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Vercingétorix
(Jacques Dorfmann, France-Canada 2000)
Versins, j'ai trop ri...
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Vercingétorix
(Jacques Dorfmann, France-Canada 2000) |
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Versins
(1),
j'ai trop ri...
Un jour d'août 46, des esclaves publics l'ont
étranglé dans son cachot de la Mamertine.
Le lendemain du triomphe ex Gallico de César.
Après deux mille ans d'oubli, il fut ressuscité
par Napoléon III. Ensuite la IIIe République
l'érigea en héros national.
Mais en 2001, Vercingétorix fut assassiné
une seconde fois. Par qui ? Par Jacques Dorfmann et Christophe
Lambert, accusent à peu près unanimement la
critique et, sur les forums, le public...
En ces temps d'Âge Sombre, nuançons un
lynchage médiatique qui frise l'hystérie.
Pas plus qu'un film avec Thierry Lhermite ne ressemblerait
à un autre avec Schwarzenegger - ce qui n'empêcha
point James Cameron de tourner le remake de La
Totale - Vercingétorix n'eut la prétention
d'être la réplique française à
Gladiator, au contraire de ce qu'a prétendu
la critique. Certes le visage hermétique de Christophe
Lambert ne risque guère de rester dans la mémoire
du grand public comme celui du protagoniste d'un impérissable
chef d'uvre. Cependant, à côté
de Deux heures moins le quart... (Yabonus Bananiam
et autres Plum Tefalum !) tourné voici
vingt ans déjà, le film de Dorfmann - qui
se meut sur un terrain instable au regard des aspirations
traditionnelles de la cinématographie hexagonale
- ne manquait pas d'ambition... |
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La décennie qui précéda
la mise en chantier du film de J. Dorfmann, pas moins de
quatre films consacrés à Jeanne
d'Arc avaient vu le jour. Au grand comme au petit écran,
sous les traits de Marthe Keller (Akio Jissoji, 1993), Sandrine
Bonnaire (Jacques Rivette, 1994), Milla Jovovich (Luc Besson,
1999) et LeeLee Sobieski (Christian Duguay, 1999 TV), la
Pucelle d'Orléans connaissait un petit succès
non démenti, alors que depuis les origines du Septième
Art le grand héros républicain n'avait jamais
eu droit qu'à des rôles de comparse dans d'irrévérencieuses
compositions transalpines. Dans les années '60, en
effet, quelques péplums
italiens traitèrent de la guerre des Gaules,
n'épaulant que fort mollement le personnage de César
pour désintégrer - quand ils ne l'ignoraient
pas carrément - celui du roi des Arvernes, ravalé
au rang de barbare sans épaisseur. Nostalgiques du
cinoche de leur enfance - qui les en blâmerait ? -
certains critiques français, euh... «post-macmahoniens»,
les ont opposés comme maîtres-étalons
au film de Dorfmann. C'étaient, certes, des films
fort sympathiques en tant que bandes d'aventures, mais dénuées
de soucis historique. Christophe Lambert a eu au moins le
mérite de donner une certaine consistance à
Vercingétorix, qui «se lève et sans
un seul regret, s'en va vers l'horizon».
Ressusciter à l'écran l'épopée
du cousin pauvre de Jeanne d'Arc s'imposait. Ce qui frappe
d'emblée, dans Vercingétorix, c'est
le mélange de l'adhésion aux codes visuels
du Second Empire et, paradoxalement, un certain souci de
respecter les acquis de l'archéologie. A l'imagerie
du Second Empire se rattachent ce roi arverne, mélange
de «gaulois» (les moustaches) et de mérovingien
(la longue chevelure au nud suève, les braies
serrées par des lanières, le hissage sur le
pavois), mais encore les casques cornus coiffant les chefs
gaulois et les légionnaires romains en droite ligne
issus de la Colonne trajane, cette superbe bande dessinée
gravée dans la pierre. De l'archéologie contemporaine
relèvent ces Gaulois qui n'habitent plus des huttes
de paille, mais de confortables maisons de pierre et de
bois, ni ne combattent nus, mais revêtus de solides
cottes de mailles. Avec parfois des incongruités
comme ces tartans écossais qui en rajoutent un peu,
tout en mettant Braveheart et Highlander en
filigrane. |
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I. Ami si tu tombes...
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Ami entends-tu le vol noir
des corbeaux
Dans la plaine ?
Ami entends-tu les cris sourds du pays
Qu'on enchaîne ? |
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Des Résistants entravés
que l'on amène dans un stand de tir. La mitrailleuse allemande
qu'on met en batterie. Les Partisans qui jaillissent des coulisses
et soustraient leurs victimes aux bourreaux nazis. Rafales de
PM. Des portes de «traction-avant» Citroën qui
claquent dans la nuit. Un moteur qui vrombit. Des phares qui percent
les ténèbres. La fuite. «C'est la nuit
qu'il est beau de croire à la lumière»,
écrivait Rostand. Notre mémoire s'estompe... Notre
pauvre monde a tant de malheurs connus.
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Ami si tu tombes, un ami
sort de l'ombre
À ta place... |
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Trente ans avant Vercingétorix, L'Armée des
Ombres (1969) produit par Jacques
Dorfmann (2)
et réalisé par Jean-Pierre Melville, annonçait
clairement la couleur, anticipant la pathétique épopée
du jeune chef des Arvernes. Du thème musical de L'Armée
des Ombres, Armand Jamot - dans les années soixante-dix
- fera le jingle de sa célèbre émission
«Les dossiers de l'Ecran».
Pourtant, la critique et les spectateurs unanimes conspueront
ce film fauché, avec ses dialogues niais («Gauloises,
Gaulois...»), et un Christophe Lambert en dessous de
tout «comme d'hab» ! Un retentissant flop commercial
et artistique.
Empreinte de la splendide mélancolie des paysages bulgares
filmés par Stephan Ivanov (en Bulgarie, l'horizon n'est
pas encore rayé de lignes à haute tension, ni d'enseignes
de MacDo), la musique de Pierre
Charvet proclamait le sacrifice de «tous ceux qui
ensemble ont tout donné, pour pouvoir vivre sans liens».
On peut pinailler les costumes romains anachroniques, une figuration
étique vaille que vaille sauvée par l'infographie,
une bataille d'Alésia bâclée (Alésia,
vue par Uli Redel dans le téléfilm Julius
Cæsar (2002), sera plus convaincante (3).
Un César encore plus machiavélique que le vrai,
mais un douteux Dumnorix érigé en résistant
martyr (merveilleux Bernard-Pierre Donnadieu). Les amours d'un
héros et de son héroïne, mais pourrait-on seulement
imaginer un film, historique ou non, sans intrigue sentimentale
? Un Christophe Lambert vergobret (4)
des Arvernes plus Mérovingien que Celte... Certes on peut
pinailler - et nous n'avons pas l'intention de nous en priver,
dans la partie historique de ce dossier, mais tout de même...
On se surprendra à apprécier ce film, qui est loin
d'être aussi mauvais qu'on l'a prétendu. J. Dorfmann
a célébré le courage malheureux : grâces
lui en soient rendues même s'il ne disposait pas des moyens
d'un Ronald F. Maxwell ou d'un Sergueï Bondartchouk. Mais
avec des bouts de ficelle Rudolf Maté, John Wayne, Cy Endfield
et même le Français Pierre Schoendoerffer surent
concocter des fresques aussi impressionnantes et convaincantes
que ces pages de gloire et d'honneur que furent les neuf journées
des Thermopyles (16-24 août -480), le funeste et orageux
dimanche du 18 juin 1815 sur le plateau de Mont-Saint-Jean, les
treize glorieux jours d'El Alamo (22 février-6 mars 1836),
l'incroyable charge du confédéré Pickett,
à Gettysburg (1er-3 juillet 1863) ou le courage récompensé
des Britanniques à Rorke's Drift (22 janvier 1879); comme
encore cette bataille de légende que fut Diên Biên
Phu (13 mars-7 mai 1954), la dernière de la France impériale,
sublimement enluminée par le métaphorique «Concerto
de l'Adieu» de Georges Delerue (5).
Que le cru dorfmannien vieillisse encore un peu dans son fût
de chêne, atteigne sa maturité, et un jour - on peut
l'espérer - on révisera le jugement porté
sur cette évocation du Premier Chapitre de l'Histoire de
France, qui s'ouvrait sur les exploits d'un fougueux héros
adolescent pour s'achever 2.000 ans plus tard sous le képi
d'un vieux général (6)
- entreprise avec sans doute davantage d'enthousiasme et de foi
que de moyens...
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Donnez-moi, mon Dieu,
ce qu'il vous reste,
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.
Mais donnez-moi aussi le courage
Et la force et la foi.
Car vous êtes seul à donner
Ce qu'on ne peut obtenir que de soi.
André ZIRNHELD |
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II. «I'am a poor lonesome vergobret...»
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Celui
qui accepte sa Destinée est guidé.
Celui qui la refuse est traîné.
Mary RENAULT, The King must Die |
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Quelque part, Vercingétorix
peut faire songer au Dieu d'Osier (The
Wicker Man) de Robin Hardy. Techniquement, Le Dieu
d'Osier (1972) était loin d'être un chef d'uvre
- son manque de moyens criant et, emperruqué beatnik, Christopher
Lee utilisé à contre-emploi - mais son sens britannique
de la dérision dans la forme, marié à une
précision documentaire pour le contenu, lorgnait vers Lewis
Carroll et Alice au Pays des Merveilles - un «Pays
des Merveilles» pour adultes, où Britt Ekland se
livrait à une danse érotique considérée,
depuis, comme anthologique. Entre parenthèses, saboté
par son distributeur malgré l'avis favorable de la critique
et l'appui enthousiaste de Christopher Lee, qui en était
la vedette, Le Dieu d'Osier ne connut qu'une diffusion
confidentielle. Le Grand Prix du Festival du cinéma fantastique
du Rex (Paris), qu'il obtint en 1973, où il fut présenté
sous le titre bizarre de L'Emprise de Satan, contribua
sans doute à tirer de l'oubli ce film inclassable. Désormais
auréolé du statut de film maudit, de film culte,
The Wicker Man / Le Dieu d'Osier se vit dédier des
fan
clubs etc., et l'on peut aujourd'hui le redécouvrir
en ses deux versions de 84' et 99', dans un double DVD édité
par Jean-Pierre Dionnet dans sa collection Cinéma de Quartier
(2003) (version française d'une Edition Collector britannique
précédemment sortie chez Anchor Bay). Etrange destin
des choses. (Fermons la parenthèse.)
De la part de son producteur, ce n'est pas faute d'avoir ménagé
sa peine pour diffuser le film si Vercingétorix
fut un échec. Au contraire du Dieu d'Osier qui avait
eu le soutien de la critique, le film de J. Dorfmann fut massacré
par celle-ci - qu'il s'agisse tant des professionnels que des
simples cinéphiles sur les forums - en raison de ses pauvres
qualités esthétiques (?), des moyens mis en uvre,
de ses dialogues ampoulés ou tout simplement de la prestation
de l'acteur principal. Pointé du doigt depuis des années,
Christophe Lambert
(et ICI,
et LÀ
et INTERVIEW),
régulièrement invité comme tête de
turc aux «Guignols de l'Info», voit son nom associé
à des épithètes choisies mettant en cause
tant son physique que ses performances d'acteur au point que «christophelamberterie»
est devenu synonyme de «nanar». Le public l'attendait
donc au tournant, ce Vercingétorix présenté
comme une superprode épique ! La volée de bois vert
était inévitable !
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Un physique contesté
: Christophe Lambert (Vercingétorix). A l'arrière-plan,
à gauche, la comédienne bulgare Maria Kavardjikova
incarne Rhia, la druidesse-guerrière initiatrice
du jeune prince arverne |
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Mais pourquoi comparer Vercingétorix
au Dieu d'Osier, si leur insuccès commercial
relève de causes diamétralement opposées
? Pardi, parce que les deux films traitent de la notion
du sacrifice dans la religion druidique. Seul le sacrifice
d'un être humain peut rendre à son peuple la
faveur des dieux qui se sont détournés de
lui. Avant d'être réduit au silence, Neil Howie
- le policier chrétien qui est condamné à
périr brûlé vif enfermé dans
l'effigie d'osier du dieu
Nuada - a le temps de rappeler à Lord Summerisle-Christopher
Lee, chef de la petite communauté païenne, que
si sa mort n'apporte pas de bonnes récoltes cette
année, ce sera l'an prochain au roi lui-même
(en l'occurrence Lord Summerisle), de faire don de sa personne
et de mourir dans les flammes pour le bien de tous.
Or c'est exactement le «message» de Vercingétorix.
Le jeune chef arverne a lutté pour l'indépendance
de la Gaule, mais sans arriver à vaincre la puissance
de César. Pour éviter les représailles
dont pâtirait son peuple, la seule sortie honorable
pour lui est de s'en remettre à la discrétion
du vainqueur - qui le fera étrangler après
l'avoir exhibé enchaîné lors de son
triomphe, à Rome. Paré de ses plus belles
armes, le voici devant le tribunal de César, agenouillé,
ne demandant que le pardon pour son peuple, rien pour lui-même
- si ce n'est d'être traité en roi. La formulation
est équivoque. Pour un moderne, Vercingétorix
semble demander à être traité avec les
égards dus à son rang. Excusez du peu. Mais
pour les anciens, un vaincu mérite la mort. Le roi,
le général qui a amené le désastre
doit mourir. Dorfmann n'insiste pas trop sur la problématique
frazérienne de son film - il montre plutôt
du doigt le processus politique de la mondialisation - à
l'époque : la «romanisation» - et la
nécessité de s'opposer à elle. Incidemment,
il revient là-dessus dans le Commentaire audio du
DVD. Lors de la fête à Bibracte quand, vainqueurs
à Gergovie, Arvernes et Eduens célèbrent
leur nouvelle alliance, Vercingétorix et Epona assistent
à l'embrasement d'un dieu d'osier à l'effigie
de César, dans lequel on a sans doute enfermé
des victimes humaines (7)
(détail que le film ne montre pas, mais que J. Dorfmann
précise dans son «Commentaire audio»).
Il faut croire que les dieux de la Gaule n'auront pas apprécié
la médiocrité du matériaux humain sacrifié,
puisque trois mois plus tard, à Alésia, le
jeune roi se verra contraint de s'en remettre à la
discrétion du vainqueur et à accepter son
destin comme avant lui l'avait fait son père Celtill,
à qui l'échec politique avait également
valu d'être brûlé vif par ses sujets.
«Plus grande est la magie, plus grand est le prix
à payer», énonce gravement l'archidruide
Guttuart.
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Moritasgus, le «Dieu
d'Osier» d'Alésia dont il est la divinité
tutélaire (V. MORA (sc.) & R. MARCELLO
(d.), «Le Druide fou», Taranis Fils de
la Gaule, Pif-Gadget, n 433, juillet 1977).
Cette BD de Mora et Marcello, publiée dans
un illustré d'inspiration communiste, transposait
dans l'Antiquité l'épopée de
la Résistance et des maquis FTP |
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Reddition de Vercingétorix |
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«Il se lève et, sans
un seul regret, il s'en va vers l'horizon...», répond
en écho Sonia Lacen, dont la chanson accompagne le générique
de fin. Dans les années '60, ceux qui s'opposaient à
la belliqueuse politique américaine au Viêt-nam -
la mondialisation par excellence - s'arrosaient d'essence et s'immolaient
par le feu, en signe de protestation. Pour les bouddhistes comme
pour les Celtes, la mort n'est qu'un passage vers une nouvelle
vie, la séparation du corps corrompu d'avec l'âme
incorruptible. C'est ce que rappelle le Druide, lorsque la fournaise
embrase Celtill dans sa cage de fer, après que celui-ci
ait vainement demandé à son félon de frère
Gobannitio de pouvoir mettre lui-même mettre le feu à
son bûcher. L'enfant Vercingétorix a là, sous
les yeux, la préfiguration de son propre destin. |
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Les Arvernes font périr
sur le bûcher leur trop ambitieux vergobret,
Celtill, sous les yeux de son fils Celtillos (Vercingétorix)
- qui plus tard se vengera de son oncle Gobannitio en
le faisant à son tour rôtir dans une cage...
selon Mitton, ou d'un coup de lance dans le film (MITTON
et ROCCA, Væ Victis/2 et /6, Toulon, Soleil)
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En produisant et réalisant Vercingétorix,
Jacques Dorfmann s'attaque à un genre cinématographique
inhabituel dans la production française. Il «a clairement
destiné son uvre à la cible familiale. Ce n'est
ni un film parodique comme Astérix, ni violent comme
Gladiator», note Thierry Desmichelles. Il ne doit donc
pas espérer beaucoup de compréhension de la part de
son public, dérouté par sa phraséologie : «Ce
n'est pas la loi que tu sers - déclare Celtill à
son frère Gobannitio, partisan de la collaboration avec César
-, mais les fausses couleurs de ta pestilentielle ambition.»
Cette réplique est empruntée à Montaigne, qui
ainsi définissait César lui-même. Les critiques,
qui auraient été mieux inspirés en potassant
sur le site du film la «Note
d'intention», où c'est expliqué, n'ont
retenu que la grandiloquence des termes. «César
arracherait la victoire des mâchoires de la défaite
dans lesquelles je le tiens», ou encore «Je vous
mènerai à la victoire dans l'antre de la mort, au
son du chant de guerre qui fait battre mon cur.»
Nous en avons rassemblé tout un florilège, relevés
chez différents critiques, et après vérification
les avons réinjectées dans le «Synopsis»
du film. Insensible au clin d'il du dialoguiste, un critique
futé a relevé que «Les dés sont jetés»
n'a pas été prononcé par Vercingétorix
s'enfermant dans Alésia, mais par César franchissant
le Rubicon, et n'a pas été davantage sensible à
la pointe d'humour noir consistant à renvoyer au proconsul
romain... la main tranchée de son homme de main, assassin
de Dumnorix, accompagnée de l'évangélique recommandation
: «Rapporte à César ce qui appartient à
César...» Et lorsque Rhia, la druidesse guerrière,
enseigne au jeune homme le maniement de l'épée, les
principes d'art martiaux qu'elle lui susurre et qui n'auraient choqué
personne dans la bouche de David «Kung Fu» Carradine,
leur semblent tout d'un coup obscurs. D'où le régal
de relever, dans la bouche même de Vercingétorix, un
attristé «Tes propos incompréhensibles ne
m'aident pas !» |
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La celtomanie à la
mode prêtant à toutes les dérives, un
critique pointilleux - on fait ce qu'on peut - s'est même
interrogé pour savoir si les diverses catégories
de druides décrites dans le press-book (bardes, ovates
[sacrificateurs et devins], et druides proprement dits)
sont bien historiques : elles sont, en tout cas, bien décrites
dans Strabon (STRAB., Géogr., IV, 4). César
lui-même a consacré trois chapitres aux druides
(G.G., VI, 12-15) et a par deux fois évoqué
leur chef, le gutuater (G.G., VII, 3; VIII,
38), qui n'était pas un nom propre mais probablement
un simple substantif, comme probablement aussi le vercingétorix.
Par contre, personne n'a relevé la cocasse question
de Vercingétorix enfant à Guttuart, l'Archidruide
«incognito» : «Es-tu un des invités
à la fête du travail ?» Notre Fête
du Travail du 1er mai, qui est aussi la fête de Marie
mère du Christ, recouvrait l'ancienne fête
païenne celtique de Beltaine, la fête de la lumière
et du printemps (encore que les rousses couleurs de l'automne,
dans la forêt, laissent supposer que les images ont
été filmées en une tout autre saison,
mais le cinéaste ne fait pas toujours ce qu'il veut).
Il est curieux de noter que c'est ce jour voué au
sacrifice du roi-sacré - celui-là même
qui est au centre de The Wicker Man - que le film
introduit Vercingétorix-enfant et sa petite fiancée
Epona, une jeune fille très sérieuse dont
la maxime favorite semble être, «Entre un
garçon et une fille, j'aimerais qu'il se passe autre
chose...» - attitude assez étonnante quand
on sait la liberté des murs des anciens Celtes.
Ainsi, quand à Alésia Epona prendra possession
de sa chambre avec ses femmes, elle en éjectera son
propre compagnon, Vercingétorix. «Nous nous
débrouillerons bien seules ! L'armée peut
se retirer...» Dans Merlin de Steve Barron,
la fête de Beltaine était prétexte à
orgies sacrées. C'est au cours de l'une d'elles que
le jeune Arthur, sous le masque du cerf, s'unit à
sa demi-sur Morgaine au cours d'une hiérogamie.
Morgaine concevra Mordred. Plus tard, au cours d'une autre
célébration de Beltaine, désespérant
d'avoir un héritier mâle, Arthur partageait
avec Lancelot son épouse stérile, Guenièvre.
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L'Archidruide Guttuart
(Max Von Sydow). Sous prétexte d'abolir les
sacrifices humains, Jules César persécutera
la religion des druides, âmes de la résistance
à l'occupation romaine |
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Epona : «Entre un garçon
et une fille, j'aimerais qu'il se passe autre chose...» |
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Il est vrai que, d'un strict point
de vue stratégique, les déclarations de Vercingétorix
- au fur et à mesure que mûrit le personnage - deviennent
de plus en plus obscures. Veut-il vaincre les Romains, ou non
? «Vous vouliez tous une glorieuse bataille finale, comme
César.... Est-ce vraiment ce dont la Gaule a besoin
?» et «Je ne veux pas d'une bataille, même
si nous la gagnons.» Le Vercingétorix dorfmannien
a compris l'inanité de la violence. Les armes ne résoudront
rien, sinon à hâter la fin de ceux qui vivent par
l'épée. Car d'autres légions viendront ensuite,
et encore d'autres. Seule la tactique de la terre brûlée
lui paraît efficace. Mais elle paraît surtout coûteuse
à ceux qui y laissent leurs biens. Balançant entre
Koutouzov et Gandhi, Vercingétorix s'enferme dans ses contradictions.
«Il importe peu à la fin de gagner ce que ton
ennemi va perdre, ou de perdre ce qu'il va gagner»,
dit-il. Et le réalisateur-producteur de préciser
dans sa «Note
d'intention» : «... quand l'on accepte
que défaite et victoire soient une seule et même
chose...» Vercingétorix a fait venir une armée
de secours qui, prenant les Romain en tenailles, serait le marteau,
et qui broierait ceux-ci contre l'enclume de l'oppidum... Et en
même temps, il lui interdit d'attaquer. Les chefs gaulois
ne voient évidemment pas où veut en venir ce général
complètement zen,
Son chemin est déjà tracé : l'avenir
lui donnera raison !
Il avance et arrive à la fin d'une histoire écrite
avec du sang !
Mais il voit au loin des lendemains danser sur le fil du Temps...
et, à vrai dire, le spectateur n'est pas moins perplexe
qu'eux. L'indiscipline de ses lieutenants le contraint finalement
à livrer cette bataille qu'il refusait. «Je ne
suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être
rien. A part ça je porte en moi tous les rêves du
Monde», a écrit F. Pessoa, dont J. Dorfmann met
la citation en exergue de sa «Note
d'intention». La vie n'est qu'un jeu dont le Destin
a tissé la trame. Le «Destin» et le «Sacrifice»
sont des mots qui reviennent souvent dans le film, ainsi que la
notion de «jeu». La vie ne serait donc qu'un leurre,
une sinistre plaisanterie qui ne mérite pas que le sage
prenne parti ni ne s'engage dans l'action ? Lors de sa confrontation
avec son professeur d'escrime, Rhia, celle-ci le désarme
et lui applique sa lame sur la nuque : «Alors le jeu
sera terminé, et tu devras accomplir ton Destin.»
«On m'a appris, se souvient J. Dorfmann dans son Commentaire
audio, que Vercingétorix était un perdant. Pour
moi, c'est quelqu'un pour qui la fin ne justifie pas les moyens,
et c'est ce qui fait de lui le vrai vainqueur.» Pour
le producteur-réalisateur, Vercingétorix comprend
que c'est l'amour qui fait tourner le monde, l'amour des autres,
l'amour de l'humanité. «Celui qui aime ne sera
jamais perdant; c'est ma vision du personnage; je n'ai jamais
admis l'image de looser qui lui est attachée.» |
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III. L'offensive médiatique
Soutenu par une imposante campagne d'affichage, un clip de Sonia
Lacen et la bande annonce à la TV (et la bande annonce
en CD-Rom dans Ciné Live !), Vercingétorix
devait du reste connaître un honnête démarrage
avec, une semaine après sa sortie, 222.602 entrées
dans 312 salles (8)
: à Mulhouse,
par exemple, il se classait déjà quatrième
après Seul au monde et Le placard. Et après
deux semaines il occupait, en France, la septième
place au box office (le top 10 français) derrière
1) Le placard et 2) Le pacte des loups. «Classique,
le plan média n'en est pas moins costaud, note Le
Film
Français. Entre un affichage national 4X3, Abribus
et fonds de bus, des partenariats avec NRJ et Chérie FM,
la campagne (fut) à la mesure de ce lancement sur
quelque 350 copies, qui auront été précédées
de 2.500 teasers et 2.000 bandes-annonces, une programmation confiée
à Lolistar. Plus inhabituelle, l'importante opération
menée avec Intermarché, la chaîne d'hypermarchés
qui compte 2.020 magasins sur la France entière. Partout,
le film donna l'occasion de jouer dans des combats de marques
et gagner des trophées et autres bons de réduction.
Outre la distribution dans tous ses magasins d'un livret de 24
pages sur le film, Intermarché offrit une bonne place à
son opération Vercingétorix avec l'envoi de pas
moins de 18 millions de prospectus pour ses promotions de fin
janvier.» Toutes ces précautions n'empêcheront
pas le film de se faire massacrer par les spectateurs canadiens
sur le website CinemaClock (Trois-Rivières) : sur les 77
votes relevés (9),
pas un qui soit positif. Au regard du vocabulaire et du ton des
intervenants - «un budget me permettant de prendre le
métro de Montréal» -, l'on peut s'interroger
sur l'attente de ces spectateurs.
La première émission de «variétés
historiques»
En France, la sortie de Vercingétorix avait été
précédée par une émission de variétés,
la «première émission de variétés
historiques», intitulée Nos Ancêtres les
Gaulois (A2, vendredi 5 janvier 2001) et présentée
par Arnaud Poivre d'Arvor. Y étaient invités : Christophe
Lambert, Inés Sastre, Jean-Pierre Rives et Denis
Charvet, tous quatre acteurs dans le film, Anne de Leseleuc,
romancière et archéologue, auteur de l'histoire
originale et Mario
Luraschi, dresseur des chevaux du film, mais également
José Bové, l'agriculteur contestataire de la Confédération
paysanne, le couturier Jérôme Dreyfus qui présenta
la mode gauloise de l'an... 2001, Virginie Lemoine, Franck Dubosc,
la Québécoise Julie Snyder - qui rappela le poème
de Michel Lalande, «Speak White» (10),
car dans la «Belle Province» les Francophones mènent
un double combat contre l'américanisation et la mondialisation
- tandis qu'Henri Salvador, qui interprétait bien sûr
sa fameuse chanson «Faut rigoler»... avant que le
ciel nous tombe sur la tête..., rétorquait en rappelant
la genèse de cette dernière. Elle fut composée
par Boris Vian un jour où il lui racontait comment, à
Cayenne, l'instituteur blanc enseignait «Nos ancêtres
les Gaulois...» aux négrillons. L'esprit de Vercingétorix,
champion de la résistance nationale, avait lui aussi été
trahi par le colonialisme français. Pour sa part, le musicien
camerounais Manu Di Bango se souvenait que si ses ancêtres
étaient bien Gaulois, avant 1916 ils avaient été...
Teutons !
Rehaussée de nombreux extraits du film, l'émission
proposait une vision tout de même quelque peu fantasmatique
desdits Gaulois, présentés comme des individus du
terroir opposés aux méfaits de la mondialisation
des Américains/Romains (les O.G.M., par exemple). Un écologiste
suisse, Marcus Sommer faisait visiter sa maison gauloise reconstituée,
tandis qu'Anne de Leseleuc rappelait que, dans sa lutte contre
les monarchies populaires, le véritable enjeu de la République
éduenne était, ni plus ni moins, la mondialisation
dont ils étaient, eux, partisans - d'où leur appel
aux impérialistes romains. Sur le plateau, un cuisinier
tendance «Nouvelle Cuisine», Patrick Cirotte, se prévalait
d'avoir reconstitué des mets gaulois d'après...
Apicius (hum !) et présentait de grosses pièces
de viandes... au cacao (!) ou entourées de pommes de terre
(?). Avec leurs casques surmontés d'énormes cornes
etc., les figurants gaulois «étaient» dans
la lignée de la vision Second Empire, c'est-à-dire
du VIIe s.
Toute une série de bienveillantes apparitions-copinages
à la télévision (11)
vont donc tenter de construire la réputation de cette bande
tout de même un peu frileuse (Christophe Lambert !) qui,
manifestement, avait cherché à éluder l'acidité
de la critique en se contentant de proposer une unique vision
de presse à Paris (mardi 9 janvier 2001, au «Gaumont
Ambassade») ! En général, la presse écrite
descendit le film - sauf peut-être le critique du Figaro
: «Certes, d'aucuns ironiseront sur le très relatif
charisme de Christophe Lambert et regretteront que la rigueur
extrême du metteur en scène bride la dimension romanesque
du sujet. Peu importe : leurs critiques s'envoleront, l'uvre
restera» (12).
Singulier contraste, au niveau de la presse écrite, avec
la débauche médiatique suscitée par Gladiator,
l'année précédente.
Annoncé pour novembre 2000, le bouquin d'Anne de Leseleuc
ne sortit que le 3 janvier, bientôt suivi d'une BD du film
chez Casterman. D'autres éditeurs surent voir venir : Michel
Thibaux, Georges Bordonove livrèrent au public intéressé
leur vision de Vercingétorix, bientôt suivis
par les universitaires (Christian Goudineau, Serge Lewuillon,
etc.). |
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Suite… |
NOTES :
(1) Grand spécialiste de la
littérature fantastique et d'anticipation, Pierre Versins
(Encyclopédie de l'utopie et de la science fiction,
Lausanne, L'Age d'Homme, 1972), se serait, paraît-il,
inspiré du patronyme du célèbre chef gaulois
- républicain, laïc et exonéré - pour
construire son propre pseudonyme littéraire...
Or en matière de littérature, Pierre Versins haïssait
les succès populaires, pour n'encenser que des chefs-d'uvres
méconnus - sauf de lui-même, bien sûr. Sur
base de ce critère, il aurait sans nul doute adoré
le film de Jacques Dorfmann, qui s'ouvre et s'achève
sur un plan de comète et de planète digne d'un
space opera. Nous serions donc au moins deux à
l'avoir apprécié... ? - Retour
texte
(2) Egalement producteur, e.a., de
La Guerre du Feu (J.-J. Annaud, 1981) et du Cercle
Rouge (J.-P. Melville, 1970) et réalisateur du Palanquin
des larmes (1987) et de Agaguk (1992), J.
Dorfmann est le fils du producteur Robert Dorfmann (La
Grande Vadrouille).- Retour texte
(3) ... du moins dans la VO, pas dans
la VF raccourcie !
De sa «reconstitution» d'Alésia, J. Dorfmann
dira dans son «Commentaire audio» (DVD) : «Nous
avons tourné dans la montagne, en Bulgarie. Le site ne
ressemble pas beaucoup à celui d'Alésia. Il n'y
ressemble même pas du tout !» - Retour
texte
(4) Magistrat gaulois élu pour
un an; l'équivalent du consul à Rome. -
Retour texte
(5) La
bataille des Thermopyles (1962) de Rudolf Maté;
Waterloo (1971) de Sergueï Bondartchouk; Alamo
(1960) de John Wayne; Gettysburg (1993) de Ronald F.
Maxwell; Zoulou (1964) de Cy Endfield; Diên
Biên Phu (1992) de Pierre Schoendoerffer. - Retour
texte
(6) Cf. Claude BILLARD &
Pierre GUIBBERT, Histoire mythologique des Français,
Paris, Galilée éd., 1976. - Retour
texte
(7) Dans La reine des Vikings
(Don Chaffey), les Bretons ont enfermé des légionnaires
romains prisonniers dans une cage de fer, dont la silhouette
évoque un géant. Une grue déplace la cage
pour la placer au-dessus d'une fosse emplie de feu. Agrippés
aux barreaux, les légionnaires tentent de se soustraire
aux flammes en grimpant le plus haut possible, mais - épuisés
ou asphyxiés - ils finissent par retomber dans les braises.
- Retour texte
(8) Le Film français,
2 février 2001. - Retour texte
(9) Relevés le 17
octobre 2001. - Retour texte
(10) «Parle Blanc», s'entendaient-ils
dire par les Anglophones. - Retour texte
(11) Présentation du film
le 21 janvier dans «Grand Ecran» vers 11h 30', sur
M6 [coproducteur du film]; présentation du film et présence
de Christophe Lambert le 22 janvier dans «Célébrités»
à 22h 55', sur TF1 [coproducteur du film]; présentation
du film et présence de Christophe Lambert et d'Inès
Sastre le 25 janvier dans «Comme au Cinéma»,
sur France 2.
Annoncé sur www.vercingetorix-lefilm (site officiel)
: «Les Enfants de la télé», le 26
janvier ou le 2 février à 20h 55', sur TF1 (émission
animée par Arthur, avec Christophe Lambert et Pierre
«Magic» Tchernia, diffusion de la bande annonce,
etc.). - Retour texte
(12) aurence HALOCHE, Le Figaro
magazine, n 1056, samedi 20 janvier 2001, pp. 78-79. Il
y eut également une très bienveillante analyse
du film par une historienne, Anne Logeay (Université
de Rouen), dans Historia, n 650, février 2001,
pp. 72-73. - Retour texte
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