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Apostat
Ken Broeders

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Sur cette page :

Un auteur : Ken Broeders
Bibliographie
Interview

A. L'Empire romain avant Julien

1. La grande persécution des chrétiens
2. La Tétrarchie

2.1. Imbroglios politico-militaires
2.2. La postérité de Constance-Chlore
       Généalogie de Julien, petit-fils de Constance-Chlore
2.3. Un Empire en mutation

B. Julien le Grand

3. Le Græculus

3.1. C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit...
3.2. Un cheminement religieux
3.3. L'Antéchrist

Pages suivantes :

4. Le César des Gaules

5. Empereur Auguste

Addendum : quelques personnages

Chronologie de Julien

Bibliographie
Littérature
Filmographie

Apostat
Ken Broeders

Écoute-moi, Père puissant...
Je ne peux plus assister impuissant à la façon dont le christianisme soutenu par un empereur sanguinaire, se répand comme une mer de feu...
Je t'en conjure, Hélios, puissant porteur de la lumière et de la vie. N'abandonne pas tes enfants. J'ai rejeté le Dieu de l'empereur et des chrétiens et je me suis tourné vers toi. Donne-moi la force et la sagesse de sauver ce monde affaibli par les chrétiens, pour restaurer la gloire déclinante de l'Empire et donner de l'espoir à nos frères et sœurs
(Julien l'Apostat).

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Statue de Julien II le Grand, Musée de Cluny - où ses soldats l'élevèrent sur un pavois

L'an 355 de n.E. Le christianisme s'est largement répandu dans le «Bas-Empire» romain, sapant les assises du paganisme néanmoins encore très vigoureux en Occident. Après avoir très chrétiennement liquidé ses deux frères et quelques cousins, Constance II, fils de Constantin le Grand, songe à ramener dans le giron impérial la Gaule ravagée par les guerres civiles et les assauts des Barbares. Il lui faut y déléguer un collaborateur de confiance, c'est-à-dire - en vertu d'une certaine loi de Parkinson déjà très à la mode à l'époque - une marionnette incompétente... du genre doux rêveur, qui laissera les mains libres à ses agents. Ce sera son neveu Julien (1) !

Un nouveau César d'Occident, des femmes jalouses et des Germains sanguinaires... Cette nouvelle série BD relate le tumultueux parcours qui conduira le jeune Julien à revêtir la pourpre impériale, et à entrer dans l'Histoire sous le nom de «Julien l'Apostat».

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Tout en grogne et en trognes, Apostat c'est «Murena» revisité par Bruegel l'Ancien

Action, aventure et intrigues forment la trame de cette grande fresque épique et historique. Tout en grogne et en trognes, Apostat c'est «Murena» revisité par Bruegel l'Ancien. Se basant sur une documentation scrupuleuse, Ken Broeders nous livre une saga qui habilement combine Histoire et aventure, le tout sur un fond de mysticisme qui n'exclut pas la superstition. Ce mysticisme tout en nuances qui anima un jeune homme brillant, mais politiquement dérangeant autant qu'incontournable (il était le dernier mâle encore vivant de la famille de l'empereur Constance II). Le jeune érudit philosophe sera obligé de devenir un guerrier et un administrateur. Qui aura à choisir entre les valeurs d'un Futur douteux et peu convaincant, et celles - rassurantes - d'un Passé qui avait fait ses preuves.

Ce Passé glorieux de l'Empire romain qui peu à peu se délite, face à de nouvelles idées... dans l'air du temps, comme on dit si joliment. Un choix douloureux qui, aujourd'hui, nous interpelle encore.

Créée en 2009, cette série consacrée à l'empereur Flavius Claudianus Julianus a connu un certain succès en Flandre et aux Pays-Bas. Elle est prévue en 6 albums, ou peut-être 9 - l'auteur y songe. Le tome 4, Paulus Catena, en néerlandais, vient de paraître chez Standaard Uitgeverij, ce 10 octobre 2012.

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Un auteur : Ken Broeders

Ken Broeders est né en 1970 et habite à Anvers. Après sa formation à l'Institut Saint-Luc dans sa ville natale, il a, grâce à Hans Van den Boom, l'opportunité de publier sa première bande dessinée Tyndall. À l'origine Tyndall, réalisé avec Luc Peborgh, était son travail de fin d'études pour Saint-Luc.

Quelques années plus tard suivit la série Voorbij de Steen, une épopée de fantasy avec nains et dragons dans un décors inspiré du Bas-Empire romain. Ce sera ensuite Cyrano - d'après la pièce de Rostand - pour la collection «Classix» des Editions Standaard.

Ken Broeders travaille toujours directement en couleur avec de l'acrylique, de la gouache et/ou de l'aquarelle.

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Ken Broeders

Bibliographie

Tyndal. Ken BROEDERS & Luc VAN PEBORGH
1. De Reis naar het Noorden / En route pour le Nord (Arboris, 04/1998)
2. Cael-At-Raem / Cael-At-Raem (Arboris, 04/1998)
3. Het Compendium / Le Compendium (Arboris, 07/1998)
4. De Kinderen van de Beul / Les enfants du bourreau (Arboris, 01/1999)
5. De Groote Noordelike Oorlog

Voorbij de Steen. Ken BROEDERS
1. Het Spoor van Demer
(Arboris, 2001)
2. Drehadaxa (Arboris, 2003)
3. Rheyn (Arboris, 2004)
4. De Drakenmeester (Arboris, 2006)
«Au delà de la Pierre», raconte l'histoire d'une ville de Nains, assiégés par des sortes d'Orques. Un de ces Nains est envoyé «au-delà de la Pierre» - id. est «au-delà de la Montagne», qui sert de frontière au territoire des Nains - afin d'obtenir l'aide de leurs congénères qui y ont émigré.

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Dans sa saga de fantasy Voorbij de Steen, Ken Broeders s’est largement inspiré de l’Antiquité tardive (on disait autrefois « Bas-Empire ») pour équiper ses guerriers. De gauche à droite, les trois premières vignettes montrent un officier d’origine barbare (il est coiffé du « nœud suève »), portant un casque composite (Spangenhelm) du type « Berkasovo », avec quatre boucles permettant la fixation d’une crète dont la forme ne nous est pas connue (second-troisième quart du IVe s. - un exemplaire est conservé au Musée de Budapest). On le voit ici sous différents angles. Il est fait de quatre triangles de fer rivetés ensemble et recouverts d’une feuille d’or, la calotte étant incrustées de pierres semi-précieuses.
La quatrième vignette montre un légionnaire coiffé d’un casque de cavalerie en fer du type Niederbieber (fin IIe, ou IIIe s. de n.E.), caractéristique avec ses renforts de bronze formant croisillon au sommet de la calotte.

Cyrano. Ken Broeders (Standaard Uitgeverij, «Classix-reeks», 2007)

Apostata. Ken BROEDERS
1. De Purperen Vloek (Standaard Uitgeverij, 2009)
2. De Heks (Standaard Uitgeverij, 2010)
3. Argentoratum (Standaard Uitgeverij, 2011)
4. Paulus Catena (Standaard Uitgeverij, 2012)

Apostat.
1. La malédiction pourpre
(BD Must, 2012)
2. La sorcière (BD Must, 2012)
3. Argentoratum (BD Must, 2012)

Chaque album de 48 p. contient un ex-libris numéroté et signé par Ken Broeders. Cette trilogie à tirage limité (1.000 ex.) est accompagnée d'une plaquette de 24 p., Flavius Claudius Julianus, par Michel ÉLOY, superbement illustrée de photographies de François Gilbert et Patrick Demory.
BD Must, Bruxelles. Contact : info@bdmust.be ou bdmust@skynet.be
69 EUR TTC (+ 9 EUR de frais d'envoi en Belgique et en France)

Liens Internet : (click) & (click)

Interview de Ken Broeders

MICHEL ÉLOY : La manière dont le scénario respecte l'Histoire, en ne prenant pas plus de libertés qu'il n'est nécessaire mérite compliments. À côté de la nouvelle tendance de la «BD d'archéologues» où le moindre bouton de culotte se fonde sur une documentation précise - démarche que, bien entendu, j'approuve - c'est rafraîchissant. Car la «BD d'archéologues», trop souvent, ne s'élabore qu'au détriment des personnages fictionnels, se retrouvent raides et mal insérés dans l'Histoire (la grande). L'Apostat de Ken Broeders, doit néanmoins beaucoup au groupe de reconstitution néerlandais Fectio, qui dans le sud des Pays-Bas reconstitue la pseudo-comitatenses des Fectienses Seniores...

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Dans le quatrième album intitulé Paulus Catena, on peut lire l'appartenance «Fectio» en complément de l'emblemata des Honoriani Marcomanni iuniores

fectio fectio, xanten

Le groupe néerlandais Fectio se produit dans le nord de l'Europe (à gauche au Parc Archéologique de Xanten). Ken Broeders s'est notamment documenté chez eux

1. D'où vous vient votre intérêt pour l'empereur Julien ? Un auteur se retrouve toujours, en principe, dans ses personnages. Vous retrouvez-vous en Julien ?
Il ne m'a pas échappé que vous avez créé Apostat en 2009, l'année où Alejandro Amenabar a sorti le film Agora, qui raconte le martyre d'une femme-philosophe païenne en Alexandrie, assassinée en 415 par des chrétiens extrémistes
(2). Dans son film Amenabar, bien sûr, visait le fanatisme des Talibans, les destructeurs des Bouddhas de Bâmiyân, chefs d'œuvre de l'art gréco-bouddhique. Ainsi que leur inacceptable attitude vis-à-vis de la condition féminine, son droit à l'éducation et à l'émancipation.

KEN BROEDERS : Mon intérêt pour le personnage de Julien a été suscité par mes recherches pour ma précédente série BD, Voorbij de Steen («Après la Pierre», 4 albums inédits en français). C'était une série de «fantasy» que j'ai située dans un décor romain inspiré par le Bas-Empire.
C'est ainsi que j'ai fait la rencontre d'un personnage étrange mais fascinant... un jeune empereur qui voulait empêcher le christianisme de prendre plus d'ampleur. Je voulais intégrer un personnage d'empereur apostat dans mon histoire. Malheureusement la série a été arrêtée en raison des sérieux problèmes financiers de mon éditeur.

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Mais ce personnage de Julien me hantait... ainsi que sa vie et ce fascinant Empire romain. Surtout son ardeur et son esprit m'attiraient énormément chez Julien. Sa lutte pour une cause, à première vue perdue. Un aspect que chaque dessinateur de BD aujourd'hui doit posséder afin de poursuivre dans cette branche.

Apostat prenait déjà forme en 2007. Non seulement les recherches historiques m'ont pris beaucoup de temps mais également le fait de trouver un scénario et un style approprié à cette histoire.
N'oubliez pas qu'après avoir soumis ce projet auprès de nombreux éditeurs, il m'a également fallu attendre longtemps avant de recevoir les premières réponses.

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Ken Broeders proposa Apostat à Casterman, qui ne pouvait publier une série sur l'Antiquité concurrente à la «galaxie Martin». Ne pouvant accepter les exigences de Jacques Martin, Ken Broeders réserva à ses personnages cette belle mort - empalés par les Alamans - preuve que le dessinateur anversois n'était nullement dépourvu d'humour. La réponse du berger à la bergère (Apostat/2, p. 47)

La parution du film Agora en 2009 - malgré le fait qu'on n'y fasse pas référence à Julien - m'a donné une certaine tangibilité. Julien devenait plus réel.

Si Julien avait vécu plus longtemps, je suis sûr qu'il aurait eu une énorme influence sur l'histoire de monde. S'il avait pu restreindre ou même stopper l'expansion du christianisme, à quoi ressemblerait notre monde maintenant ? Y aurait-il eu l'Islam ? Vraiment stupéfiant quand on y pense. Des gens comme Hypatie auraient vécu et travaillé dans un monde très différent. Agora fut un film merveilleux pour moi.

C'est surtout la destruction de la grande bibliothèque d'Alexandrie par des chrétiens forcenés qui fut impressionnante. Selon moi, cette propension à détruire a été l'un des plus importants motifs qui ont poussé Julien, jeune homme, à se détourner du christianisme. Il voulait protéger la grandeur, la connaissance et surtout la beauté des anciennes religions. Il voulait préserver coûte que coûte cette culture hellénistique qui avait traversé les siècles. Julien était également terrifié par le fait que le christianisme avait récupéré certains aspects de ce vieux monde (3). De cette manière, le christianisme en se rendant plus séduisant trouvait plus facilement des adeptes.

Lorsqu'il devint souverain du monde romain, Julien remit à l'honneur les temples dont beaucoup avaient été confisqués par les chrétiens. Il projetait également de faire reconstruire le temple de Salomon à Jérusalem. Naturellement, la stupeur et la fureur des chrétiens doivent avoir été considérables. En outre, il interdit aux professeurs chrétiens le droit de donner des leçons en littérature classique, philosophie et histoire.
Il mit en place toutes ces mesures afin de préserver des traditions et une culture qui, à ses yeux, étaient menacées.

2. Personnellement, mon affection pour Julien me vient de mon intérêt premier pour la mythologie grecque. Quelque part je me sens un peu «païen», moi-aussi. Ensuite je me suis intéressé aux origines du christianisme, principalement par le biais de la mythologie comparée (4)et, de fil en aiguille, à Julien.

Un monothéisme en chassant un autre, comment voyez-vous la fin du Monde romain/la fin de notre Civilisation occidentale en train de perdre son identité ?

Je suppose que c'est le cours naturel des choses. Des civilisations apparaissent, marquent leur empreinte et disparaissent à nouveau. Elles ne semblent pas tout à fait disparaître mais sont plutôt absorbées dans la suivante. Même aujourd'hui on pourrait dire que l'Empire romain existe toujours mais sous la forme du catholicisme. Il est remarquable de noter combien de personnages païens reviennent dans la doctrine chrétienne aujourd'hui. Il y a par exemple énormément de similitudes entre Mithra et Jésus.
Je ne crois pas que la culture occidentale perdra un jour son identité, mais elle continuera à vivre, à s'adapter et imprégner toutes les évolutions suivantes.

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Ken Broeders et son épouse Renata en dédicaces (photo MCW)

3. Julien était un homme extrêmement cultivé et érudit. Mais aussi superstitieux et attiré par les prodiges miraculeux, l'astrologie etc. Son mentor en la matière fut Maxime d'Ephèse, un néo-platonicien disciple de Jamblique, qui avait choisi une forme d'enseignement populaire (au contraire de son confrère Plotin qui, un siècle auparavant, optait pour un enseignement élitiste).
Vous présentez Maximus comme un charlatan - ce que sont plus ou moins tous les religieux, n'est-ce pas ? On croirait qu'ici vous suivez saint Grégoire de Nazianze, le plus acharné contempteur de Julien. Maintenant que Julien est empereur, comment comptez-vous raconter dans les albums 5 et suivants la restauration du paganisme par Julien ? Avec un œil païen ou un œil chrétien ?

Dans un certain sens, tous les personnages religieux sont des charlatans. J'ai reçu une éducation athée et n'ai donc aucun lien avec aucune religion. Ici, dans le monde occidental, nous sommes tous imprégnés d'une manière ou d'une autre par la doctrine et la morale chrétienne. Mais étant un outsider, ce sont surtout les choses étranges, les incohérences et parfois les aspects carrément ridicules de la religion en général qui me frappent.

Dans Apostat, Maxime est en effet plus ou moins un charlatan (ce qui ne m'empêche pas d'avoir beaucoup de sympathie pour ce personnage) et je l'utilise presque comme une incarnation du culte païen : étrange, magique, enchanteur et également un peu dangereux. Dans les prochains albums d'Apostat, Grégoire de Nazianze surgira pour jouer un rôle similaire pour les chrétiens. Le christianisme a apporté un message humain et une promesse consolante pour l'Au-delà. Mais c'était un mouvement puissant et radical qui a gagné beaucoup de pouvoir politique.

Le grand défi - pour moi - sera de représenter la confrontation entre le paganisme et le christianisme, incarnés par Julien, Maxime et Grégoire.

Oribase, l'ami intime et médecin personnel de Julien, joue dans la BD un rôle spécifique. Il me donne l'occasion d'introduire non seulement un peu d'humour, mais offre également un caractère plus proche de celui du lecteur. J'ai fait de lui, délibérément, un personnage religieusement neutre, qui tient en aversion le caractère oppressif fondamentaliste de la religion chrétienne, mais considère également le paganisme avec horreur. Dans le tome 4, il est troublé et choqué par l'envie violente de sacrifier des animaux aux dieux.

sacrifce sanglant

Sous l'œil réprobateur d'Oribase, Julien - maintenant empereur - peut rendre aux dieux le traditionnel hommage qui leur revient : un sacrifice sanglant (Apostata/4, p. 41)

4. Julien semble avoir été l'homme d'une seule femme, son épouse Hélène - sœur de Constance II et probablement un peu plus âgée que lui. Il était trop sérieux pour songer à la bagatelle. Parlez-nous de Primigenia, la maîtresse que vous lui attribuez... car un scénariste doit parfois grossir certains traits pour arriver à exprimer ce qu'il veut dire.

Le drame de Primigenia réside dans le fait qu'elle ne peut tout simplement pas être la maîtresse de Julien. Dans la première partie d'Apostat, Julien est un jeune homme, totalement époustouflé et paniqué à cause des énormes responsabilités qui se posent sur ses épaules. Il se sent très attiré par Primigenia, joyeuse et décomplexée. Mais il sait qu'il ne peut pas succomber à la tentation parce qu'il craint Constance dont la colère serait impitoyable. Entre lui et son épouse Hélène naît et se développe une grande affection. Mais tous deux ne sont que des pions sur l'échiquier politique. Ensemble toutefois, ils trouveront la force d'affronter leur destin et... Constance.

Prise au piège d'un mariage étrange, Primigénia est beaucoup plus directe. Elle prend en mains son propre destin et est déterminée à conquérir Julien. Malheureusement ses manigances amènent un changement chez ce dernier. Un changement qui le mettra hors de sa portée à jamais. Ces événements poussent Julien à demeurer célibataire et à consacrer sa vie aux dieux, assumant ainsi une vie quasi ascétique.

5. Dans votre BD, le maître-espion de Constance est Arbacès - comme le méchant générique dans les «Alix» de Jacques Martin est celui de Pompée.
Cet Arbacès semble inspiré du notaire (= secrétaire) Paul Catena, personnage historique quant à lui. Avec l'aide de deux autres agents, Gaudentius et Pentadios, ce Paul Catena était notamment chargé de surveiller Julien.
Pourquoi, dans votre BD, avoir fait de Catena une brute gestapiste, simple exécutant et homme de main d'Arbacès (tome 4) ? Au lieu de ce qu'il était réellement : un policier intelligent et habile !
Bref, pourquoi avoir inversé leurs rôles ?...

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Paulus Catena «sait parler aux dames»...

Le nom Arbacès ne vient pas d'«Alix» (je n'ai encore jamais lu ses albums) mais de la série télévisée The Last Days of Pompei, tirée du roman d'Edward Bulwer Lytton.
Dans la série, Franco Nero joue le rôle d'un grand prêtre nommé Arbacès. Parfois j'ai la ferme l'impression qu'Apostat s'écrit tout seul. Dans la première partie «La malédiction pourpre», il y a une scène où Constance s'adresse à ses soldats en leur présentant Julien comme le nouveau César d'Occident. Préalablement à cette scène, on peut voir Eusébius (le rusé conseillé de Constance) écouter un jeune garçon à côté de lui. Tout en dessinant je me demandais qui pourrait être ce garçon ? Qui est-il pour Eusébius ? Un prostitué ? Mais que peut faire un eunuque avec un prostitué ? Est-il un des nombreux espions ou agents d'Eusébius ? Oui, ça doit être ça. Et c'est ainsi que Arbacès naquit. Un agent un peu sinistre dans le corps d'un enfant.

Quand je voulus intégrer Paulus Catena dans l'histoire, cela me paraissait une bonne idée de le laisser en compagnie d'Arbacès. Il devait devenir l'opposé du jeune garçon raffiné, subtil et doté d'une apparence vulnérable. C'est ainsi que Paulus est devenu cet homme extrêmement grand (il souffre d'acromégalie ce qui a déformé son nez et sa mâchoire), cette brute qui représente tout sauf la subtilité. Ils forment un couple remarquable que les lecteurs n'oublieront pas rapidement.

paulus catena, primigenia

Vrai sosie de Boris Karloff-Frankenstein, l'acromégalique brute Paulus Catena (à gauche), utilise son argument de prédilection, la chaîne - catena - pour «persuader» la pauvre Primigenia (au centre), et même, tant qu'à faire, la viole lorsque fait irruption son patron Arbacès, gnome mielleux et fielleux (à droite) (Apostata/4, p. 29) .

   
 

A. L'Empire romain avant Julien

1. La grande persécution des chrétiens

Depuis l'Édit de Gallien ou «Petite paix de l'Église», en 260, les chrétiens avaient connu quarante années de la plus totale liberté de culte au sein de l'Empire romain. À Nicomédie (Izmit, en Turquie), résidence préférée de Dioclétien, ils s'étaient même bâti une superbe église juste en face du palais impérial. En 297, Dioclétien avait même imposé sur le trône de l'Arménie, éternel brûlot entre Rome et la Perse, un Tiridate III... converti au christianisme depuis 288 ! Il semble toutefois que dans l'Empire, le parti chrétien trouvait sa provende dans le limon des prolétaires et paysans réfractaires à la conscription. Aussi l'armée était-elle pleine de parasites qui opportunément se découvraient objecteurs de conscience dès qu'il fallait aller en découdre avec les Barbares.

C'est vers la fin du règne de Dioclétien qu'eut lieu la dixième et pire persécution des chrétiens. Probablement la seule systématique, les précédentes étant généralement très localisées et le plus souvent le fait de l'exaspération de populations locales plutôt que le reflet de l'impériale volonté. Ainsi saint Vincent est supplicié en Espagne et, dans le Valais, saint Maurice et sa légion thébaine (légende hagiographique ?). Et à Rome saint Sébastien, saintes Agnès et Cecilia etc. dont le cardinal Wiseman tirera un roman édifiant, Fabiola ou L'Eglise des Catacombes (1854). Cette persécution dura sept ans (303-310) et fut dite «de Dioclétien», bien qu'elle ait été déclenchée à l'instigation de son gendre et bras droit, le César Galère (Édit de Nicomédie, en 303) (5). Homme pondéré et intègre, Dioclétien ira jusqu'à contraindre son épouse Prisca et sa fille Valeria - soupçonnées d'être chrétiennes ou christianophiles - à brûler quelques grains d'encens en l'honneur des Dieux, afin de démontrer leur loyauté à la religion traditionnelle.

2. La Tétrarchie

Les moyens de communications étant alors ce qu'ils étaient, Dioclétien avait administrativement divisé l'Empire romain entre deux «Augustes», assistés chacun par un «César» (21 juillet 287). Dioclétien instaurait ainsi deux «dynasties», l'une sous l'égide de Jupiter (Orient), l'autre de son fils Hercule (Occident). Leur garde sera confiée à deux légions d'élite, des légions palatines respectivement dénommées Joviani et Herculiani.

En dépit de cette répartition des responsabilités, l'Empire romain restait toutefois unitaire - l'Auguste d'Occident (Rome) étant subordonné à celui d'Orient (Byzance). Il faudra attendre 395 et Théodose le Grand, pour voir consacré l'irréversible fractionnement en Empire d'Orient et Empire d'Occident, alliés mais indépendants. Empereur catholique d'origine espagnole, c'est ce Théodose qui définitivement jugulera le paganisme en interdisant les cultes publics, fermant la Bibliothèque d'Alexandrie et chassant les païens de l'armée et de l'administration (6). Et ce sera sous le règne de son successeur, son fils Théodose II, que les chrétiens fanatiques martyriseront la mathématicienne et philosophe païenne Hypatie d'Alexandrie (415), à qui récemment Alejandro Amenabar a consacré un très beau film, Agora (2009) (7).

herculiani iuniores herculiani seniores

Emblemata bleu des Herculiani iuniores, qui servaient en Orient (à gauche) et rouge des Herculiani seniores, qui combattaient en Occident (à droite), légions palatines, d'après la Notitia Dignitatum

2.1. Imbroglios politico-militaires

Lorsque les Auguste d'Orient et d'Occident, Dioclétien-Jupiter et son collègue Maximien-Hercule abdiquent de concert le 1er mai 305, l'organigramme de la Tétrarchie se présente en principe comme suit : succédant à Dioclétien, l'Auguste Galère va régner sur l'Orient (avec pour adjoint le César Maximin Daia) et sur l'Occident l'Auguste Constance-Chlore succède à Maximien (assisté par le César Sévère II).

Toutefois, la passion du pouvoir va ronger le «retraité» Maximien et son fils Maxence. Dès l'année suivante, Maximien reprend son titre d'Auguste, et Maxence l'appuie en suscitant à Rome une révolte des prétoriens (306). Pour compliquer les choses, l'Auguste Constance-Chlore décède à Eburacum (York) le 25 juillet de la même année.
Logiquement son successeur à l'Augustat devrait être Sévère II, occupé à guerroyer contre les rebelles Maxence et Maximien. Mais le fils de Constance-Chlore, Constantin Ier (8) se proclame Auguste d'Occident succédant à son père. L'autre nouvel Auguste d'Occident et tout autant usurpateur, Maxence - qui vient de liquider Sévère II et aussi d'éjecter son propre père Maximien - ne l'entend évidemment pas de cette oreille et ne lui concède que le titre de César d'Occident.

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«In Hoc Signo Vinces», gravure d'A. Mathy extraite de Le Leu, Le Triomphe de la Croix

Constantin - qui a fait alliance avec le vieux Maximien exilé en Arles et épousé sa fille Fausta (307) - marche contre son beau-frère Maxence et ses prétoriens, qu'il écrase devant Rome, près du pont Milvius. C'est le fameux In Hoc Signo Vinces (28 octobre 312). Maxence se noie dans le Tibre et Constantin, enfin maître de Rome, dissout le prestigieux corps des Prétoriens. La sécurité de l'empereur romain sera désormais assurée par les Protectores domestici (un régiment où, du reste, Dioclétien avait fait sa carrière).

 
Par souci d'être simple (si c'est possible), nous ne parlerons pas ici de l'Auguste Licinius qui a succédé à Sévère II et se tient à Carnutum, ni de l'Auguste autoproclamé Domitius Alexander qui tient l'Afrique (printemps 308). Quant au César Maximin Daia, à l'exemple de Constantin, il s'est lui aussi fait acclamer «Auguste» par ses troupes (309).
 

2.2. La postérité de Constance-Chlore

La Tétrarchie, si bien planifiée par Dioclétien, a volé en éclat dès la seconde génération. À peine au pouvoir, Constantin va s'employer à éliminer ses collègues et rivaux les uns après les autres. On va voir maintenant que ses propres fils, après avoir fait assassiner leurs cousins, vont eux aussi chrétiennement tirer le glaive les uns contre les autres.
Mais examinons d'abord les parties en présence. Deux femmes de conditions inégales ont donné des fils à l'Auguste Constance-Chlore. À sa mort, la situation est donc la suivante :

une branche aînée illégitime, représentée par Constantin Ier (né en ±280), né d'une concubine.
une branche cadette légitime issue de Théodora, belle-fille de l'Auguste Maximien.
 

Généalogie de Julien, petit-fils de Constance -Chlore

 
CONSTANCE-CHLORE (±250-306 - emp. 305)
C. Flavius Julius Constantius («Marcus Valerius Constantius», après avoir été adopté par Maximien), dit le «pâle» (chlorus) par allusion à son teint blafard, César (293), puis Auguste (305) d'Occident, s'était doté d'une généalogie fictive qui le faisait descendre de l'empereur Claude II le Gothique (emp. 268-269). Ou plutôt de son frère Crispus, père d'une Claudia qui - des œuvres de son époux Eutropius - aurait été sa mère. Sous une forme schématique, on trouvera sur le site associé des «Empereurs romains» le tableau généalogique de sa postérité.
  1) par sa concubine Hélène est père de CONSTANTIN LE GRAND
  2) par Théodora (fille de l'Auguste d'Occident Maximien-Hercule et d'un premier lit) est père de quatre fils et trois filles :
Les fils : [anonyme], JULES CONSTANCE, Dalmatius (père de Dalmatius le Jeune et d'Hannibalien César) et Hannibalien.
Les filles : Anastasia, Eutropia et Constantia (cette dernière épousera le co-empereur Licinius (±263-325 - emp. 308) et lui donnera Licinianus César [Licinius II, † 326] [9]).
 
1) CONSTANTIN LE GRAND  (±280-337 - emp. 306)
Il représente la branche aînée mais bâtarde de la postérité de Constance-Chlore. Il est le fils d'une concubine, Hélène, servante d'auberge. Pour redorer le blason maternel, Constantin accordera à sa mère les tria nomina : Flavia Julia Helena. Cette Hélène est chrétienne; c'est elle la «sainte Hélène» qui de Jérusalem ramènera à Constantinople les reliques de la Vraie Croix du Christ.
A) par sa concubine Minervina il est père de Crispus César (né en 303). Le soupçonnant d'adultère avec sa belle-mère Fausta, Constantin le fera mourir.
B) par Fausta (fille d'Eutropia, et donc belle-fille de son époux Maximien-Hercule, Auguste d'Occident démissionné) il est père de trois fils et deux filles.
Les fils : Constantin II (317), CONSTANCE II (318) et Constant (320).
Les filles : Constantina (une sacrée garce qui épousera Gallus) et la douce Hélène la Jeune (qui épousera Julien).
— Constantin est donc le beau-frère de son rival Maxence (frère de Fausta et fils de Maximien-Hercule et d'Eutropia) qui périra à la bataille du Pont Milvius, aux portes de Rome.
 
2) JULES CONSTANCE (ca 295-337)
Devenu César d'Occident en 293, Constance-Chlore s'était lié à l'Auguste Maximien - dont il était déjà le fils par adoption - en épousant la belle-fille de celui-ci, Théodora (10)(Flavia Maximiana Theodora), dont il aura une fille, Constantia, et quatre fils : [anonyme] - le nom de l'aîné ne nous est pas parvenu -, puis Jules Constance, Dalmace et Hannibalien. Ce Dalmace étant lui-même père d'un «César» Dalmatius et d'un Hannibalien Junior.
Avec ses trois frères, il représente la branche cadette mais légitime. De deux lits différents Jules Constance aura deux fils (en fait trois, mais on ne sait rien de l'aîné), lesquels épouseront les sœurs de Constance II.
C) de sa première épouse Galla - épousée en 330-331 - il a un fils aîné [anonyme], puis un second, Gallus (César 351-354)
Il en a également une fille Constantina qu'épousera Constance II en premières noces (pas de postérité connue);
D) de sa seconde épouse Basilina - fille du préfet d'Orient Julius Julianus et parente de l'évêque de Nicomédie Eusèbe - il a un autre fils, Julien (331-363), qui deviendra empereur après s'être rebellé contre son beau-frère.
 

A) Crispus César (303-326)

  Premier fils de Constantin Ier, par sa concubine Minervina. Le soupçonnant d'être l'amant de son épouse Fausta, son père le fera mettre à mort (326). Et Fausta, suivra le même chemin quelque temps plus tard...
 
B) CONSTANCE II (318-361 - emp. 337)
  a) épouse en premières noces Constancia, fille de Jules Constance et de Galla;
  b) en secondes noces, épouse Eusébia, protectrice de Julien (mais qui ne donnera pas de postérité à son mari);
  c) en troisièmes noces, épouse une Faustina.
 
C) Gallus César
  Fils de Jules Constance et [premier lit] de Galla. Il a épousé Constantina, sœur de Constance II. Pas de postérité connue.
 
D) JULIEN L'APOSTAT (331-363 - César 355, Auguste 360)
  Fils de Jules Constance et [second lit] de Basilina. De son unique épouse Hélène la Jeune (épousée fin 355, † 360-361), sœur de Constance II; ils a un fils mort-né en 360 (?).
   
 

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Julien, César des Gaules... et bientôt Auguste de tout l'Empire romain...

2.3. Un Empire en mutation

En proclamant en 313 son Édit de Tolérance, dit «édit de Milan», Constantin Ier - déjà dévoué au culte d'Apollon-Sol Invictus-Mithra - avait joué la carte politique des chrétiens, de plus en plus nombreux dans l'Empire, sans pour autant se convertir. Fasciné par les débats théologiques, et de surcroît très proche d'eux par sa mère chrétienne, Constantin avait organisé plusieurs conciles pour en débattre (Nicée, 325; Tyr, 335). Des Conciles qu'il arbitrait distraitement, étant également - comme Pontifex Maximus - le chef de la religion romaine traditionnelle !

Il faut bien le reconnaître, les plus influents étaient les disciples d'Arius, évêque d'Alexandrie, qui l'emportaient sur les Nicéens (qui deviendront plus tard les catholiques orthodoxes, le catholicisme romain). Les Ariens niaient la consubstantialité du corps du Christ, c'est-à-dire sa double nature divine et humaine. Aussi pour eux, Jésus était-il seulement un homme, un prophète, mais il n'était pas Dieu.
Dans un premier temps Constantin avait penché pour les thèses nicéennes - le Père et le Fils sont de même nature (homoousos), et non «de nature semblable» (homoousios) ! - avant d'opter pour l'«hérésie» arienne dominante, ne se convertissant que sur son lit de mort et entre les mains de l'évêque arien Eusèbe de Nicomédie. Celui-là même qui recueillera Julien et Gallus après l'assassinat de leurs parents.

Une particularité sera que, une fois l'Empire paternel partagé entre ses trois fils, chacun de ceux-ci optera pour la sensibilité particulière de leurs ouailles et de leur clergé. Constant défendra le catholicisme romain en Occident et Constance II l'arianisme en Orient, se livrant notamment à une incroyable partie de «flipper» avec saint Athanase l'évêque catholique d'Alexandrie, qu'à trois reprises il contraint à s'exiler en Occident afin de céder son siège épiscopal à Arius et ses partisans.

   

B. Julien le Grand

3. Le Græculus

Julien l'Apostat (331-363 de n.E.), devint empereur en 360. On l'appelait le Græculus, «le Petit Grec», car il avait renoué avec la mode initiée par Hadrien et Marc Aurèle de porter la barbe à la manière des philosophes grecs. Il affectait d'ailleurs d'en porter aussi le manteau.

Julien naquit à Constantinople le 6 novembre 331 (11) et mourut dans les «Champs phrygiens» à Samarra (en Mésopotamie) le 26 juin 363, peut-être assassiné par un de ses propres hommes. De Jules Constance, demi-frère de Constantin Ier, Julien était le fils cadet. Sa mère Basilina mourut à 16 ans, quelques mois après l'avoir mis au monde. Julien avait aussi, nous l'avons dit, un demi-frère aîné - Gallus - né cinq ans plus tôt d'un premier lit avec Galla.

3.1. C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit...

À la mort de Constantin Ier le 22 mai 337, le jeune Julien va donc, avec son demi-frère Gallus, se retrouver être le dernier représentant de la branche légitime de Constance-Chlore.
Jules Constance était tombé en disgrâce par les intrigues de sa marâtre «sainte» Hélène, très influente auprès de son empereur de fils. À la mort de celle-ci à Jérusalem, en 328, il était rentré d'exil et revenu à Constantinople - autrefois Byzance, dont en 330 Constantin avait fait la capitale de l'Empire.

Une nuit de septembre 337, des gardes palatins mandés par le trio Constantin, Constance et Constant - la branche aînée illégitime - font irruption dans son palais et massacrent Jules Constance et ses trois frères, ainsi leur parentèle et nombre de dignitaires de leur entourage, notamment le préfet du prétoire Albanius. Les mercenaires n'épargnent que les deux enfants, Gallus (12 ans) et Julien (6-7 ans) parce que le plus âgé, très malade, semblait à l'agonie, tandis que l'autre - Julien - s'était caché sous son lit.
Comme feue sa mère Basilina était la fille du préfet d'Orient Julius Julianus et parente de l'évêque de Nicomédie Eusèbe, ce fut ce dernier qui recueillit les garçons. Il les éleva dans la foi chrétienne, c'est-à-dire dans l'«hérésie» arienne. À sa mort en 341, les deux frères furent assignés à résidence dans la forteresse de Macellum, près de Césarée de Cappadoce, où ils végétèrent six années durant.

Passionné de lecture, Julien dévorait les poèmes d'Homère et d'Hésiode. Il s'exaltait des exploits des héros Achille et Ulysse, mais aussi de la cosmogonie des Dieux. Son précepteur, l'eunuque Mardonius - un Goth qui, précédemment, avait été celui de sa mère - l'initia secrètement au néoplatonisme. Au juste, les intellectuels chrétiens de l'époque ne dédaignaient pas le néoplatonicien Plotin, savant commentateur de Platon.

En 347, Julien vint à Constantinople poursuivre ses études, ensuite à Nicomédie - où il se mêla rapidement au milieu des érudits païens - puis Pergame. En 354, il est appelé à Milan par Constance à qui il doit rendre compte de ses fréquentations subversives. L'impératrice Eusébie intercède en sa faveur et il est envoyé étudier à Athènes (juillet-octobre 355), où il côtoie d'autres condisciples comme les futurs «saints» Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze. Mais si Basile lui conservera son amitié, Grégoire - qui nous en dressera un portrait peu avenant - deviendra son contempteur le plus acharné.

3.2. Un cheminement religieux

Tandis que son frère aîné, promu «César d'Orient» suit sa voie, Julien (24 ans) étudie donc entre autres à Pergame où il se lie avec Maxime d'Éphèse, un philosophe qui sous le vernis néoplatonicien recommande les pratiques magiques, l'astrologie et la science des haruspices.

Julien, écrira plus tard qu'il vécut dans l'«erreur chrétienne» jusqu'à l'âge de vingt ans (12). Il l'abjure à Éphèse, où Maxime l'initie à la théurgie et aux Mystères d'Hécate (351 ?). Et peut-être aussi aux Mystères d'Eleusis, lors de son séjour à Athènes (355); voire, plus tard encore, à ceux de Mithra. Selon Grégoire de Nazianze, son mentor Maxime le conduisit en «un lieu ténébreux, pour y consulter les démons souterrains (...). Des objets d'épouvante l'assaill[ir]ent (...) des bruits insolites, des odeurs repoussantes, des spectres flamboyants et je ne sais quelles autres absurdités.» Par analogie on sait - mais sans savoir vraiment, à cause du secret - en quoi consistaient les initiations des religions «à mystères» : une mort simulée pour renaître à une nouvelle vie. Le Baptème puis la Communion chrétiens contiennent les mêmes symboles. Mais Grégoire qui, bien évidemment, n'y était pas, précise que Julien effrayé eut recours à la Croix pour conjurer ces apparitions. «Il appela à son secours Celui qu'il persécutait (...). Le signe [ayant] opéré, les démons sont vaincus, les frayeurs se dissipent», ajoute-t-il. Mais Julien est à ce point possédé qu'il recommence, et recommence encore.

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L'initiation de Julien au culte d'Hécate, d'après la description fantasmagorique de Grégoire de Nazianze. Gravure d'A. Mathy extraite de Le Leu, Le Triomphe de la Croix. Les Fastes de l'Église, Tournai, Casterman, 1912

3.3. L'Antéchrist

Comment un bon chrétien comme «saint» Grégoire (ca 330-ca 390), un Docteur de l'Église, le «Père de l'Église grecque» ne l'oublions pas pourrait-il connaître les rites des mystères païens, dont la révélation aux profanes est, par essence, interdite ? Et comment pourrait-il connaître que Julien, terrifié, se signa de la croix ? Préjugé ou perfide insinuation ?

En vérité, ces rites effrayants et la mort simulée que Grégoire de Nazianze décrit, on les colporte encore aujourd'hui - à tort ou à raison - à propos de la très respectable Franc-Maçonnerie. Mais peut-être, après tout, les Maçons sont-ils les continuateurs de ces anciens mystères ? Ou encore, plus probablement, les ont-ils réinventés car les rites de passage sont universels (13).
Ils forment l'ossature de La Flûte enchantée (1791) de Mozart (14) - Maçon, lui aussi, tout comme son interprète et librettiste Johann Emanuel Schikaneder - ce à une époque où la Franc-Maçonnerie était très étroitement surveillée et persécutée (si l'Histoire ne se répète pas, elle semble fort bien bégayer !). Et ledit livret empruntait beaucoup aux descriptions des rites égyptiens par Diodore de Sicile, que venait de traduire l'abbé Jean Terrasson (:.) par ailleurs anonyme auteur d'un curieux roman initiatique, Sethos (1731). Diodore imaginait sous le Labyrinthe, dans une sorte d'Hadès evhémérisé, un souterrain temple mystique. Cette Égypte imaginaire dominée par le mage Sarastro, était largement redevable aux Mystères d'Égypte de Jamblique (15), le maître à penser de Maxime d'Éphèse et de son disciple Julien : la boucle est bouclée !
On retiendra la mauvaise foi de l'Église, laquelle il est vrai «avait eu chaud», tant dans son bras de fer contre le paganisme que contre ses propres dissidents et hérétiques ! Une Église acharnée à dénigrer un personnage dont Benoist-Méchin a écrit : «On défigura systématiquement ses Édits de Tolérance en Édits de Persécution. On le qualifia de «bouc puant», d'«Apostat», d'«Antéchrist» (16).» Or, comme l'a fait remarquer Voltaire, si apostasie il y eut, ne serait-ce pas plutôt du côté de Constantin et de Constance qu'il fallait regarder, eux qui renoncèrent aux cultes traditionnels ? Au point que cette gravure de A. Mathy illustrant l'édifiant Le Triomphe de la Croix de L. Le Leu (17) montre Julien au pied d'une idole grecque, épouvanté par ses propres fantasmagories, une jeune vierge égorgée sur l'autel des ténèbres (18) nous paraît singulièrement odieuse et ignoble dans ce qu'elle rajoute aux délires de «saint» Grégoire de Nazianze.

Par son Édit de Tolérance (361), Julien avait déclaré licites toutes les religions avec peut-être, mais c'était de bonne guerre, l'intention malicieuse de quand même remettre à sa place la persécutrice religion du Christ puisqu'ainsi il abolissait, du même coup, les décrets pris par ses prédécesseurs les «Seconds Flaviens», pas seulement contre les païens et les juifs, mais aussi contre les chrétiens eux-mêmes en leurs différentes factions.

Pour avoir constaté, à travers sa propre famille assassinée, combien était illusoire l'amour des autres enseigné par le Christ, le fils de Jules Constance ne leur interdit que le droit d'enseigner - ce que du reste son païen ami Ammien Marcellin désapprouva (AMM., XXII, 10).
Certes, Julien exila aussi d'Alexandrie son évêque nicéen Athanase (356-362), responsable de bien des troubles du fait de son opposition aux ariens - mais avant lui et à deux reprises, les ariens Constantin Ier (335-337) et Constance II (339-346) en avaient usé de même avec l'encombrant personnage... qui connaîtrait à nouveau le chemin de l'exil sous les tout aussi chrétiens Jovien (362-364) et Valens (365-366). Ce qui n'eut sans doute pas été nécessaire si Nicéens et Ariens avaient été capables de vivre en bonne intelligence. Après la Croisade contre les Cathares, la Réforme et sa Saint-Barthélémy, l'Inquisition et sa chasse aux sorcières - les derniers suppôts d'un paganisme campagnard diabolisé -... on ne saurait plus s'étonner de ce qui pousse dans le terreau où la religion d'amour a enfoui ses racines.

En fait son règne, pour avoir été autoritaire (et il fallait qu'il le fût, afin de remettre le temple au milieu du forum), aspirait à un retour aux normes «républicaines» du Principat. Ce qui passait immanquablement par la constitution d'un véritable clergé hiérarchisé du paganisme, sous l'égide d'Hélios-Roi. Telle était son œuvre réformatrice...

Suite…

NOTES :

(1) Par souci de simplification, la BD nous présente Julien comme le neveu de Constance. En réalité, Julien - fils de Jules Constance, lui-même fils de Constance-Chlore et demi-frère de Constantin le Grand - est, au même rang que Constance II, le petit-fils de Constance-Chlore. Donc son cousin germain. - Retour texte

(2) Hors interview, Ken Broeders nous a fait observer que si son premier opus d'Apostat est paru en 2009, il y travaillait depuis près de deux ans déjà, et sans connaître le sujet que le cinéaste espagnol comptait développer dans Agora. - Retour texte

(3) Le néoplatonisme de Plotin, par exemple (N.d.M.E.). - Retour texte

(4) ... qui consiste notamment à expliquer le contenu du Nouveau Testament par le biais des mythes et du folklore païens récupérés par le christianisme. - Retour texte

(5) Les cruautés, les violences, les supplices, les humiliations sont le lot des chrétiens dans tout l'Empire, à l'exception des États de Constance-Chlore (Gaule et Bretagne), où le «César» se contente de laisser démolir quelques églises. Il est vrai que sa concubine Hélène est chrétienne. - Retour texte

(6) La série La Dernière Prophétie de Gilles Chaillet, démarre en 394 lorsque l'empereur Théodose s'apprête à fermer le Sénat de Rome et à pourchasser les adeptes de la religion romaine traditionnelle - les derniers païens. - Retour texte

(7) Maria Dzielska semble d'avis qu'Hypatie était chrétienne enseignant à des païens et à des chrétiens. Etant très liée à son ancien élève, le gouverneur d'Alexandrie Oreste, son assassinat serait, de fait, politique, trouvant sa raison d'être dans la rivalité entre l'Église officielle catholique-orthodoxe de Byzance et l'Église dissidente alexandrine de Cyrille (M. DZIELSKA, Hypatie d'Alexandrie, Antoinette Fouque éd., coll. «Des Femmes», 2010). - Retour texte

(8) Pour faciliter la compréhension du lecteur, nous associons d'office leur adjectif ordinal d'empereur, avant même qu'ils le devinssent. - Retour texte

(9) Constantin fera assassiner les Licinius père et fils, ses deux rivaux, respectivement en 325 et 326. - Retour texte

(10) Théodora est née d'un premier lit de la syrienne Eutropia, épouse de Maximien. - Retour texte

(11) Date controversée : Julien vint-il au monde en nouvembre ou en décembre 331, sinon en mai ou juin 332 ? - Retour texte

(12) Prêchant pour sa propre chapelle Ammien Marcellin, pour sa part, affirme que Julien ne fut jamais chrétien mais depuis toujours secrètement païen, jusqu'à ce que parvenu au faîte du pouvoir il pusse proclamer haut et fort ses convictions. - Retour texte

(13) Cf. H. JEANMAIRE, Couroï et Courètes. Essai sur l'éducation spartiate et sur les rites d'adolescence dans l'antiquité hellénique, Université de Lille, 1939. À titre de comparaison, l'auteur prend de nombreux exemples dans les tribus de l'Afrique noire. - Retour texte

(14) Jacques CHAILLEY, La flûte enchantée - opéra maçonnique (1968), Robert Laffont, coll. Diapason, rééd. 1983. - Retour texte

(15) JAMBLIQUE, Les Mystères d'Égypte (trad. grec Edouard des Places, s.j.; préf. François Vieri), Les Belles Lettres, coll. «Aux sources de la Tradition», 1993. - Retour texte

(16) ... qui continue : «Cette rage destructive n'est pas une page glorieuse dans les annales de l'Église. Il est vrai qu'elle menait une lutte dont dépendait son existence. Mais la violence de sa réaction nous donne à penser qu'elle eut vraiment très peur de ce jeune Empereur-philosophe, qui voulait régénérer le paganisme et aurait sans doute modifié le cours de l'Histoire si un javelot, sur l'origine duquel on s'interroge encore, ne lui avait pas percé le flanc à l'âge de trente-deux ans.» - Retour texte

(17) L. LE LEU, Le Triomphe de la Croix, Tournai, Casterman, coll. «Les Fastes de l'Église», 1912. - Retour texte

(18) Quelques auteurs ecclésiastiques auraient en effet évoqué des sacrifices humains ordonnés par Julien. Pure affabulation ! - Retour texte