de toujours exclure au lieu d'inclure... C'est une chose qui me frappe régulièrement quand je voyage en Asie ou en Inde. Et ces braves Romains ne pouvaient que secouer la tête.
Je me suis repenché récemment sur Attila (un de mes sujets favoris) et ai revu Le signe du païen (avec la séquence de danse de Ludmilla, excisée de la majorité des copies), dont la dernière partie, historiquement fantaisiste, est clairement inspirée par le libretto de l'opéra de Verdi. Je me demande d'ailleurs si certains alliés d'Attila n'étaient pas aussi chrétiens; les Wisigoths étaient bien arianistes, si je ne m'abuse, donc la chose ne me semble pas totalement abstruse. Sais-tu quelque chose à ce sujet?
 
 
RÉPONSE :

Je te confirme, en ce qui concerne les Wisigoths, qu'à l'époque d'Attila, la majorité d'entre eux étaient des chrétiens ariens.

La chronologie précise de la conversion des Goths paraît assez controversée - note mon complice Lucien J. Heldé, du site associé des Empereurs romains - mais il semble qu'une partie notable d'entre eux étaient déjà convertis au christianisme arien, sous l'action du missionnaire Ulfila (311-383), lors de la victoire leur victoire sur l'empereur Valens à Andrinople, en 378. D'ailleurs, le chef goth Fritigern, le vainqueur d'Andrinople, s'était rallié - plus par pragmatisme que par conviction, semble-t-il - à la cause chrétienne, tandis que son rival, le chef Athanaric, été resté partisan de la religion traditionnelle de leur peuple. Quoi qu'il en soit, d'après la monumentale Histoire du Christianisme des éditions Desclée, dont je tire ces renseignements, l'homogénéité religieuse des Goths n'exista pas réellement avant leur conversion définitive au catholicisme romain (dans le courant du VIe s., je crois) : une majorité d'ariens côtoyèrent longtemps une minorité de catholiques... et sans doute aussi un certain nombre de païens récalcitrants et opiniâtres. Plus amusant, en 417, l'historien chrétien Orose affirmait (sans rire) que si les Barbares avaient été lancés sur les territoires de l'empire romains, il fallait en louer la miséricorde divine, car ils remplissaient les églises ! Et de citer les Huns (et aussi les Suèves et les Vandales) parmi les peuples de «croyants». Mais, comme commente l'auteur de l'article de cette Histoire du Christianisme auquel je me réfère encore, «ce passage est peu fiable». De fait, à l'époque d'Attila, soit près de deux générations après l'époque d'Orose, l'immense majorité des compagnons du «Fléau de Dieu» étaient encore, incontestablement, des païens bon teint.

Connais-tu le sens exact de l'épithète accolé au nom d'Attila, «Le Fléau de Dieu» ?... Ca veut dire quoi, d'après toi ? Qu'il était une malédiction pour les Chrétiens de l'Empire romain ? Que nenni. Pour les ploucs «romains» dont les Huns ravageaient les terres, mais qui n'étaient pas trop heureux sous la férule des grands propriétaires de l'Establishment romain, Attila était le Marteau de Dieu, l'instrument de sa juste vengeance, de la punition d'un empire injuste et perverti.
A cette époque, en Gaule, toutes sortes de mécontents prirent le maquis. Les bagaudes. L'Empire les réprimera.

Attila avait eu pour compagnon d'enfance le Pannonien Ætius, alors otage à la cour de son père, le roi des Huns Mundzuk. Plus tard, Ætius - qui avait fait carrière - écrasera Attila aux Champs Catalauniques, en 451, mais assez curieusement le laissera retraiter tranquillement... on a supposé qu'il préférait conserver dans sa manche la «carte Attila» pour se garantir de son patron, l'empereur Valentinien III. Une nullité qui, d'ailleurs, finira par le faire assassiner.
Ce qui est assez gag, c'est de se dire que, dans un premier temps, Attila - devenu roi - fournit à son ami Ætius des mercenaires huns pour combattre les Francs; puis dans un second temps, le Maître de la Milice Ætius s'alliera aux Francs et aux Wisigoths pour repousser les Huns d'Attila.
Attila avait fédéré quantité de peuples barbares, dont des peuples germaniques. Il y avait donc des Goths dans son armée (encore que les Goths «germaniques», hum... Les «Goths» étaient, en fait, un conglomérat de Germains, Slaves et Iraniens [Scythes]). Les Ostrogoths, avec leurs cousins les Gépides, constituaient l'élite de l'infanterie hunnique. Ulfila, un habitant de l'Asie Mineure enlevé par les pirates goths et réduit en esclavage, les convertit au christianisme que lui-même confessait, c'est-à-dire à l'arianisme, l'hérésie d'Arius, l'évêque d'Alexandrie.

Il n'y a rien de pire que la guerre civile, si ce n'est la guerre religieuse ! On peut respecter un ennemi étranger; mais on exècre viscéralement un compatriote traître ou hérétique ! Songe que du point de vue catholique-orthodoxe, l'arianisme était pire encore que, par exemple, le monophysisme, autre hérésie qui survit encore en Orient. Pour l'église catholique, le Christ est Homme et Dieu à la fois (consubstantiabilité). Il est important qu'il le soit, car il est censé avoir souffert pour racheter nos péchés. Mais les monophysites professaient que Jésus-Christ était seulement Dieu, et glorieux; donc ne pouvait avoir connu cette fin misérable que nous savons.
Les ariens, eux, croyaient - un peu comme les musulmans - que le Christ était seulement un homme, un prophète. Intolérable ! Alors donc, le Christ n'est pas Dieu ? Quand tu me dis qu'il y avait des chrétiens wisigoths (tu veux dire ostrogoths ?) je mets un bémol : les ariens sont les ennemis fanatiques des catholiques. Ainsi, par exemple, Clovis. Le roi franc païen. Il a été plus facile au clergé catholique gallo-romain de s'entendre ce roi des Francs, ce païen fils de Wotan - donc homme sans préjugés -, qu'avec l'occupant arien, ses persécuteurs Burgondes-Ostrogoths-Wisigoths-Vandales. Ces Germains d'Orient, tous ariens.

Cerise sur le gâteau, l'empereur Constantin, païen convaincu mais passionné par les débats théologiques des chrétiens, eut à arbitrer le conflit opposant ariens et catholiques et pencha pour le parti alors le plus puissant, surtout en Orient : le parti arien ! Je ne sais si tu te souviens du curieux péplum de Margheriti Il crollo di Roma (CLICK) ? Faut le passer à la grille à décoder car, sous Valens, les persécuteurs des chrétiens [catholiques] ne sont pas des païens comme pourrait le supposer le spectateur non-averti, mais des ariens !

Quant à Attila, il n'était pas le Barbare qu'on pourrait imaginer à lire les Histoires Vraies de l'Oncle Paul. Il parlait le latin et le grec, ayant eu un précepteur romain. Et son secrétaire particulier était un Romain qui, n'ayant pas réussi à faire carrière à Rome, exporta ses talents sur les rives du Danube. A la mort d'Attila, il revint à Rome où il se mit au service de l'empereur Julius Nepos. Il s'agit de cet Orestes, qui tentera de placer sur le trône impérial son fils Romulus Augustule. Le dernier «empereur» romain (cf. La dernière légion CLICK, CLICK, CLICK, & CLICK) (The Last Legion - The Enchanted Sword, Doug Lefler, 2007).

 
 
 
RÉPONSE D'HERVÉ

Je me souviens fort bien de ton enquête aussi salutaire que pertinente au sujet de Crollo di Roma. Cela dit, l'arianisme a eu des prolongements forts intéressants dans la gnostique chrétienne, notamment au sein de l'orthodoxie russe et grecque (sans parler des Coptes), et je me refuse de considérer les catholiques romains comme les seuls chrétiens...

Quant aux musulmans, s'ils ne considèrent pas le Christ à proprement parler comme «divinité», ils le voient toutefois comme «saint des saints» c'est-à-dire ayant, selon les écoles soufies (Roumi, Ibn Arabi etc.), transcendé la condition humaine (résurrection): selon le Coran, c'est le Christ qui reviendrait à la «fin des temps» pour instaurer le règne paradisiaque.
Ce n'est donc pas tout à fait un simple humain non plus, raison pour laquelle les musulmans ne peuvent en accepter la mort sur la croix. Le terme de «prophète» est relatif en Islam (on distingue les prophètes, les envoyés, les avertisseurs etc., très compliqué) et sert en priorité à souligner l'incomparabilité essentielle de toute créature - fut-elle une émanation «divine» - avec sa source, c'est-à-dire Dieu lui-même. Ah, la métaphysique, que de crimes n'a-t-on pas commis en ton nom !

Tout à fait d'accord avec toi en ce qui concerne Attila, qui était tout sauf un simple barbare ! Je pense aussi que le terme «Fléau de Dieu» était compris dans le sens d'une punition divine pour la dérive des institutions chrétiennes entre Rome et Ravenne.

 
 
 
6 janvier 2008
UNE ÉTUDE SUR AGRIPPINE À L'ÉCRAN
Giuseppe Pucci a écrit :

Je vous envoie un tiré-à-part électronique d'un article qui vient de paraître sur Agrippine.

  • Giuseppe PUCCI (Université de Sienne), «Agrippina sullo schermo», in M. MOLTESEN & A.M. NIELSEN (curr.), Agrippina Minor. Life and Afterlife - Liv og eftermaele, Meddelelser fra Ny Carlsberg Glyptotek, n.s. 9, Copenhague, 2007, pp. 161-169.
 
 
RÉPONSE :
Les visiteurs intéressés par ce texte peuvent toujours nous en adresser la demande.
 
 
 
7 janvier 2008
A VOS LISTES DE RECHERCHE, AMIS COLLECTIONNEURS
Larry Newmann & Milton T. Moore ont écrit :

Amis collectionneurs, voici deux bonnes adresses. Larry Newmann est un généraliste qui propose du matériel de cinéma varié. Milton T. Moore, lui, est le spécialiste de Steve Reeves, à qui il a du reste consacré un fanbook. Réclamez leur leur catalogue de ventes.

Larry Newmann
909 Clinton St.,
PHILADELPHIA PA 19107
USA
Tél. (215) 923-4583
larrynewman49@aol.com

Milton T. Moore, jr
1725 South Rainbow
Suite 1, Box 169
LAS VEGAS, Nevada
USA
89146-2969
www.miltontmoorejr.com

 
 
 
10 janvier 2008
DE LA MANIÈRE SPÉCIFIQUE AU PÉPLUM DE CAMPER LES HÉROS ANTIQUES...
Maxime a écrit :
Nous venons de recentrer notre dossier sur les principaux personnages, et personnellement je m'occupe de la différence d'Achille dans les trois œuvres. Pourriez vous m'aider sur ce sujet ?
 
 
RÉPONSE :

Pour Giraudoux, je dois vous prévenir qu'Achille ne figure pas au casting de La guerre de Troie n'aura pas lieu. Il s'agit de l'histoire d'une ambassade grecque à Troie (Ulysse et Oiax [ce dernier imaginaire]) et d'une déclaration de guerre.

Oiax-Ajax
Le nom de l'ambassadeur belliciste Oiax chez Giraudoux fait, bien évidemment, songer à Ajax (gr. Aias) de l'Iliade. Mais nos sources grecques ne citent jamais Ajax aux côtés d'Ulysse, lors de son ambassade à Troie. Outre Ulysse, cette ambassade grecque comptait Ménélas et Palamède, et fut logée, à Troie, chez le pacifiste Anténor.
En fait, dans le poème d'Homère il y a deux Ajax. Le Petit et le Grand. Ce sont ces deux Ajax qui, Achille boudant, rameutèrent les Grecs et empêchèrent Hector d'incendier les navires Grecs (Il., XV, 415 et seq.).

Le Petit Ajax est fils d'Oïlée et vient d'Opunte, en Locride. Troie conquise, il avait arraché Cassandre au temple d'Athéna, où elle s'était réfugiée. Aussi vit-il sa flotte dispersée par une tempête, punition de son sacrilège. Réfugié sur un îlot rocheux, il osa encore défier les dieux, qui cette fois le foudroyèrent (VIRG., En., I, 41). Il semble avoir été associé à un serpent, et serait un héros oraculaire... J'aime son côté impie, qui lui a valu d'être réduit en poudre par la divine foudre de Zeus. Mais chez les Grecs, avoir été foudroyé par les dieux n'a rien de négatif. Au contraire, celui qui l'a été procède quelque part d'une portion de la divinité. Voyez du reste ce que dit Pausanias de l'arrogant Capanée (ou Capaneus), foudroyé en franchissant les murs de Thèbes, et inhumé à part de ses camarades, les sept capitaines d'Argos (les «Sept contre Thèbes»)...
A la course, le Petit Ajax était plus rapide qu'Achille... Hé Hé, vous connaissez le sophisme d'Achille-aux-pieds-légers et de la tortue ? Il a dû inspirer ce bon Monsieur de La Fontaine !

Mais ma préférence va à l'autre Ajax, le «Grand Ajax», le héros au bouclier-haut-comme-une-tour, qui est le cousin d'Achille. D'après cet armement qui lui est spécifique, il appert qu'Ajax serait un héros très ancien porteur d'un de ces grands boucliers bilobés typiques de la civilisation minoenne.
Cet Ajax-ci vient de Salamine, l'île en face d'Athènes où en 480 Thémistocle écrasa la flotte perse. Ajax de Salamine est fils de Télamon, le frère de Pélée. Pélée et Télamon étaient tous deux fils d'Eaque, un des trois juges aux Enfers. Pélée avait reçu des dieux une colonie de fourmis, qui se métamorphosèrent en hommes, sur lesquels il régna. C'étaient les Myrmidons (de Murmex, «fourmis»). Les Myrmidons qu'Achille conduisit sous les murs de Troie sont donc les descendants de ces fourmis.
Télamon, frère de Pélée, est le père d'Ajax. Ajax était le plus fort des Grecs après Achille - tout comme Nireus était le plus beau des Grecs, toujours après Achille s'entend ! Selon une tradition qui n'est pas dans l'Iliade - et pour cause ! - c'est Ajax qui ramena sur ses épaules la dépouille d'Achille tué, que les héros achéens avaient âprement disputée aux Troyens. Lorsque les Achéens se partagèrent les biens d'Achille, Ajax espérait recevoir les armes de son cousin, qu'il avait personnellement arrachées aux Troyens. Mais les armes d'Achille furent attribuées à l'intrigant Ulysse; aussi Ajax sombra-t-il dans la folie (cf. la tragédie de Sophocle : Ajax furieux). Croyant massacrer les chefs grecs qui lui avaient refusé les armes, il extermina le bétail de l'armée (à l'intervention des dieux, bien entendu). Revenu à la raison le lendemain, il se suicida pris de honte. Selon mes critères personnels, j'ai plus d'affection pour Ajax qui s'était dévoué à servir la cause grecque, mais sans être remercié en retour, que pour Achille qui la trahit froidement. Mais ceci n'engage que moi, bien sûr ! C'est ce Grand Ajax, assez bien restitué dans le film de Petersen, que l'on voit mourir avant son heure dans une bataille sous les murs de Troie.

ajax - tyler tane - troy

L'ancien catcheur Tyler Mane incarne Ajax-au-bouclier-haut-comme-une-tour dans Troie de W. Petersen

Dans l'Iliade, le Grand Ajax a pour mère Periboea; mais il combat souvent avec son demi-frère Teucros. Batard, ce dernier avait pour mère une concubine troyenne de Télamon, Hésione. Fille du roi Laomédon et soeur de Priam, c'est elle qui avait été offerte à la fureur d'un serpent marin. Hercule lui avait sauvé la vie en tuant le monstre, mais ensuite - avec l'aide de Télamon - avait pris d'assaut la ville à cause du parjure de son père.
Teucros, l'archer, se réfugie derrière le grand bouclier de son frère Ajax. Après la guerre de Troie, il fondera une colonie à Chypre, Salamis. Les historiens modernes assimilent souvent ses descendants, les Teucriens de Chypre, aux pirates Tjekers ou Tjekerou, un des «Peuples de la Mer» qui tentèrent d'envahir l'Egypte au XIIe s. av. n.E. et qui s'établirent sur le mont Carmel en Palestine.

ajax et achille suicide d'ajax

Ajax ramène sur son dos la dépouille d'Achille, tué par Pâris. Les armes de son cousin lui ayant été refusées, ivre de vengeance il croit massacrer les chefs des Achéens, mais frappé de folie il ne massacre que le bétail de l'armée. Revenu à la raison, de honte, il se suicide.

Achille : de l'Iliade à Petersen
Voilà pour d'Oiax (Ajax ?) de Giraudoux. Mais revenons à son cousin Achille. J'aimerais rappeler que rien n'obligeait Achille à venir combattre contre Troie. Selon le mythe grec, il avait eu à choisir entre une vie obscure mais longue et une vie brève, mais glorieuse. C'est pour cette raison que sa mère, la déesse marine Thétis l'avait, enfant, plongé dans l'eau du Styx, ce qui le rendit invulnérable - histoire sans doute qu'ainsi prémuni, son existence ne soit pas trop brève... Le film de Petersen montre sa mère, Thétis, lui rappelant que sa vie serait courte s'il accompagnait l'armée grecque devant Troie.
Mais ce que le film ne dit pas - parce que cela aurait été allonger la sauce, et aurait contredit la bataille qui ouvre le film, selon laquelle Achille avait déjà combattu pour Agamemnon (invention du scénariste) -, c'est que Thétis avait caché Achille parmi les filles du roi de Scyros, Lycomède, dans leur gynécée. Ayant eu vent de la chose, Ulysse vint à Scyros déguisé en marchand ambulant. Dans sa corbeille, il apportait des étoffes, des bijoux, mais tout en dessous il avait dissimulé des armes de guerrier. Achille les découvrit au fond de la corbeille et s'en empara, ravi d'aller à la guerre. Les mythologues admettent généralement que cet épisode reflète un mythe de passage. Passage de l'état d'enfant à celui d'adulte. Les enfants vivent avec les femmes; imberbes, ils leur ressemblent. Mais quand leur pousse la première barbe, ils reçoivent leurs armes et sont inscrits parmi les citoyens, les mâles adultes combattants, selon leur classe d'âge (les éphèbes à Athènes, les irènes à Sparte).
Dans le film, Ulysse vient tout simplement à Phthie, le royaume d'Achille, et lui parle de la guerre qui se prépare.

La différence fondamentale entre l'Achille de l'Iliade et celui de Petersen est que, chez Petersen, Achille méprise Agamemnon dès le départ, et le spectateur ne sait même pas d'où sa haine trouve sa source. Achille vit pour la gloire immortelle, Agamemnon pour sa soif de pouvoir. C'est tout.

Dans l'Iliade, Achille ne devient l'ennemi d'Agamemnon que parce que celui-ci l'a humilié en lui confisquant sa captive Briséis. Il serait intéressant de vérifier si Achille éprouvait - dans le poème d'Homère - le moindre sentiment amoureux vis-à-vis de celle-ci, ce qui est le cas dans le film. Mais je ne vais pas vous souffler toutes les réponses, n'est-ce pas ?

Un peu de syntaxe scénaristique
Pourquoi Achille est-il opposé à Agamemnon dès le début du film, et bien avant qu'on lui prenne Briséis ? Voici mon explication. Cette façon de voir est particulière aux clichés que véhicule le cinéma populaire, et le cinéma historico-mythologique en particulier. Les qualités et défauts des héros cinématographiques sont toujours lourdement appuyés.

Ainsi dans Les Horaces et les Curiaces : dans la tragédie classique (Pierre Corneille p. ex.) Horace est connu pour sa «lâcheté» car il a fui devant les trois frères Curiaces blessés (mais ses deux frères étant tués, il se retrouvait seul contre trois !). En réalité, il n'était pas lâche, mais avait adopté cette stratégie pour séparer les trois Curiaces et ainsi, se retournant, les tuer les uns après les autres. Eh bien ! Ce péplum, avant d'en arriver à ce fameux duel sur lequel le film du reste s'achève, s'ouvre sur Horace commandant l'armée romaine dans une bataille rangée contre les Albains, dont sont les Curiaces. Blessé au cours de cette bataille, il est séparé de ses troupes et passe à Rome pour déserteur. Lorsqu'après bien des péripéties il réintègre sa patrie, il y est considéré comme lâche.

Dans Le Colosse de Rome, c'est l'inverse au niveau de l'économie du récit, mais l'idée reste la même. Ici, c'est dès le début du film que Mucius Scævola s'inflige la mutilation qualifiante qui va le faire passer à la postérité : ayant raté sa cible, il se punit en plongeant dans les braises la main coupable. Privé de sa main droite, Scævola (le «Gaucher»), va - dans le film, seulement dans le film ! - s'exercer pour devenir aussi redoutable combattant qu'avant, mais avec la main gauche. Bref, la spécificité du héros est indiquée dès le début, comme s'il était un bloc monolithique incapable d'évoluer par lui-même : Achille, Horace, Mucius Scævola sont des icônes respectivement de la bravoure, de la lâcheté ou de l'abnégation. Reste au scénariste de montrer Achille évoluant vers la générosité, Horace vers sa réhabilitation, Mucius sa revalidation.

Vous savez, les règles qui président à la relecture cinématographiques de mythes bien établis sont assez perverses. J'aime bien citer l'exemple de Dracula. Tous les dix-vingt ans, un cinéaste reprend à la base le roman de Bram Stoker. Ensuite, toute une série de ses confrères déclinent tous les paradigmes possibles ou imaginables du mythe des vampires, entraînent ceux-ci dans les situations les plus inextricables pour essayer de faire du neuf avec l'ancien. Jusqu'à ce qu'un autre puriste vienne remettre le compteur à zéro (Terence Fisher, Jesus Franco, John Badham, Francis Ford Coppola). Ensuite, l'on recommence. Remettre au goût du jour, faire du neuf avec de l'ancien, c'est un peu ça le spoiling. En parlant de vampires, je viens de voir - hier soir - le remake de Je suis une légende : difficile de ne pas se demander où le réalisateur - pour nous surprendre - va chercher à innover par rapport à la précédente version avec Charlton Heston (Le survivant), film-culte pour moi, et donc aussi avec le roman de Richard Matheson ! Les péplums, donc, systématiquement prennent le contre-pied des textes. En apparence, on raconte la même histoire que celle classiquement connue, mais on la remanie au goût du jour. Les Grecs héroïques contre les Troyens suborneurs de femmes (l'Iliade), deviennent ainsi des pirates grecs agressant les pacifiques Troyens, présentés comme victimes, gentils adeptes du make love, don't war - pour reprendre une précédente argumentation développée dans ce courrier. Le jeune et impétueux Pâris ne fait-il pas un amant sublime, qui de loin éclipse le rassis Ménélas ?

Dans Les Travaux d'Hercule, au cours du premier tiers du film, Steve Reeves-Hercule renonce à son immortalité de fils de Zeus, pour vouloir devenir un humain, mortel parmi les mortels, et connaître leurs sentiments. Les affres et tourments que ceux-ci connaissent lui paraissent enviables. Ah ! éprouver un amour sincère pour une femme (Iole). Un fantasme de midinette !, mais n'est-ce pas justement ce public populaire qui est ciblé par ce type de film ?
Toutefois, dans le mythe, Hercule n'est qu'un demi-dieu; et son immortalité, il ne l'obtiendra qu'au moment de sa mort, lorsque torturé par le venin de l'Hydre de Lerne - qui imprégnait la tunique de Nessos et maintenant lui brûle la chair - il édifie son propre bûcher et s'y fait brûler. C'est alors, et alors seulement, qu'Athéna l'enlève sur son char et l'emmène dans l'Olympe (apothéose), où il prend place parmi les dieux. A cet égard, le dessin animé de Walt Disney est assez savoureux au niveau des précautions prises avec le mythe (par exemple, les nombreux adultères de Zeus sont gommés, Héraclès-Hercule y devient le fils de Zeus et d'Héra, Alcmène n'étant plus que sa nounou) et le scénario est trafiqué à mort pour adhérer aux codes moraux américains. Dans La vengeance d'Hercule, Hercule-Mark Forest, bien loin de se soumettre à l'inique jalousie des dieux se révolte contre eux dans le premier tiers du film également. Il renie son père Zeus et déclare la guerre à ce dieu «stupide et cruel». Mais dans les mythes, Hercule ne s'est jamais révolté contre son père Zeus/Amphitryon. Il accepte de se soumettre à son triste cousin Eurysthée (soumission qu'il rejette catégoriquement dans le film de Cottafavi, qui d'ailleurs confond Eurysthée et Eurytos). Et plus tard il aidera les Dieux dans leur lutte contre les Géants (contre les Titans, dans le film Disney qui confond un peu, mais soit... Titans, Gigans [Géants], bof !). Les Travaux d'Hercule et La vengeance d'Hercule sont deux beaux exemples de la manie des scénaristes de vouloir atteler la charrue avant les bœufs, de mettre au début du film ce qui ne doit arriver qu'à la fin. Une forme de flash-back assez perverse, car à bien y réfléchir, ça n'en est pas vraiment... Et sentez-vous, comme moi, l'odeur de l'eau bénite et du goupillon qui sont passés par là ?

 
 
 
11 janvier 2007
ROME (HBO) TOUJOURS...
Bertrand a écrit :

Etudiant à Saint-Etienne en Master I d'Histoire, j'étudie la Série Rome, travail qui peut être posé dans une étude sur l'évolution de la vision de la Rome antique au cinéma et à la télévision. L'étude de la série me surprend dans le sens où je pense qu'elle constitue une coupure dans la vision de Rome par la télévision. Il y a de nombreux points positifs, plus je lis les sources ou les biographies, plus je m'aperçois que la majorité des personnages collent à la psychologie des personnages de la série. Il y a cependant quelques défauts dont le plus important, est la présence d'un sénat circulaire sur le forum à la fin de la République alors que la curie est rectangulaire et que le Sénat avait été brûlé lors des perturbations politiques de Clodius et que le sénat tenait ses séances à la curie de Pompée, me semble-t-il.
J'aurai aimé savoir si vous connaissiez un moyen de contacter par mail ou par adresse postale Jonathan Stamp à tout hasard, ou au pire quelqu'un de chez HBO qui aurait un lien avec la série...

De plus, je voulais connaître votre opinion sur l'article de Florence Dupont dans Le Monde Diplomatique. Serait-elle un peu trop rigoriste ?
Enfin, parcourant votre site, j'ai lu une remarque concernant Cicéron. Je le trouve étrange dans cette série, à la fois lâche et mesquin (les mimiques de l'acteur montre quelqu'un qui est peu sûr de soi). Il me semble que la série ne montre pas le vrai Cicéron qui a fait ses choix politiques en fonction de stratégies clientélistes.
Je voulais aussi vous féliciter pour votre site qui m'aide beaucoup en me donnant des pistes de recherches.

 
 
RÉPONSE :

Merci pour votre appréciation et de mon travail et de la série Rome ! Quoique très amateur de péplums (ils m'ont donné le goût de l'Histoire), je dois parfois me forcer pour en dire du bien. Aussi ai-je été moi-même très surpris de constater que ce ne fut pas le cas avec la série HBO; j'ai rédigé ce copieux dossier avec le plus grand enthousiasme. Cette série est vraiment exceptionnelle. Elle a été conçue avec beaucoup de subtilité, tant dans les choix scénaristiques (parallèles de personnages de fiction et de personnages historiques) que dans le traitement sociologique (relations maîtres-esclaves, importance de la religion romaine, sexualité). Bien sûr, il y a eu tout un retraitement des personnages (Cléopâtre junkie !), des simplifications, un casting ramené à l'essentiel. Mais j'ai déjà expliqué tout ça dans mon dossier en ligne. La psychologie des personnages fictifs ou historiques est bien respectée, encore que chaque historien aura sa vision personnelle (et puis il y a les nécessités scénaristiques : Atia et Servilia ne devaient pas avoir grand chose en commun avec leurs doubles télévisuels; Octavia non plus). Pour s'en tenir au domaine romanesque, j'ai plus de sympathie pour le Jules César de Colleen McCullough que celui de Max Gallo !, mais celui incarné par Ciaran Hinds me paraît très crédible. Octave et Marc Antoine sont deux réussites : Octave, intelligent et calculateur, mais aussi venimeux qu'un serpent à sonnettes. Antoine, courageux et bambocheur, mais grand seigneur toujours !

Le décor du Sénat peut être discuté. En effet, la Curie de 80 - rebâtie par Sylla (Curia Hostila) -, incendiée en 52 lors des funérailles de Clodius, était toujours en cours de reconstruction en 44. César fut assassiné sous le portique de Pompée où le Sénat se réunissait cette fois-là; il lui arrivait aussi de se réunir dans divers autres temples. Ce n'est qu'en 29 av. n.E. qu'Auguste put dédier la nouvelle Curia Julia, dont on a en 1900 retrouvé les restes sous l'actuelle Curie de Dioclétien (entre-temps devenue Eglise Saint Hadrien). Vous avez raison, elle n'était pas ronde mais rectangulaire, comme sans doute aussi les divers temples qui accueillirent provisoirement les réunions des Pères conscrits pendant cette période. L'architecte de la série a sans doute jugé plus commode de lui donner l'aspect d'un amphi, d'un odéon.

En ce qui concerne Cicéron, je crains fort qu'il ne soit considéré comme un grand homme que par les seuls philologues, lesquels sans doute le jugent sur la base de la qualité de son œuvre littéraire et de son latin. Il force néanmoins notre sympathie car il est un des rares Romains de son temps à nous parler directement, à nous livrer ses pensées intimes du fait, notamment, de son abondante correspondance - qui nous est parvenue. (Tenir compte qu'elle a dû passer par le crible de la censure d'Octave, son éditeur, qui était aussi son ennemi.) Il passe également pour avoir été un proconsul intègre en Cilicie, mais son consulat s'était achevé sur le scandale d'une décision illégale, l'exécution de présumés complices de Catilina (décembre 63). La position de Cicéron à Rome ne dut pas être facile, étant à la fois conservateur et homme nouveau, ce qui le faisait mal voir de ses alliés politiques. Cicéron a plusieurs fois retourné sa toge ! Oh ! Il ne fut pas le seul ! Pompée aussi, syllanien, puis populiste, puis re-conservateur. Homme nouveau lui aussi, Pompée avait eu une carrière atypique de seigneur de la guerre. Il n'avait pas suivi le cursus honorum qui normalement mène au consulat. Mais il avait des troupes, ce qui le dispensait d'avoir à se justifier ! Cicéron n'avait que des discours. Et ce courrier de 800 lettres dans lesquelles, se confiant à nous, il exprime au jour le jour sa pensée, ses hésitations, ses doutes. De là à le voir velléitaire il n'y a qu'un pas, que nombre d'historiens ont franchi sans hésiter et bien avant Bruno Heller.

J'ai dit ce que je pensais de la réaction de Florence Dupont (Le Monde Diplomatique) dans un précédent courrier en ligne. Je me rappelle l'avoir rencontrée à un Festival péplum d'Arles où elle s'indignait de l'écart de langage d'un intervenant parlant, à propos de Quo Vadis, de Lygie «habillée en vestale» pour être livrée à la corne de l'aurochs. Et elle avait mille fois raison : jamais Romain n'aurait eu l'idée saugrenue de déguiser une chrétienne, une criminelle condamnée à mort en la drapant dans la robe d'une des prêtresses les plus sacrées. C'est le regard hostile ou condescendant des chrétiens qui font dire de telles absurdités. Florence Dupont est, en bonne historienne, très attachée à la lettre des textes. Mais comme je dis toujours : si le Lévitique interdit aux enfants d'Israël tout commerce zoophile, ou homosexuel, ou avec des personnes d'une autre religion, c'est - justement - parce que ces pratiques ont cours. On ne légifère que pour réprimer des attitudes existantes; il serait naïf de croire que les Hébreux s'abstenaient systématiquement de ce qui leur était interdit, simplement parce que c'était interdit. De même Xénophon, dans sa République des Lacédémoniens, s'ingéniait-il à exposer à ses lecteurs qu'au contraire du restant de la Grèce, à Sparte les amours masculines étaient chastes. Et de rajouter : «Je sais que vous ne me croirez pas !» Alors, les légionnaires romains se conduisaient-ils en gentlemen ou en soudards lorsqu'ils étaient en territoire ami ? J'avoue n'en rien savoir, mais je ne me fais aucune illusion sur les frasques d'une armée en campagne. Pour moi, la fameuse discipline romaine devait porter surtout sur les choses de la guerre et des camps.

Enfin, en ce qui concerne Jonathan Stamp, je n'ai été en contact avec aucun des concepteurs d'HBO, mais si vous allez sur leur site vous devriez pouvoir trouver un moyen de les contacter par e-mail, par exemple ICI.

A propos de Rome (HBO) sur ce site

 
 
 
17 janvier 2008
JULIEN L'APOSTAT ET LE TEMPLE DE JÉRUSALEM. ET LA POURPRE À UN PRIX COMPÉTITIF...
Joël Baron a écrit :
Je «travaille» actuellement sur le règne de l'empereur Julien dit l'Apostat (vers 365 ap. J.-C.).
J'aimerais savoir si un péplum a été consacré à l'histoire de cette passionnante période. Rappelons que Julien avait décidé de reconstruire le Temple de Jérusalem, au grand dam des évêques chrétiens, et des... rabbins juifs.
Joël BARON
Écrivain
(1) - Israël
 
 
RÉPONSE :

J'ai évoqué Julien en divers endroits de mon site (entrez Julien l'Apostat dans mon moteur de recherche, page d'accueil), mais voyez plus spécialement ici.

Deux films lui ont donc été consacrés, mais je n'ai vu aucun des deux, juste récupéré quelques documents (affiches etc.). Je crains que la question du temple de Jérusalem que Julien voulut reconstruire, davantage pour narguer les chrétiens que pour faire plaisir aux juifs (du reste largement dispersés d'Israël depuis la répression de la révolte de Bar-Kocheba, en 135, non ?), n'ait point figuré parmi les préoccupations de cinéastes italiens catholiques (2). C'est son retour au paganisme qui était considéré comme une abomination, surtout dans les délires de «saint» Grégoire de Naziance, le «père» de l'Eglise grecque.
Le film de 1945 met en parallèle fascisme et paganisme et les menaces du Feu de Dieu vengeur (la Bombe atomique), d'où le titre L'Apocalypse. Ah, que j'aimerais voir ces deux films, en particulier le second de 1945.
Autant que je sache, les Romains à ce moment (c'est-à-dire après avoir réprimé dans de sang les révoltes juives d'Alexandrie, Cyrénaïque, Chypre [3] et Jérusalem) interdisaient aux juifs de résider à Hiérosolyma, et peut-être bien dans toute la Palestine. Avez-vous une idée des circonstances et de la date où ils y revinrent ? Il y avait dans la Ville Sainte une importante communauté juive au temps des Croisades, lorsque mon compatriote Godefroid de Bouillon la conquit, en 1099.

 
 
 
JOËL BARON RÉÉCRIT :

Concernant la présence de Juifs à Jérusalem (ou Ælia Capitolina), ils étaient en effet interdits de séjour jusqu'à l'arrivée des Arabes en Palestine vers 635. Mais dans le reste de la Terre dite Sainte, ils n'ont jamais été totalement absents puisque des «yeshivot» (pluriel de «yeshiva», ou Ecole talmudique) ont existé sans interruption dès le lendemain de la destruction du Temple en 70, notamment à Yavneh et à Tibériade. Elles ont même survécu à la (stupide) révolte de Bar Kokhba en 135, violemment réprimée par Hadrien.

L'épisode du règne de Julien est, curieusement, très peu traité dans le Talmud; on sent qu'il est presque censuré. Une exception notoire : une discussion entre les rabbins concernant l'orthodoxie (ou non) de la re-construction du Temple alors que le Messie n'est pas encore arrivé sur son ânon blanc. De plus, Julien avait confié les travaux de déblaiement du Temple à des Gentils : des non-juifs ne pouvaient que «souiller» l'emplacement saint.
Vous connaissez la suite : une terrible explosion eut lieu au tout début des travaux de déblaiement, tuant une quinzaine d'ouvriers. Les évêques chrétiens se frottèrent les mains, en y voyant «le doigt de Dieu»; les rabbins y virent la punition des iconoclastes qui avaient osé enfreindre un tabou... Quant aux rationalistes, quelques siècles plus tard, ils ont trouvé une cause très simple à cette mystérieuse explosion : sous les ruines du Temple détruit 65 ans plus tôt, les corps en décomposition des soldats de Titus et des Sicaires juifs avaient dégagé un gaz (le méthane) hautement explosif.

Dans la littérature, les seules références à Julien qui me sont connues sont celle de Benoist-Mechin, et la pièce de théâtre d'Ibsen.
Les aventures du jeune et sémillant Julien lâchement tué par la flèche d'un de ses soldats (chrétien) pourraient faire un très beau péplum. (Mis à part le fait qu'il n'était pas si sémillant que cela : il semblerait qu'il ait été fort laid, gras, court sur pattes... Mais on peut «violer» l'Histoire pour en faire un séduisant Leonardo Di Caprio).

empereur julien

Monnaie à l'effigie de l'empereur Julien

 

 
 
RÉPONSE :

Julien le Grand est sans doute mon empereur romain préféré, probablement parce que, imbibé de mythologie grecque depuis la petite enfance, j'ai toujours été plus ou moins en rupture avec le christianisme. Avec l'âge, je me suis radouci, mais reste un athée convaincu, ou plutôt un agnostique. Je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas avoir plus systématiquement épluché son règne - faute, sans doute, d'avoir eu l'occasion de décortiquer un film à lui consacré. Pourtant, outre le Benoist-Méchin que vous citez, j'ai également lu :

  • Gore VIDAL, Julien (1962), Robert Laffont, 1964 (trad. de l'américain) - roman;
  • Claude FOUQUET, Julien, la mort du monde antique (introd. Pierre Grimal), Les Belles Lettres, coll. «Confluents», 1985 - biographie romancée;
  • Lucien JERPHAGNON, Julien dit L'Apostat, Seuil, 1986 - vulgarisation historique.

La seule photo que je possède de L'Apocalypse représente justement Julien blessé, agonisant entre les bras de ses fidèles. Je ne sais pas si Julien était laid, petit et gras. Je l'imagine beau comme... Hadrien ou Marc Aurèle, avec une barbe de græculus. Son oncle Constantin était plutôt costaud, non ? Comme soldat, il était assez brillant, je pense... Et comme il menait une vie ascétique et est mort relativement jeune (31 ans [4]), j'ai peine à croire qu'il ait pris de la bouteille et fut gros. Evidemment, si l'on prend pour argent comptant les diffamations de Grégoire de Naziance - «les yeux hagards, le regard d'un fou... Tics nerveux... L'esprit embrouillé, il pose des questions désordonnées... Environné de spectres...» - il devait également avoir le nez en trompette et des sabots fourchus !

En tout cas, je vous remercie pour vos précisions sur le retour des juifs à Jérusalem. Et plus encore votre référence au Talmud. Apparemment, donc, les Byzantins avaient continué d'observer l'interdit d'Hadrien ?

En quoi consiste votre travail sur Julien ? Curiosité personnelle, article, livre ?

 
 
 
JÖEL BARON RÉÉCRIT :

Nous avons en commun d'être des «athées convaincus mais radoucis» comme vous le dites si joliment. Depuis mon immigration en Israël, venant du Maroc, il y a 20 ans, j'ai appris à mieux connaître les ultra-religieux orthodoxes juifs. Ma conclusion provisoire ? Ils ont réussi à se créer une société «qui marche». J'ai développé mon point de vue dans un livre qui a été publié il y a deux ans (Le parapluie et le mendiant, chroniques israéliennes, Editions de l'Aube, 2005).

Mon «travail» concernant l'Empereur Julien se traîne paresseusement. De même la rédaction de mon prochain roman, une histoire qui se déroule dans le Maroc du XVIIIe s., avec des corsaires, des belles captives européennes, et dont le héros est un homme d'affaires juif-marocain frotté à la culture française des Encyclopédistes... Tout un programme !

Donc, Julien l'Apostat. Etant un ex-enseignant, j'anime bénévolement un groupe d'«écriture théâtrale» en hébreu. J'ai réussi à convaincre mes élèves de l'intérêt de l'histoire de Julien et nous avons commencé au début de cette année scolaire à jeter sur le papier la trame de notre intrigue, sans éviter le très grand potentiel émotionnel qui s'attache à cet essai de re-construire un Temple sans... Dieu (ou sans Messie, ce qui revient au même). C'est à cette occasion que j'ai réussi à obtenir des détails sur l'aspect physique de Julien. Les jeunes filles de mon groupe tenaient absolument à faire de lui un «beau gosse», ce qu'il n'était pas.

 
 
RÉPONSE :

Sur le site associé au mien des «Empereurs Romains», mon voltairien Webmaster et ami Lucien J. Heldé a posté un commentaire intéressant à propos de la reconstruction par Julien du Temple de Jérusalem.

Je n'ignore pas que dans les cimetières d'autrefois, le méthane issu de la décomposition des corps inhumés, produisait des feux follets. Mais je ne connaissais pas la théorie d'une poche de méthane constituée à la suite de la décomposition des corps de Romains et de Juifs tués lors du siège de Jérusalem en 70, explosant sous le Temple de Jérusalem trois siècles plus tard. Ca m'étonnerait tout de même que les Romains vainqueurs aient renoncé à donner une sépulture à leurs soldats. Les légionnaires cotisaient en vue de leur sépulture, et c'était un sous-officier d'élite - l'aquilifère, le porteur de l'aigle légionnaire -, qui en tenait la comptabilité. Vous avez trouvé ça où ? Pour ma part, dans mes sources, je ne trouve qu'un banal tremblement de terre plus crédible.

Je connais bien le bouquin de Le Leu (1909), que cite mon Webmaster, redoutable manuel d'endoctrinement catho à l'usage de nos chères petites têtes blondes ! Je ne m'étonne pas si Julien outre être un zélateur du paganisme diabolique, y est aussi un suppôt du judaïsme. Tant qu'à faire ! Il y a une terrible gravure le représentant entouré de spectres démoniaques, avec à l'arrière-plan une jeune vierge égorgée sur un de ses autels impies (5), sous une citation de «saint» Grégoire de Naziance : «Là, à la clarté funèbre d'une torche, on plongeait le couteau sacré dans le cœur d'un enfant, d'une jeune fille, d'un chrétien, on disséquait leurs membres palpitants pour évoquer les esprits dans la vapeur du sang, et recueillir des présages horribles» ! Ces accusations de sacrifices humains, de crimes rituels on se les a repassées au long de l'Antiquité et jusqu'à il n'y a pas si longtemps : les païens en ont accusé les Juifs (cf. Contre Apion) puis les chrétiens (l'eucharistie), ensuite les chrétiens en chargèrent les païens, les juifs...

julien l'apostat

«La peur glaça le cœur de Julianus qui, se rappelant la foi qu'il avait quittée, traça sur lui le signe victorieux de la croix», commente Le Leu, imaginant l'effroi de l'empereur apostat lorsque présidant à les sacrifices humains au pied d'une idole, il suscite des démons infernaux.
(L. LE LEU, Le Triomphe de la Croix (Les Fastes de l'Eglise), Casterman, 1912 - gravure signée «Mathy»)

Le brave Le Leu disait que Julien voulut restaurer le Temple de Jérusalem à la suggestion des rabbins, qui bien entendu avaient leur malveillante petite idée derrière la tête. Mais vous m'affirmez que le Talmud raconte exactement le contraire : que c'est bien malgré ceux-ci que Julien voulait faire reconstruire le Temple, par ses architectes et ouvriers païens (horreur) ! Voilà qui m'intéresse ! Avez-vous les coordonnées précises de ce passage du Talmud ? Du reste, en existe-t-il une traduction française : j'ai autrefois consulté en bibliothèque une traduction anglaise du Talmud de Babylone (6), à l'époque où je creusais la question du Moloch, autre diabolique fantasmagorie.

 
 
 
JOËL BARON AJOUTE
Dans votre (excellent) commentaire sur la série télévisée Rome, dans la partie consacrée au Triomphe de César, vous vous demandiez d'où pouvait provenir la peinture rouge dont l'Imperator se badigeonnait la face durant cette procession. Je crois pouvoir vous répondre.
Il existe au Maroc, en face de la ville d'Essaouira (anciennement nommée Mogador) deux petites îles appelées «les Iles Purpurines». Leur spécialité, durant toute l'Antiquité romaine (ces îles appartenaient à la Maurétanie Tingitane) fut de produire la pourpre qui teignait en rouge les toges romaines. Cette peinture était obtenue à partir d'algues spécifiques à cette région.
 
 
RÉPONSE :

En ce qui concerne la pourpre de seconde catégorie que vous me dites provenir d'une algue qui proliférait au large du Maroc, je vous signale que Frank G. Slaughter a développé un sujet assez semblable dans son roman Le Sang du Dragon : la fondation de Carthage par des colons tyriens, et une expédition vers les îles Canaries - au large de la Maurétanie, donc - à la recherche de la sève d'un arbre géant, le dragonnier, dont on tirait une sorte de pourpre.
Lors d'un séjour à Ténériffe, j'ai vu un de ces dragonniers, mais n'ai pas eu l'occasion de vérifier ce qu'il en était du colorant.

slaughter - sand du dragon

Une petite précision quant à la nuance exacte de la pourpre : rouge vif ou rouge bleutée ? Je lis dans H.E. Del Medico que, d'après certains textes trouvés à Ras Shamra (c'est-à-dire Ougarit, important site mycénien sur la côte de Syrie, face à Chypre), l'«on préparait déjà deux colorants à l'aide de la pourpre : l'un tirant sur le rouge, couleur de charbons ardents, et l'autre sur le bleu couleur lapis-lazuli» (H.E. DEL MEDICO, La Bible cananéenne. Découverte dans les textes de Ras Shamra, Payot, coll. «Bibliothèque Historique», 1950, p. 230).


NOTES :

(1) Joël BARON, Le parapluie et le mendiant, chroniques israéliennes, Editions de l'Aube, 2005, 176 p., ISBN : 2-7526-0122-0 (CLICK et CLICK) - Retour texte

(2) Cf. la manière confuse dont Antonio Margheriti dans Il Crollo di Roma / Les derniers jours d'un Empire (CLICK) a traité de la persécution des chrétiens catholiques «après la mort de Constantin...», en fait sous Valens, par les hérétiques ariens. Comme L'Apocalypse, Il Crollo di Roma s'achève sur un tremblement de terre et l'effondrement du Colisée. - Retour texte

(3) A Chypre, l'on promulgua une loi qui condamnait à mort tout juif qui désormais mettrait les pieds sur l'île, fut-ce suite à un naufrage. - Retour texte

(4) Flavius Claudius Julianus naquit en novembre ou décembre 331, et mourut dans la nuit du 26-27 juin 363. Il devint César d'Occident en 355, et Auguste en février 360. - Retour texte

(5) L. LE LEU, Triomphe de la Croix (Les fastes de l'Eglise), Tournai, Casterman, 1912 (rééd.), 176 p., gravure p. 161. - Retour texte

(6) The Babylonian Talmud, trad. Rabbi Dr. I. Epstein, Londres, The Soncino Press, 1ère éd. 1935. - Retour texte