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Les Travaux d'Hercule
(Le Fatiche di Ercole)
(Pietro
Francisci, FR-IT - 1957)
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Ouvert pendant les travaux...
Hercule est le plus noble des héros grecs, l'«idéalisation
absolue du héros positif» comme l'a déjà
écrit avant nous quelqu'un, envoyé sur terre par
son père Zeus, le roi des dieux, pour exterminer les brigands
et purger de ses monstres notre monde sublunaire - pas étonnant
que le christianisme ait si volontiers annexé ce Christ
musclé, protecteur de la veuve et de l'orphelin, qui après
avoir connu une fin misérable sur le mont ta (re)monta
dans l'Olympe auprès des dieux, emporté par le char
d'Athéna. Il n'eut pas besoin de descendre aux Enfers pour
ressusciter le troisième jour, lui qui en avait enchaîné
le gardien, Cerbère !
Bref, le message passe bien dans les salles paroissiales. La
Toison d'Or, sur laquelle le roi Æson assassiné a
de son sang écrit son testament, nie expressément
la loi du talion : «(...) mon sang ne crie pas vengeance.
Il ne faut pas que pour une vie perdue, une autre vie s'éteigne»
(Churs. Plan sur le soleil dont les rayons percent les nuages).
Hercule est un demi-dieu compatissant - nullement un surhomme
nietzschéen comme ont cru devoir le dénoncer quelques
gauchistes qui voient des fachos partout; bien sûr, Hercule
apparaîtra parfois comme le Guide providentiel d'une populace
révoltée (Hercule à la conquête
de l'Atlantide; Hercule se déchaîne...), mais...
le moyen de faire autrement ?
Or donc le bon géant arrive à Iolcos, l'actuelle
Volos au fond du golfe Pagasétique, dans le sud de la Thessalie.
Dénué de malice, il partage un cuissot de buf
- à moins que ce soit un pilon de stégosaure - avec
la belle ingénue qu'il vient d'arracher à la mort,
Iole, la fille du roi Pélias. Il prétend même
l'entamer par où la digne princesse a délicatement
mordu la viande du bout de ses dents nacrées, là
où l'ont frôlées ses lèvres max-factorisées.
«De ta part, est-ce audace ou présomption ?»,
s'indigne-t-elle. «Je ne suis qu'affamé, c'est
tout», rétorque le demi-dieu. Juste avant cet
échange de propos badins, il déracinait un arbre
énorme pour le jeter en travers du chemin et arrêter
l'attelage emballé de la princesse. Vous savez, les femmes
au volant d'une 2 Cv... La scène inspirera les dessinateurs
de Superman : rêvant qu'il est devenu Samson, esclave à
Rome, Clark Kent déracine non pas un mais deux arbres
pour arrêter le char de Loïs, sa fiancée. Si
un demi-dieu grec peut ainsi arracher un arbre centenaire, un
superhéros américain peut forcément mieux
faire ! C'est évident.
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Loïs Lane - L'Homme d'Acier du Passé»
[Superman],
Artima éd., Flash, n
45, janvier 1963 |
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Mais que signifie la mort quand
on est immortel ? Quels sont-ils ces étranges humains,
qui souffrent abominablement à la vue d'un parent
décédé - tel Pélias lorsqu'on
lui ramène le corps de son fils Iphitos, que lui
Hercule n'a pas su protéger de la férocité
du Lion de Némée... ? Eprouvant néanmoins
un sentiment amoureux vis-à-vis d'Iole à la
bouche si désirable, Hercule commence à comprendre
qu'il n'est pas si désagréable que ça
d'être un mortel, et d'ainsi éprouver ces sentiments
cruels et délicieux qui tourmentent les éphémères
créatures. Lui, le demi-dieu insensible, se rend
chez la Pythie et la supplie d'intercéder pour lui
auprès de son père Zeus, pour qu'il lui ôte
son «inhumanité», afin qu'il ne soit
plus désormais qu'un simple homme, appelé
à souffrir, à vieillir et surtout à
aimer. Pour l'amour d'Iole, Hercule renonce à sa
divinité. Encadrée des colonnes, une flamme
brûle sur l'autel - l'ambiance bleutée est
magnifique - tandis que la pluie, symbole de son divin père
Zeus, le dieu de l'Orage, vient inonder le torse puissant
du héros.
Désormais, Hercule est prêt pour la vie d'aventures
qui l'attend : aider Jason à reconquérir son
trône en retrouvant la Toison d'Or. S'ensuivent des
aventures époustouflantes sur la mer bleue que fend
l'étrange silhouette du navire Argo, avec
sa proue relevée et son éperon orné
d'un il prophylactique qui plonge et replonge dans
la vague.
Il y a d'abord cette étrange escale chez les Amazones,
ces femmes dénaturées qui éliminent
les mâles après qu'ils leur aient servi à
perpétuer l'espèce. Perdu dans une jungle
peuplée d'oiseaux exotiques multicolores, le palais
de leur reine est aménagé dans une grotte,
symbole matriciel par excellence dans un monde minéral,
au bord d'une vasque qu'alimente une cascade où les
jeunes gens innocents se livrent à des ébats
aquatiques. «Je sais nager. Je t'apprendrai !»,
glisse Pollux d'un ton avantageux, à la guerrière
de l'escorte qui marche à ses côtés.
Avant leur régression ad uterum. «Ils débarquèrent.
Ils aimèrent. Pour mourir...» Double du
père que Jason a perdu, Hercule saura faire rentrer
dans le droit chemin le capitaine des Argonautes, le ramener
à sa mission. Soumise à la volonté
de cruelles prêtresses et incapable d'assumer son
amour pour Jason, il ne reste plus à la reine Anthéa,
les yeux embués de chagrin, qu'à rééditer
le geste des Sirènes qui n'avaient su retenir le
héros d'Ithaque : la mer se referme sur elle comme
un linceul, tandis que roule sur la crête des vagues
un dernier appel énamouré.
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L'Argo fend les flots, laissant loin derrière lui
ce cauchemar vert et bleu de la grotte maudite. Mais une autre
terreur ancestrale attend Jason, une créature issue des
temps préhistoriques, dont la masse se confond avec la
glèbe, et de la gorge duquel sort un rauque cri de métal
froissé. Jason lui transpercera le crâne de son javelot.
Il ne reste plus au jeune héros qu'à décrocher
la Toison d'Or, qu'il ramène dans ses bras. Il y a quelque
chose du Bon Pasteur dans ces images. De l'Agnus Dei.
«Sans la Toison d'Or, un roi de Thessalie ne saurait
régner.» Il faudra bien que le prince légitime
de la Thessalie règne malgré tout, même si
un traître a réussi à détruire la Toison
accusatrice de la félonie de l'usurpateur. Acculé,
Pélias se donne la mort et Jason monte sur le trône
paternel : une âme bien trempée vaut mieux que toutes
les reliques dorées.
Affranchis de la tutelle de leurs pères respectifs - celle
du roi des dieux, celle du roi des hommes -, les amoureux sont
désormais seuls au monde et rembarquent sur l'Argo
pour rentrer à Thèbes. «Les grandes douleurs
forgent des âmes immortelles. Ainsi le veut la nature, qui
fait fleurir la rose parmi les ruines. Ainsi le veut le printemps
qui couvre de feuilles les branches des arbres où les oiseaux
abriteront leur nouvelle couvée - proclame une voix
off, tandis que montent les churs d'Enzo Masetti
et que s'éloignent les rivages de la Thessalie. Des
épreuves passées, il ne restera en notre mémoire
que le souvenir de votre merveilleux amour. Adieu, Hercule ! Adieu,
Iole ! Une vie nouvelle vous attend avec ses joies et ses peines.
Gardez votre confiance en la clémence des dieux, puisque
pour vous s'ouvrent les portes de l'avenir avec tout l'espoir
que chaque homme garde en son cur.»
... Et le rideau rouge se referma sur l'un des plus prodigieux
film-culte de toute l'histoire du cinéma, dont l'impact
serait lourd de conséquences («Avant-propos»
/ Les Héros du samedi soir).
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1. Pietro Francisci et Les Argonautiques
Coproduction O.S.C.A.R. Film et Galatea distribuée par
la Lux, Le Fatiche di Ercole fut le premier péplum
franco-italien tourné en Dyaliscope : deux ans auparavant,
la Lux avait produit Ulysse
encore en format standard.
Ainsi que le réclame un carton du générique,
le scénario s'inspirait très librement des Argonautiques
d'Apollonios de Rhodes (IIIe s. av. n.E.), épopée
racontant en quatre chants la conquête de la Toison d'Or,
sur laquelle l'auteur du sujet vint greffer trois des «Douze
Travaux» de la geste herculéenne : le Lion de
Némée, le Taureau de Crète, la Reine des
Amazones.
1.1. Le scénario d'Ennio De Concini
Scénariste encensé par les uns (Jean-Marie Sabatier),
honni par les autres (Sergio Leone), Ennio De Concini s'efforce
de superposer le méchant roi Pélias de d'épopée
de Jason, à celui du cycle
d'Hercule - le roi de Tirynthe Eurysthée, l'ordonnateur
des Douze Travaux.
Eurysthée devient donc, ici, l'homme de main et le conseiller
de Pélias, tandis que celui-ci, donc, ordonne les «Travaux»
! De même remplace-t-il Iolas, le neveu et écuyer
d'Hercule - qui, dans le mythe, était son inséparable
compagnon (1)
- par Ulysse, plus connu du public. Quand à Iole et Iphitos,
respectivement fille et fils d'Eurytos roi d'chalie, ils
deviennent ici les rejetons de Pélias, etc. Enfin, l'épisode
herculéen des Amazones et de la ceinture de leur reine
Hippolyte est croisé avec un passage très similaire
des Argonautiques, l'escale à Lemnos, où
Jason s'éprend de la reine d'un peuple de femmes qui ont
massacré leurs maris, Hypsipylè - nom sans doute
jugé rébarbatif, trop peu «commercial»,
d'où qu'elle ait été rebaptisée Anthéa
(2).
Sans être une production très onéreuse, ce
film italien fut le plus grand succès commercial de la
saison 1957-1958 et, la saison suivante, sa «suite»
Hercule et la
reine de Lydie viendra encore en cinquième position
(1958-1959). Les Travaux d'Hercule sont généralement
assez peu cotés des amateurs de cinéma-bis
- et, de toute façon, paradoxalement considérés
comme inférieurs à la «suite», Hercule
et la reine de Lydie, sans doute à cause du glissement
de celui-ci du mythologique vers le fantastique. Les Travaux
d'Hercule resteront toutefois dans les mémoires comme
le premier «muscle opera», projetant ainsi au firmament
des stars populaires le body builder américain Steve
Reeves (le Fan Club : CLICK;
l'Official Home Page : CLICK,
et, parmi de nombreuses autres, encore celle-ci en italien : CLICK),
figure éminemment noble et sympathique, en attendant l'arrivée
à Cinecittà de Reg Park, Mark Forest, Kirk Morris
et autres Dan Vadis appelés à la rescousse. La mode
du «muscle opera» allait durer cinq-sept années,
qui furent comme les sept vaches grasses de l'Egypte, avant le
crash de la Titanus (1963) et l'essor du western transalpin.
En dépit de ces chipotages - le re-centrement de l'intrigue
est inévitable au cinéma ! -, Le Fatiche di Ercole
n'en demeurera pas moins une réussite, qui permettra une
spectaculaire percée du cinéma italien dans le marché
cinématographique intérieur des Etats-Unis, d'ordinaire
frileux vis-à-vis de tout ce qui n'est pas «vacciné-ketchupisé».
Porté à bout de bras par les jeunes critiques macmahoniens
(3)
qui découvrent Freda et Cottafavi, le péplum fut
en France une véritable mini-révolution culturelle
!
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Comme
Samson (Victor Mature) dans la version de C.B.
DeMille (1949) Hercule (Steve Reeves) plie des
barres de fer et renverse des colonnes.
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Le poncif
va coller au personnage. Bien sûr, les héros
herculéens vont continuer d'empoigner des
fauves prudemment transformés en descentes
de lit, des gorilles munis de fermetures «Eclair»
ou des guidons de vélo supposés
être des taureaux furieux, mais surtout
ils vont, d'un film à l'autre, soulever,
pousser, tirer, repousser les objets les plus
incroyables - comme s'ils n'étaient jamais
sortis de leur salle de musculation ! Ici Dan
Vadis dans
Le Triomphe d'Hercule (1964)
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1.2. Ulysse, Samson et Hercule
Les douze travaux d'Hercule avaient une seule fois été
portés à l'écran en 1910, dans le film d'animation
du même nom, où l'on voyait notamment Hercule vaincre
à coup de massue une hydre à trois têtes (4).
Hors ça, le Fils de Zeus était bien apparu de manière
incidente dans divers films mythologiques, mais sans y tenir le
rôle principal (voir Filmographie).
Peintre de formation tout comme son directeur de la photo Mario
Bava, Pietro Francisci (5)
- auteur de plusieurs films historiques ou de cape et d'épée
dans les années '50 dont une Reine de Saba (1952)
et Attila Fléau de Dieu (1954) - depuis longtemps
rêvait de porter à l'écran ce personnage inédit,
qui jusqu'alors n'était que fortuitement apparu dans les
génériques. Le film qu'il méditait ne prolongeait
pas seulement Ulysse,
tourné deux ans plus tôt par Mario Camerini, avec
Kirk Douglas. S'y répercutait également Samson
et Dalila (C.B. De Mille, 1949). Dans l'une et l'autre production,
on verra Samson/Hercule plier des barres de fer et faire s'effondrer
les colonnes du temple de Dagon... ou du palais de Pélias
! Steve Reeves (6)
- Mr. America 1947, Mr. World 1948 - fut pressenti par De Mille
pour incarner Samson. Mais, malgré sa musculature impressionnante,
il aurait finalement été écarté au
bénéfice d'un acteur plus «commercial»,
Victor Mature (7).
C'est la fille de Pietro Francisci qui, l'ayant remarqué
dans une comédie musicale (8),
convaincra son réalisateur de père de confier le
rôle d'Hercule à l'ancien Mister Universe
(1950). P. Francisci récupéra largement les décors
et les costumes d'Ulysse
- la grande superproduction de 1956 - créés par
Flavio Mogherini, qui a rejoint son équipe.
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Steve Reeves et Pietro Francisci, le
réalisateur, sur le tournage des
Fatiche di Ercole |
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1.3. Décors et esthétique
Les intérieurs ont été filmés dans
les studios de la Titanus. Pour les extérieurs, on va retrouver
dans Les Travaux d'Hercule quantité de lieux de
tournage dont certes les cinéastes italiens sont de longue
date déjà familiers, mais qui constitueront une
sorte de «marque de fabrique» des films tournés
ultérieurement. Ainsi la grotte de Chiron, à proximité
de laquelle Hercule a terrassé le Taureau de Crète
- un bison dont la présence est assez étonnante
sur les bords de la Méditerranée - a peut-être
été filmée dans les carrières de Salone,
à dix kilomètres de Rome, sur le périphérique.
Le site est caractéristique, avec ses grandes découpures
carrées; William Wyler y filmera la vallée des lépreux
pour Ben Hur. Actuellement, certaines d'entre elles ont
été reconverties en garages... La baignade des Amazones
(qui deviendra celle d'Omphale dans la suite, Hercule et la
Reine de Lydie) a été mise en boîte à
Monte Gelato, un petit hameau de quelques maisons - commune de
Mazzano Romano - à environ quarante kilomètre de
Rome, sur la Via Cassia. Les Romains adorent venir s'y délasser
le week-end. Dans ce cadre enchanteur de cascades, rocailles et
verdure, la Lancio fixera des scènes de nombreux photoromans.
A Tor Caldara, microclimat bien connu des cinéastes,
a été mise en scène la séquence du
lion de Némée; non loin de là, entre Anzio
et Rome, se trouve Lavinio-Lido di Enea où le héros
troyen Enée aurait débarqué voici 3.000 ans.
Lieux chargé d'histoire, cette plage très caractéristique,
avec son petit éperon rocheux où aborde le navire
des explorateurs, a déjà été vue dans
Ulysse, et resservira régulièrement (La
reine des Amazones, Maciste contre le Cyclope)...
L'E.U.R., bien
entendu, a aussi apporté sa contribution au film. Ainsi
la piscine aux jets d'eau devant laquelle Hercule fait ses adieux
à Iole se trouve via Ciro il Grande, face à l'I.N.P.S.
(Istituto Nazionale della Previdenzia Sociale), la caisse de retraite.
Le stade entouré de cyprès où Hercule se
mesure à Iphitos n'est pas loin de là, mais, inondé
depuis, est devenu un Luna Park ! C'est un des charmes du péplum
que ces lieux mythiques qui, d'un film à l'autre, ont fait
rêver les afficionados, en inscrivant dans une sorte
de quatrième dimension - celle du rêve de celluloïd
des demi-dieux de Cinecittà - des lieux absolument triviaux,
qui font partie de la réalité quotidienne de gens
ordinaires : une guinguette, des garages, des bureaux.
La musique d'Enzo Masetti alterne de vigoureux appels de trompette
et des churs féminins langoureux dont la conjugaison
compose une ambiance à la fois héroïque et
sensuelle, sur laquelle Mario Bava règle ses éclairages
bleus, verts, rouges - que captent les filets d'eau qui suintent
de toutes les parois de la caverne. L'esthétique du film
prolonge celle d'Ulysse et verse volontiers dans le kitch,
les costumes sont théâtraux plutôt qu'archéologiquement
exacts. Et Lemnos, l'île des Amazones (de type hellénique
[9]),
s'y enorgueillit d'une végétation subtropicale où
des aras multicolores se perchent aux branches... Au milieu de
la grotte pailletée des Amazones se dresse un trône
taillé dans une gigantesque et improbable branche de corail
rouge. Le cockpit arrière du navire Argo s'orne
de figures astrales directement inspirées des mappemondes
de la Renaissance et Pénélope écoute la mer
dans une grosse conque marine d'une espèce qu'elle ne risquerait
pas de trouver sur une plage de la Méditerranée
(10).
1.4. Pietro Francisci, Mario Bava et Gianna-Maria Canale
Les images de Mario Bava (11)
sont superbes. Selon Riccardo Freda (12),
celui-ci pouvait être considéré comme le metteur
en scène à part entière des Travaux d'Hercule.
L'ayant poussé à la réalisation, Freda s'est
vanté d'avoir «ruiné» la carrière
de Francisci en lui ôtant la possibilité de continuer
à exploiter le talent de son faire-valoir, Bava. Relativisons
les déclarations du plus caustique des réalisateurs
italiens en rappelant qu'après Les Vampires (1956)
sa compagne d'alors, la superbe Gianna Maria Canale, l'avait quitté
en déclarant qu'elle en avait assez de jouer dans ses films...
Sur quoi la «divine» n'avait rien trouvé de
mieux que d'aller s'investir dans ceux de... Francisci - Les
Travaux d'Hercule, précisément - et de quelques
autres comme C.L. Bragaglia, Guido Brignone ou Sergio Corbucci...
Classée deuxième au concours de Miss Italie
1947, Gianna Maria Canale naquit à Reggio di Calabria,
le 12 septembre 1927. Romantique, Carlo Piazza aimait à
suggérer qu'en ses veines devait couler le noble sang dorien.
Quoiqu'il en fut, sa beauté était sculpturale. A
la ville comme à la scène, elle était la
«Vénus des pirates», la Belle du corsaire,
l'enchanteresse Armide quand même elle confessait volontiers
aux journalistes que son unique ambition dans la vie était
d'élever une meute de bambini !
Depuis, défigurée dans un accident d'automobile
(1964), celle qui fut la sulfureuse héroïne des Vampires
- la duchesse Gisèle/Marguerite du Grand, la tante et la
nièce : une seule et même personne avide du sang
de ces jeunes filles qui lui restituaient beauté et jeunesse
- vit retirée dans une petite île au large des côtes
italiennes. La vie a de ces ironies... Nous ignorons si elle est
encore de ce monde. Mais la plus belle épitaphe qui pourrait
se concevoir pour la dernière des divas italiennes, serait
cette réplique, tirée d'un de ses films : «Regarde-moi,
Spartacus. Les hommes aiment se perdre pour un seul de mes baisers...»
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Gianna-Maria Canale dans un rôle
fait pour elle, celui de l'altière reine des Amazones,
Anthéa. A droite un fan-book Monster-Bis
consacré à la «Divine»
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Pour en revenir à Pietro Francisci,
Mimmo Palmara, partenaire de Steve Reeves, et Carlo Carlini (13),
le directeur de la photo qui succéda à Bava sur
les péplums ultérieurement tournés par le
«père» d'Hercule (La charge de Syracuse,
1959; Sapho, Vénus de Lesbos, 1960), nous déclareront
que celui-ci avait toujours correctement assumé son travail
de metteur en scène. Dont acte.
1.5. Steve Reeves
On avait déjà pu voir Steve
Reeves dans le rôle de l'adjoint du détective
de police dans un petit polar minable, Jail Bait/The Hidden
Face (1954) d'Ed
Wood(14),
«le meilleur réalisateur de mauvais films»,
où il réussit à enlever sa chemise le temps
d'une séquence ! La même année, au côtés
de Debbie Reynolds, Edmund Purdom et Louis Calhern, il était
également apparu dans Athena (Athéna et
les sept surs, Richard Thorpe), film au départ
consacré au culturisme mais devenu en cours de réalisation
une comédie musicale (15).
Comme d'autres culturistes célèbres (Mickey Hargitay,
Lou Degni [Mark Forest], Dick Dubois, Gordon Mitchell), Steve
Reeves avait également sur les planches de Broadway figuré
dans des comédies musicales, aux côtés de
Mae West dans Kismet, et aussi dans The Vamp. A
la télévision américaine, il vantait des
produits diététiques pour bodybuilders dans les
populaires émissions de Ralph Edwards, le sitcom Topper.
On peut lui reprocher une certaine lourdeur au niveau de l'interprétation,
mais Les Travaux d'Hercule étaient son premier véritable
film en tant que vedette. Et Reeves n'était pas, de loin
s'en faut, un authentique comédien - il ne le sera d'ailleurs
jamais. Mais à défaut d'être un «acteur
de composition», Reeves avait su acquérir suffisamment
de «métier» pour exceller dans ce rôle
de héros sans peur et sans reproche qui fit de lui la coqueluche
des spectateurs(-trices) de la fin des '50.
1.6. Sylva Koscina et les autres...
La belle actrice croate Sylva Koscina (16)
- amie du Maréchal Tito - campe Iole, et copie Rossana
Podesta dans Hélène de Troie (1956). Les
deux actrices étaient bien en chair, à l'époque.
Peu après cette prestation Sylva Koscina disparut momentanément
des écrans pour nous revenir, papillon sorti de sa chrysalide,
complètement métamorphosée dans L'homme
d'Istamboul (1965) d'Antonio Isasi. Private joke, Horst
Buchholz l'y affublait encore du cruel sobriquet de «bébé
joufflu». Vingt ans plus tard, à l'occasion d'interviewes
à la télévision italienne, de sa petite voix
sifflante, elle se moquera méchament de son ancien partenaire,
des bras duquel elle avait glissé lors du tournage d'une
scène (17).
Dans le rôle de Laërte, le sage roi d'Ithaque, on
retrouve le fameux maître d'armes et cascadeur italien Andrea
Fantasia. A ses côtés, le chanteur lyrique et acteur
Gino Mattera incarne Orphée et donne la mesure de son talent
en entonnant le chant des Argonautes, «Bella Amfitrita
dell'Mare».
Remarquons la prestation de Mimmo Palmara, l'antagoniste attitré
de Steve Reeves et pas seulement dans les deux «Hercule»
de Francisci, qui incarne l'arrogant Iphitos. Arrivé en
retard au stade, il nargue son pédagogue Hercule, la bouche
en cur : «Les massages de mon esclave sont un plaisir
auquel je ne puis résister.» Mais également
le défi au lancer du disque, aux effets comiques irrésistibles
(réédités avec le jeu de ballon, dans La
bataille de Marathon). Et aussi les croustillants personnages
d'Esculape (G.P. Rosmino) et du traître Eurysthée
(A. Dominici). Sa penaude fourberie d'homme de main de Pélias
est des plus réjouissante. Aperçu dans Yvonne
la Nuit (1949) et Vite perdute (1958), Arturo Dominici
(18)
était alors un débutant, qui n'avait pas encore
eu l'occasion de prêter son inquiétant profil à
Igor Yavutich, l'amant et complice de la sorcière Asa dans
La maschera del demonio de Mario Bava (1960), avant d'interpréter
à contre-emploi Achille, dans La
guerre de Troie (1961). Dans l'île des Amazones,
Esculape déchiffre avec difficulté les épitaphes
de tombes masculines : «Ici ils aimèrent, et moururent...
Hé ! Hé ! (gêné...) Curieux
!», ou, examinant un des hommes primitifs, gardiens
de la Toison d'Or, il articule doctement : «An-thro-po-mor-phe...»
En dépit, donc, d'une certaine lourdeur emphatique, et
de quelques erreurs historiques résultant du télescopage
de la saga d'Hercule avec celle des Argonautes, on gardera des
Travaux d'Hercule le souvenir d'une uvre attachante
et coloriée, qui s'inscrivit - le hasard faisant bien les
choses - dans le contexte de l'ouverture de la Grèce au
tourisme, nous révélant en Dyaliscope et Eastmancolor
les «légendes dorées» d'une civilisation
de marbre et de soleil, baignée par la plus belle mer du
Monde. |
Suite…
NOTES :
(1) Iolas est le fils d'Iphiclès,
le frère «jumeau» d'Hercule : Iphiclès
était fils d'Amphitryon et Héraclès fils
de Zeus, mais nés de la même mère, Alcmène,
qui connut, la même nuit, et son époux et le roi
des dieux. Iolas accompagna son oncle Hercule dans la plupart
de ses travaux, jouant même un rôle indispensable
dans son combat contre l'Hydre de Lerne. Mais lors de l'Expédition
des Argonautes, ce fut un autre personnage, Hylas, qui servit
Hercule...
Le seul péplum italien qui ait mis en scène Iolas
est Les amours d'Hercule, mais il y est présenté
comme une sorte de vieux serviteur, interprété
par Arturo Bragaglia (le héros étant flanqué
d'un jeune buddy, «Tamanto» (Andrea Scotti),
où l'on hésite à reconnaître Télamon).
Relativement plus juste, la série TV américano-néo-zélandaise
Hercules, avec Kevin Sorbo, fait d'Iolas (le danseur
Michael Hurst) une sorte d'alter-ego d'Hercule, mais
plus probablement un camarade d'enfance qu'un neveu. - Retour
texte
(2) Revenant régulièrement
dans le péplum (L'esclave de Rome, Le triomphe de
Maciste, etc.), Antéa/Anthéa est un nom qui
serait peut-être à rapprocher de «la belle
Anthia», la chasseresse héroïne des Amours
d'Anthia et Abrocome, roman grec de Xénophon d'Ephèse.
Ou, plus probablement encore, de l'héroïne de Pierre
Benoit, Antinéa. Notons que Andie McDowell se nomme Antéa
dans une variation inspirée de L'Atlantide, télésuite
franco-italienne qu'un carton du générique réclame
de Salgari mais dont le scénario est néanmoins
largement redevable à Benoit (Le secret du Sahara,
1988). En grec, anthia veut dire «fleur».
- Retour texte
(3) «Le mouvement [mac-mahonien]
débute dans l'enceinte d'un cinéma : le
Mac Mahon, situé à Paris, avenue Mac-Mahon,
près de la place de l'Etoile - note Christine de
Montvalon. On y programmait dans les années '50 beaucoup
de films américains. Un groupe de cinéphiles le
fréquentait assidûment, apprenant à percer
tous les secrets de la cinématographie américaine.
Un peu plus tard, ce sont eux qui à leur tour feront
connaître, par l'intermédiaire du Mac-Mahon
toujours, les uvres des cinéastes qu'ils ont
découverts et qui demeurent injustement méconnus,
notamment le fameux carré d'as composé de Raoul
Walsh, Fritz Lang, Otto Preminger, Joseph Losey» (qu'ils
laisseront tomber à partir de ses premiers films européens).
Mais on pourrait ajouter qu'ils aimaient bien, aussi, des cinéastes
comme Cecil B. DeMille, Allan Dwan ou Jacques Tourneur, et qu'ils
furent d'ardents défenseurs du Hajji Baba de Don
Weis, une fantaisie orientale comme l'Universal en tournait
en série à l'époque, mais tirée
des romans de James Morier (Aventures de Hadji Baba d'Ispahan,
rééd. Phébus, 1983, 2 vols). Jacques Goimard,
qui partageait leurs goûts cinématographiques,
aimait dans Fiction parler de l'«école néo-irréaliste»
par opposition au néo-réalisme italien qui faisait
les délices des «intellos» de gauche. La
bête noire des mac-mahoniens était Orson Welles,
et ils tenaient Hitchcock en grande suspicion.
«Les membres de ce groupe aussi enfiévré
que désintéressé prennent alors le nom
de mac-mahoniens. Parmi ceux-ci, Jean-Claude Missiaen, Pierre
Rissient, Bertrand Tavernier. Certains, comme on le sait, passeront
plus tard à la réalisation. Devenus cinéastes
à part entière, ils continueront à cultiver
leur première passion : celle de défricheurs et
de découvreurs de talents nouveaux» (Ch. de
MONTVALON, Les Mots du cinéma, Belin éd.,
1987).
Aux noms cités, on peut rajouter ceux de Jacques Lourcelles,
Michel Marmin, Bernard Eisenschitz, Simon Mizrahi, Robert Louit,
Pierre Cottrell et, surtout, Michel Mourlet dont le texte provocateur
«Sur un art ignoré», paru en août 1959
dans Les Cahiers du Cinéma (qui donnera son titre
au recueil d'articles paru à la Table Ronde en 1965,
ensuite réédité sous le titre La mise
en scène comme langage, avec une préface de
Geneviève Puertas, chez H. Veyrier, 1987) peut être
considéré comme le manifeste du mouvement. Toutes
sensibilités politiques confondues, les mac-mahoniens
avaient leurs repaires au Mac Mahon bien sûr, mais
aussi au Nickel-Odéon, le ciné-club de
Bertrand Tavernier où, soit dit pour l'anecdote, fut
forgé le terme «péplum» pour désigner
le cinéma historico-mythologique. La doctrine mac-mahonienne
plaçait la mise en scène au-dessus de toute autre
considération; ce qui l'intéressait chez Freda
et Cottafavi - par exemple -, c'était leur écriture
visuelle, nullement l'improbable reconstitution de l'Antiquité
! Comme critiques, ils passaient indifféremment des catholiques
Cahiers du Cinéma à l'anarchisant Positif,
temple des surréalistes, puis finirent par fonder leur
propre revue, Présence du cinéma dont les
numéros 9 et 17 seront consacrés aux deux réalisateurs
emblématiques du péplum italien, soit respectivement
Vittorio Cottafavi (décembre 1961) et Riccardo Freda
(printemps 1963). Et si le nom de Pietro Francisci sombra vite
dans l'oubli (la faute à Freda ?) ce sera d'eux que le
péplum restera redevable de ses titres de gloire et de
ses auteurs ! - Retour texte
(4) Les douze travaux d'Hercule
(FR, 1910) d'Emile COHL semble être le même que
la production Gaumont de 1910, diffusée aux Etats-Unis
sous le titre Hercules and the Big Stick.
Le caricaturiste Emile Cohl [= Emile Courtet, 1857-1938] fut
vers 1907-1908 un pionnier du dessin animé. Le Prix Emile
Cohl récompense, en France, les meilleurs dessins animés.
- Retour texte
(5) Pietro Francisci, né à
Rome, 9 septembre 1906 - décédé dans les
années '80. - Retour texte
(6) Stephen L. Reeves (Steve Reeves),
né à Glasgow (Montana) le 21 janvier 1926, et
décédé à Escondido (Californie)
le 1er mai 2000 - le jour de la fête du Travail : finis
les Travaux, Hercule ! - Retour texte
(7) Ajoutons que DeMille aurait également
souhaité voir Steve Reeves prendre un peu de poids, ce
qui aurait desservi l'athlète dans les compétitions
culturistes auxquelles il participait assidument à la
même époque. - Retour texte
(8) Athena (Richard Thorpe,
1954). - Retour texte
(9) De «type hellénique»,
c'est-à-dire portant des casques à cimier et un
corsage garni d'une bande de peau de panthère et d'une
sorte de «mini-jupe» croisée. Sur le plan
strictement archéologique, il est entendu que jamais
les Grecs n'ont ainsi représenté les «ennemies
des hommes». Dans l'art grec, elles soit le costume asiatique
des Perses ou des Scythes, soit le costume grec - c'est-à-dire
qu'elles portent un léger chitôn qui laisse
un sein nu, soit elles portent des panoplies d'hoplites, les
seins en plus. Dans Tarzan et les Amazones, le costumier
avait solutionné le problème en combinant jungle
africaine et hellénisme : une Amazone sur trois portait
une tunique en peau de léopard; les deux autres le chitôn.
- Retour texte
(10) Il s'agit d'un strombe géant
(Strombus gigas L.), qui prospère dans les eaux
chaudes des Antilles. En fait, cette scène avec Pénélope
se trouve dans la «suite», Hercule et la Reine
de Lydie. - Retour texte
(11) Mario Bava est né à
San Remo (Ligurie) le 31 juillet 1914, et décédé
le 27 avril 1980. - Retour texte
(12) Riccardo Freda est né
à Alexandrie le 24 février 1909, et décédé
à Rome le 20 décembre 1999. - Retour
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(13) Chef opérateur de Cottafavi,
Sollima, Pasolini etc. - Retour texte
(14) Edward D. Wood jr s'est vu consacrer
un film autobiographique : Ed Wood (Tim Burton, 1994).
- Retour texte
(15) Son nom ne figure pas sur les
affiches. - Retour texte
(16) Sylva Koscina est née
à Zagreb le 22 août 1933, et décédée
le 26 décembre 1994. - Retour texte
(17) A propos de Steve Reeves : Freda,
Leone, Mylène Demongeot : CLICK
et CLICK.
(Il s'agit sans doute de la scène d'ouverture des Travaux
d'Hercule. Steve Reeves s'est expliqué des difficultés
techniques posées par ce type de scène - portage
à bout de bras -, répétée un grand
nombre de fois.) - Retour texte
(18) Arturo Dominici est né
à Palerme, le 2 janvier 1918, et décédé
d'un cancer à Rome le 7 septembre 1992. - Retour
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